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Fiche pratique

Introduction à la pratique du retour d'expérience

Objectifs :

Présentation synthétique du concept de retour d'expérience au sein des SIS

Contenu :

Introduction à la pratique du retour d’expérience au sein de la profession sapeur-pompier

Le retour d’expérience est un outil de gestion qui permet de favoriser l’apprentissage dans les organisations. Il doit favoriser la production des enseignements dans l’idée de rendre les individus plus apprenants. Il permet une prise de recul et un temps de réflexion à l’issue des opérations. Il revêt plusieurs aspects allant du plus informel, comme le débriefing « à chaud » tel qu’il se pratique dans l’aviation militaire[1], au plus formel, lorsqu’il correspond à une méthode d’analyse très structurée permettant d’identifier une variété de dysfonctionnements dans un système. C’est la raison pour laquelle la pratique du retour d’expérience permet de rendre compte des vulnérabilités mais aussi de la résilience d’une organisation. Il est un vecteur d’économies financières lorsque les enseignements permettent d’identifier la source des dysfonctionnements.

Mais il ne se limite pas seulement à l’analyse de ce qui dysfonctionne. Il doit aussi valoriser les bonnes pratiques, les techniques innovantes qui émergent dans l’action ou encore les comportements exemplaires qui passent parfois inaperçus en l’absence d’une analyse concise des situations. Le retour d’expérience exprime ainsi la nécessité de mieux observer le présent afin de préparer l’avenir et de le rendre plus sécurisant. Il s’inscrit dans un processus d’amélioration continue pour l’activité des organisations et plus encore pour la sécurité des agents en intervention. Il est un vecteur de création de connaissances nécessaire à la réactualisation des règles et du contenu de la formation.

Il y a plusieurs enjeux qui légitiment le besoin d’une pratique du retour d’expérience dans la profession aujourd’hui. Le premier enjeu est défini par le besoin d’une méthode pour analyser l’activité en temps réel et a posteriori. Les réflexions menées par les différents acteurs du groupe de travail de l’Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Sapeurs-Pompiers (ENSOSP) ont permis de révéler les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre d’une démarche pragmatique de retour d’expérience adaptée aux services d’incendie et de secours (SIS). Les effets de la remise en question, suite à une intervention, ne sont pas anodins et il faut pouvoir les anticiper en amont de toute démarche afin d’instituer la confiance plus que la défiance. La pratique du retour d’expérience relève d’une problématique scientifique lorsqu’elle s’intéresse à un principe d’organisation dite apprenante[2]. Il ne s’agit plus d’évaluer l’occurrence d’un risque, de mesurer une défaillance technique mais d’aller plus loin en analysant le fonctionnement global d’une organisation à travers la conduite des opérations. Ainsi, l’accompagnement des praticiens par des chercheurs spécialistes du concept s’avère nécessaire. N’oublions pas que cette démarche n’est pas complètement nouvelle puisque le professeur Wybo[3] l’avait initié à la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises (DGSCGC) en 2006 par l’adaptation de la méthodologie REXAO® de l’Ecole des Mines de Paris et la création d’un mémento opérationnel. Cette méthode a le mérite d’exister, elle est d’ailleurs bien conceptualisée pour l’apprentissage organisationnel. Mais elle n’a pas bénéficié d’un accompagnement suffisant jusqu’à l’échelon territorial pour devenir une véritable doctrine à part entière au sein des SIS. Il est donc important de faciliter l’appropriation de la pratique du retour d’expérience au sein des SIS et de l’adapter à des contextes extrêmes marqués par l’urgence.

Le deuxième enjeu concerne la question du sens dans les organisations en action. Cette préoccupation est traitée depuis plusieurs années dans le milieu académique afin de démontrer l’origine de la vulnérabilité des organisations en action[4]. Les comportements en décalage avec la réalité d’une situation expriment un problème de représentation collective. Il s’agit donc de développer une capacité à faire face en situation même lorsque l’action collective s’interrompe et que la compréhension des événements devient complexe et difficilement lisible. L’absence d’analyses de situations opérationnelles sur les modalités de coordination des groupes d’intervention engagés dans une même situation opérationnelle ne permettent pas de tirer des enseignements pour améliorer durablement les pratiques professionnelles. Le retour d’expérience doit donc favoriser la compréhension des écarts entre la perception individuelle d’une situation et sa compréhension collective pour la conduite d’une action commune et coordonnée. Cette connaissance permettra progressivement de réduire la vulnérabilité des organisations en situation et d’adapter la formation professionnelle à de nouveaux changements.

Au sein de l’ENSOSP, un groupe de travail RETEX a été créé en 2014 pour répondre à ces deux enjeux. Son objectif est de proposer une réflexion sur les différentes pratiques de retour d’expérience existantes au sein des SIS afin de mieux comprendre leur raison d’être. Le travail conduit a permis de faire émerger un « cadre » général permettant à l’ensemble des SIS qui le souhaitent de tendre vers la mise en place de cette démarche. La variété des acteurs représentés permet de comprendre qu’il est nécessaire de développer la pratique du retour d’expérience mais surtout de proposer les modalités de sa mise en œuvre au sein d’un SIS. Cette réflexion implique une acculturation à ce principe afin d’en appréhender tous les contours. Le retour d’expérience n’est pas un dispositif d’enquête. Il n’a pas pour finalité de rechercher des responsabilités, d’identifier les causes d’un phénomène ou d’un événement mais plutôt de comprendre les effets et les conséquences provoquées. C’est un processus d’exploration des opérations qui s’intéresse à la formation professionnelle, à l’expérience des agents et à la connaissance en acte mise en œuvre au sein des organisations.

Au sein du groupe de travail, la réflexion collective s’oriente vers la production de plusieurs documents : une charte du retour d’expérience, un guide méthodologique adapté aux besoins et aux ressources de chaque SIS désireux de s’investir dans ce domaine et une analyse de l’offre de formation dispensée au sein de l’école nationale. Cette dernière doit permettre de favoriser une acculturation progressive des officiers de sapeurs-pompiers à la pratique du retour d’expérience en fonction de leur niveau de formation et, en conséquence, des responsabilités qu’ils auront à exercer au sein de leurs différents services. La charte du retour d’expérience proposée pose les conditions de mise en œuvre d’une pratique de retour d’expérience au sein d’un SIS. Il est nécessaire de prendre en compte un certain nombre de facteurs avant de lancer cette démarche afin d’en garantir la réussite et l’acceptation par les agents. Leur implication est essentielle. Enfin, le guide méthodologique présente la conception d’une démarche de retour d’expérience pas à pas en fonction des besoins identifiés au sein de chaque SIS et de leurs ressources disponibles. L’ensemble de ces documents est issu d’une réflexion collégiale au sein de laquelle chaque membre du groupe de travail a fait partager son expérience individuelle, de chef de service à la fonction d’expert[5]. Il n’en demeure pas moins qu’elle doit encore être enrichie par les différents SIS qui choisiront de s’engager dans une posture autoréflexive et apprenante par le choix d’instituer le retour d’expérience dans leur mode de fonctionnement. Et plus que jamais, la production de ces différents services permettra une amélioration continue de la formation pour l’ensemble de la profession et des acteurs de la sécurité civile.

Anaïs GAUTIER, docteur en sciences de gestion, Centre de recherche et d’Etudes Interdisciplinaire de la Sécurité Civile (CERISC), septembre 2015

 
 

[1] GODE C. (2012), Développer les compétences collectives à partir des pratiques de retour d’expérience à « chaud » : le cas de l’Equipe de Voltige de l’Armée de l’air, Revue française de Gestion, Vol. 38, n°223, p. 167-180.

[2] SENGE P. (2001), La cinquième discipline: le guide de terrain, Editions Générales First, Paris

[3] WYBO J-L (2006), Mémento sur la conduite du retour d’expérience, document interne du Ministère de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, Direction de la Défense et de la Sécurité Civiles, Sous-direction de la gestion des risques, Bureau de l’analyse et de la préparation aux crises

[4] WEICK K.E (1993) « The collapse of sensemaking in organization : The mann gulch disaster », Administrative Science Quaterly, Vol. 38, n°4, P. 628-652

[5] Sapeur-pompier volontaire Expert

Publié le 10/09/15 à 10:54