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Fiche pratique

Fiche pratique sur les concepts mis en oeuvre dans la gestion pré-hospitalière des attentats du 13 novembre 2015 : leçons apprises

Définitions :

Cette fiche pratique présente plusieurs documents sélectionnés sur les concepts mis en œuvre dans le cadre de la gestion pré-hospitalière des opérations de secours du 13 novembre 2015. Il s'agit des leçons apprises par les différents services qui ont participé à cette opération. Ces leçons apprises nous amènent à constater que de nombreux concepts mis en œuvre dans le cadre de cette opération de secours sont issus de techniques militaires développées sur les théâtres d’opérations extérieures. Ce constat implique de mieux connaître ces concepts afin de comprendre dans quelles logiques ils s’articulent et se complètent.

Thème :

Retour d'expérience - Plan rouge alpha - Damage control - Résilience sociétale

Objectifs :

Identifier et comprendre les problématiques pré-hospitalières et les nouveaux concepts mis en œuvre par les différents services pour la gestion d'une opération de secours multi-sites provoquée par une menace terroriste sur le territoire national.

Cibles :

Acteurs du secours

Contenu :

1. Le besoin de faire du retour d'expérience opérationnel et organisationnel pour développer de nouvelles compétences sur le territoire national : l'intervention de Mme la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes sur l'organisation du RETEX sur les attentats du 13 novembre 2015

L’intervention de Mme la Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes insiste sur la nécessité de faire du retour d’expérience sur les opérations menées afin de mieux appréhender une menace terroriste et ses conséquences. Le retour d’expérience doit faire émerger des enseignements permettant de faire évoluer la réponse sanitaire. A partir de ces retours d’expérience, Mme la ministre a établi une feuille de route afin de renforcer la réponse sanitaire à partir de trois axes majeurs :

· Etre en capacité de faire face aux nouvelles menaces sur l’ensemble du territoire par le développement de nouvelles compétences

o Eviter la désorganisation des services d’urgence dans le cadre d’une opération de secours multi-sites

o Faire évoluer le plan Blanc pour l’intégration du concept de « Damage Control »

o Former les ARS à la préparation et à la gestion de crise

· Renforcer l’accompagnement et le soutien de l’Etat aux victimes et à leurs familles

o Mise en place d’un système d’information unique et commun permettant le suivi des victimes depuis leur prise en charge sur le théâtre des opérations jusque dans les établissements de santé (Exemple : SINUS de la BSPP)

o Prise en charge médico-psychologique des victimes et de leurs familles qui doit être renforcée dans la durée tout au long du parcours de soins.

· Poursuivre l’amplification des exercices préparatoires pour une meilleure anticipation des actions à conduire

o Renforcer le nombre d’exercices afin d’améliorer le système de réponse en cas d’attaques terroristes sur le territoire : réalisation d’exercices régionaux et thématisés, d’un exercice interministériel, d’un exercice national « santé » pour tester la coordination nationale du système de santé

http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/16_01_20_intervention_mt_retex.pdf

2. La nécessité d'intégrer des compétences militaires médicales développées sur des théâtres d'opérations extérieures : Réflexions à propos de la chirurgie pédiatrique de guerre pratiquée par le service de santé des armées en OPEX (Barbier O., Mathieu L., Bertani A., Pons F., Ollat D., Revue Médecine et santé tropicales 2015, Volume 25, n°2, Avril-mai-juin 2015)

Dans le cadre de la commission de la défense nationale et des forces armées (compte-rendu n°29 du 16/12/2015), le général Boutinaud a évoqué la prise en charge des enfants blessés et ses particularités. Il répondait à un membre de la commission évoquant le « targeting d’écoles » à Damas (Syrie) qui l’interrogeait sur les modalités de prise en charge médicale si un tel scénario se passait sur le territoire national. Le général Boutinaud a insisté sur la nature des soins que nécessitent les enfants blessés et leur orientation vers des structures pédiatriques adaptées. En référence à ces propos, l’article proposé traite de l’activité du service de santé des armées dans la prise en charge des enfants blessés sur les théâtres d’opérations extérieures. Dans le cadre de conflits dits asymétriques, le SSA a acquis une certaine expérience dans la prise en charge de civils, victimes collatérales des conflits avec parmi elles, un certain nombre d’enfants. Afin de mieux soigner ces victimes qui ont besoin de soins très spécifiques, le SSA s’est doté de matériels pour la réalisation d’actes de chirurgie pédiatrique de guerre. Si ces actions concernent principalement les structures médicales déployées sur les théâtres d’opérations, il n’en reste pas moins que ce savoir-faire et ces compétences acquises en OPEX peuvent être mobilisées sur le territoire national en cas d’attentats terroristes.

http://www.jle.com/fr/revues/mst/e-docs/reflexions_a_propos_de_la_chirurgie_pediatrique_de_guerre_pratiquee_par_le_service_de_sante_des_armees_francais_en_operations_exterieures_305053/article.phtml

3. La mise en œuvre de nouveaux concepts pour la gestion d'une opération de secours multi-sites : le plan rouge alpha et le concept de "damage control"

3.1 Un plan rouge pour faire face aux situations de catastrophes (Interview du médecin général (2S) Henri Julien, ancien médecin chef de la brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris (BSPP) et actuel président de la Société Française de Médecine de catastrophe (SFMC) - Source : Infirmiers.com / propos recueillis par J. Iacino

Cette interview du Général Henri Julien concerne l’historique du plan rouge au sein de la BSPP et l’application du plan rouge alpha lors des attentats du 13 novembre 2015. Historiquement, le plan rouge permet de coordonner les actions de prise en charge d’un grand nombre de victimes dans l’objectif d’ordonner au mieux leurs évacuations en fonction de la gravité des traumatismes subis. Les attentats du 13 novembre 2015 ont donné lieu à la première application du plan rouge alpha pour la gestion d’une opération de secours multi-sites.

Dans le cadre d’un plan rouge alpha, la coordination inter-services est essentielle pour optimiser la prise en charge des victimes, de leur référencement sur le théâtre des opérations jusqu’à leur évacuation dans les structures hospitalières au sein desquelles elles seront orientées pour le traitement de leurs blessures. La complexité de ce type d’opération implique une coordination des services de secours ainsi qu’une forte flexibilité du système de réponse qui se traduit par la mise en place de plusieurs PMA (Poste Médical Avancé) au sein desquels sont pratiqués le concept de « damage control » ground zero. Le plan rouge alpha correspond à un processus de gestion des victimes impliquant une diversité d’acteurs et d’expertises qui doivent se coordonner dans le seul objectif d’assurer la survie du patient à tous les stades de sa prise en charge médicale.

http://www.infirmiers.com/ressources-infirmieres/secourisme/plan-rouge-faire-face-situations-catastrophe.html

3.2 Prises en charge des victimes de traumatismes pénétrants (Bouteiller H., Baron P., Castel M., Velly A., Collet L., Gallet S., Bleas J., Tran D., Urgences 2009, chapitre 91)

Cet article présente la stratégie médicale de prise en charge des victimes par les services urgentistes. Cette stratégie se base sur trois concepts définis pour caractériser la prise en charge pré-hospitalière des victimes de traumatismes pénétrants (arme à feu ou arme blanche).

- Concept de « Golden Hour » : Ce concept implique qu’il est nécessaire d’optimiser le temps de prise en charge du patient pour l’orienter le plus rapidement possible vers une structure adaptée sans perdre du temps à réaliser des actes en phase pré-hospitalière qui ne seront pas efficaces. Dans certains cas, il est difficile de contrôler la situation hémorragique du patient en phase pré-hospitalière. Il faut donc l’orienter le plus rapidement possible vers une structure hospitalière qui disposera des équipements adaptés à sa prise en charge.

- Concept de « small-volume ressuscitation » : Ce concept a pour objectif de réduire les problèmes de coagulation par l’injection de produits hypertoniques en phase pré-hospitalière. Ces soins permettent de réduire les effets liés à la pathologie traumatique.

- Concept de « Damage control » : « appliqué à l’homme, il signifie mettre en œuvre toute une série de techniques qui vont permettre de maintenir en vie un patient ayant une ou plusieurs lésions létales ». Ce concept se décline en 4 phases qui vont de la prise en charge du patient sur le théâtre des opérations jusqu’aux actes de chirurgie réparatrice au sein d’une structure hospitalière. La phase pré-hospitalière du « Damage control » consiste à déterminer le plus rapidement possible la gravité des lésions du patient, à mettre en œuvre des soins d’urgence pour limiter leurs effets (ex : garrot tourniquet ou pansement hémorragique pour stopper le saignement) et d’orienter le patient vers une structure médicale adaptée à ses besoins. Ce concept fait référence à la technique de la Marine Américaine au cours de la seconde guerre mondiale pour désigner « la capacité d’un navire à contrôler des dommages subis et à poursuivre sa mission pour rentrer au port » (Masquelet, 2013[1]). Appliqué au milieu médical, ce concept désigne la capacité à mettre en œuvre des actions pour assurer la survie d’un patient en maîtrisant les hémorragies et le risque infectieux. Le concept de Damage control donne lieu à l’implication des citoyens pour venir en soutien des sauveteurs avant leur arrivée mais aussi pendant quand il n’y a pas un sauveteur pour chaque victime en début d’intervention. C’est la raison pour laquelle l’enseignement des gestes qui sauvent représente un gain de survie supplémentaire pour les victimes d’attentats.

http://sofia.medicalistes.org/spip/IMG/pdf/Prise_en_charge_des_victimes_de_traumatismes_penetrants.pdf

[1] Masquelet AC (2013), Historique et démembrement de la notion de Damage Control, e-mémoires de l’Académie Nationale de Chirurgie, 12 (1) : 060-062.

3.3 Le concept de résilience sociétale : une adaptation du sauvetage au combat

Le retour d’expérience réalisé par la BSPP a permis une prise de conscience sur la nécessaire « résilience sociétale ». Il s’agit de renforcer les capacités d’action des citoyens exposés à une menace terroriste. La formation aux gestes qui sauvent mise en œuvre par la Brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris depuis le mois de janvier 2016 contribue à l’essor de cette résilience au sein de la population en lui donnant les moyens d’agir efficacement. Il s’agit d’apprendre aux citoyens à réagir sous le feu pour se protéger, à extraire une victime rapidement d’une zone exposée au danger (tirs, explosifs), et à faire les premiers gestes qui sauvent (massage cardiaque, compression manuelle pour stopper une hémorragie, garrot, accompagnement) avant l’arrivée des secours. Dans une circulaire (40397) du 8 janvier 2016, le Ministre de l’Intérieur a souhaité étendre cette mesure à l’ensemble du territoire par l’implication des SDIS et des associations agréées de sécurité civile pour généraliser cette formation. Son objectif est d’augmenter les chances de survie des victimes d’attentats mais aussi de renforcer la résilience de la population en lui donnant les moyens d’agir et donc d’être prête à intervenir et de réagir de manière adaptée à ce type de situation si elle s’y trouve confrontée.

Cette mesure ressemble de très près à une pratique militaire connue sous le nom de "sauvetage au combat" ou encore "secourisme au combat de niveau 1". Cette pratique a été créée à la suite de l'embuscade d'Uzbeen en Afghanistan en 2008 qui provoqua la mort de plusieurs soldats français. Le sauvetage au combat a été mis en place par le Service de Santé des Armées et correspond à la capacité qu'ont les soldats déployés en opération à pouvoir se porter secours mutuellement en cas de traumatismes subis. Les soldats sont équipés d'une dotation leur permettant de se faire eux-mêmes des soins d'urgence ou de les prodiguer à un camarade blessé le temps qu'une équipe médicale puisse le prendre en charge.

La formation aux "gestes qui sauvent" ne va pas aussi loin puisqu'elle ne s'accompagne pas d'une dotation en matériel pour les citoyens. Cette formation leur apprend les bons réflexes pour porter secours rapidement et efficacement à un blessé le temps que les services de secours arrivent sur les lieux. Une phrase d’une citoyenne parisienne témoigne des apports de cette formation « Je préfère m’imaginer en sauveteur potentiel qu’en victime potentielle…. » (Source : Le monde). Cette phrase en dit long sur les valeurs transmises aux citoyens par une préparation, même minime, à la menace terroriste sur notre territoire. Le fait que les citoyens formés ne se perçoivent pas en victime représente un changement important dans leur comportement. Ce changement tend vers celui d’une résilience sociétale et d’un recentrage sur des valeurs fraternelles à l’image de celle entretenue par les « frères d’armes » déployés en opérations extérieures au service de la nation.

http://circulaires.legifrance.gouv.fr/index.php?action=afficherCirculaire&hit=1&retourAccueil=1&r=40397

http://www.asnom.org/media/Bulletin_128_Sauvetage_combat.pdf?PHPSESSID=609775da8e3e1b18f113beb7c261a00a

Toutes ces techniques pré-hospitalières contribuent à l'existence d'une qualité de service unique pour les citoyens afin de préserver leur vie dans des conditions optimales. L'expérience acquise par les armées sur les théâtres d'opérations extérieures permet aujourd'hui de fournir des repères communs aux services de secours pour appréhender ce type de situation opérationnelle sur le territoire national.

A. GAUTIER, CERISC, ENSOSP

Webgraphie :

Publié le 10/02/16 à 09:42