Portail National des Ressources et des Savoirs

Texte juridique

La gestion des situations d'urgence, les leçons apprises de la catastrophe de Fukushima et les exercices de crise

Dans le numéro 201 de la revue Contrôle (décembre 2016-janvier 2017), l'ASN a souhaité aborder différents sujets en lien avec la pratique du retour d'expérience dans le secteur de l'industrie nucléaire mais aussi dans le cadre de la gestion du risque inondation (exercice EU Sequana 2016 relatif à la gestion de la crue centennale de la Seine). Ce numéro aborde la remise en question opérée par les principaux acteurs du secteur nucléaire en France comme en Europe pour la gestion des situations d'urgence. Il s'agit des leçons apprises de la catastrophe de Fukushima au Japon qui, six ans après (le 11 mars prochain), génère encore de nombreuses difficultés à gérer pour la décontamination des zones habitées. Enfin, ce numéro traite des exercices de crise et de leur importance dans la préparation à des situations dégradées et urgentes à gérer.

Partie 1 – Analyse de l’accident de Fukushima et leçons apprises (p. 4)

Les réflexions menées dans ce document mettent en évidence une autre façon d’appréhender les situations d’urgence et de crise notamment dans leur phase post-accidentelle avec le besoin de développer une culture du risque plus prégnante auprès des populations. Le retour d’expérience des évènements japonais a permis de mieux prendre en compte les facteurs sociaux, organisationnels et humains. En Europe, la culture du nucléaire est principalement fondée sur la robustesse des installations avec une approche technique du risque et non sociale. La sûreté est pensée par la résilience de l’ingénierie des systèmes. Jusqu’à la catastrophe de Fukushima, la prise en compte de la protection des populations et de la gestion post-accidentelle de la crise n’avait pas été prise en compte. Le retour d’expérience a mis en avant l’importance des dégâts psychologiques, sociaux et économiques qui n’avaient pas été prévus et qui ont eu un impact bien plus élevé que les conséquences physiques attendues. Il n’y a pas eu d’augmentation significative de cancers de la thyroïde suite à l’accident de Fukushima. En revanche, la fracture sociale créée par cette catastrophe se révèle bien plus complexe à gérer car elle met en exergue la volonté des générations les plus anciennes à revenir vivre dans leurs villages en zone contaminée là où les nouvelles générations ne veulent plus habiter par crainte des risques et suite au traumatisme causé par la catastrophe nucléaire qui n’a pas été bien gérée.
Ces situations ont suscité un apprentissage à la gestion post-accidentelle ce qui n’avait jamais été envisagé jusque-là. Comment faire vivre un village sans commerces, sans services de soins et sans population active ? Un accident nucléaire occasionne un bouleversement sans précédent des conditions de vie des populations situées dans des zones de décontamination. Ce n’est pourtant pas la première fois que cette situation se produit, elle avait déjà été observée à Tchernobyl dans les années 1980. Les habitants se sentent démunis, abandonnés, ils sont inquiets des effets sur leur santé et celle de leurs enfants. Pour réduire les effets de ces changements, il est important de déterminer des procédures adaptées à la vie dans des zones contaminées. Il y a les mesures prises par les experts mais aussi celles qui sont prises par les habitants eux-mêmes afin de les sensibiliser à une culture pragmatique de la radioprotection et de savoir où ils doivent se déplacer, comment ils doivent s’alimenter…… Il faut leur apprendre à utiliser ces indices de mesures comme des normes et non à les interpréter comme des critères de prise de décision les amenant à quitter la zone contaminée. Cet apprentissage de la mesure est considéré comme une co-expertise puisqu’il s’agit de favoriser l’autonomie des habitants par une capacité à adopter les bons comportements et à développer des bonnes pratiques pour vivre dans un environnement contraignant. Cet apprentissage de nouvelles règles de vie implique également la création de lieux de dialogue pour permettre un partage des bonnes pratiques entre les différentes communautés concernées. Il est important de maintenir une capacité à agir des habitants en les associant aux démarches et aux pratiques de décontamination.
Lors de la catastrophe de Fukushima, les autorités se sont rendues compte trop tardivement que la préparation et la capacité de réponse du pays aux situations d’urgence n’étaient pas du tout maîtrisée. Plusieurs solutions ont été mises en œuvre sans réelle efficacité, ni coordination des actions sans compter le temps de leur mise en œuvre pour conduire chaque fois à un échec ne permettant pas de revenir à une situation normale et contrôlée. La culture de sûreté fortement ancrée dans l’évitement des grandes catastrophes par une résilience des systèmes n’a pas permis la mise en œuvre de solutions adaptées et suffisantes car le scénario d’un tsunami qui détruirait les fondations en béton censées protéger la centrale n’avait jamais été envisagé. Quels enseignements ont été tirés de cette situation par les acteurs du nucléaire français ?
 

Partie 2 - La gestion des situations d’urgence pour une évolution de la planification de la gestion de crise (p. 12)

Avec la catastrophe de Fukushima, de nombreux pays ont revu la planification de leur processus de gestion de crise pour y intégrer les leçons apprises par le Japon. En France, un plan national de réponse a été élaboré afin de mieux prendre en compte le risque d’évènement catastrophe et la protection des populations. Ce plan tient compte de l’évolution des techniques de modélisation et de mesure permettant d’anticiper sur les conséquences possibles d’un accident (p. 14). Le plan intègre des éléments de doctrine post-accidentelle qui ont étendu le périmètre des PPI défini initialement à une distance de 10 Km et étendu depuis à 20 Km (règlementation mise en œuvre le 26/04/2016 par le ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer). Cette mesure est cohérente avec la normalisation européenne proposée par deux associations HERCA et WENRA pour une meilleure coordination transfrontalière des actions de protection durant la première phase d’un accident nucléaire. Ce document prévoit notamment la création d’une zone d’évacuation jusqu’à 5 Km autour des centrales nucléaires et une préparation de la protection des populations jusqu’à 20 Km. Une plus grande importance est donnée à la phase post-accidentelle avec la doctrine CODIRPA (2011) afin de mieux protéger les populations exposées au risque nucléaire et de mieux gérer les effets de la situation de crise sur le long terme.

La doctrine CODIRPA permet d’organiser la gestion de la phase post-accidentelle. Cette doctrine implique une acculturation au risque nucléaire et de la radioprotection de la population située dans les bassins de risque. L’implication du citoyen en tant qu’acteur pour sa sécurité est un axe essentiel de la politique de gestion de crise développée par les exploitants et le gouvernement. Parmi les mesures préventives et d’acculturation, la distribution de pastilles d’iode auprès des populations localisées à proximité des centrales nucléaires en fait partie. Cette culture du risque est ancrée et portée par les territoires et notamment les élus pour inciter les citoyens à prendre conscience du risque nucléaire. Cette perception est d’ailleurs très hétérogène, elle est soit très exagérée amenant la population à ne pas retirer ses comprimés d’iode en pharmacie car une catastrophe nucléaire signifie qu’aucun traitement ne sera suffisant pour les protéger. A l’inverse, d’autres ont une confiance absolue dans le caractère technologique et la fiabilité du fonctionnement des installations. La prise en compte d’un risque faible compensé par la prise d’un comprimé pour éviter des problèmes de santé thyroïdiens n’apparaît pas essentielle pour les uns comme pour les autres. Il n’y a donc pas de réelle appropriation du risque lorsque les citoyens ne s’inscrivent pas eux-mêmes dans la démarche de retrait d’une boîte de comprimés en pharmacie, la difficulté étant que cette boîte n’est pas sans rappeler l’existence d’un risque bien réel et pour lequel il faut se préparer. La volonté des autorités est de transformer la boîte de comprimés en « objet transitionnel » (p. 39) pour favoriser une conscientisation du risque auprès des populations. Il s’agit là de la première étape pour une culture du risque radiologique, il importe que l’acquisition de cet objet soit accompagné des bonnes pratiques comme le rangement de cette boîte dans un endroit facile d’accès en cas d’alerte. Il y a donc le sens donné à la boîte de comprimés pour favoriser la représentation du risque mais il y a aussi l’usage qui en est fait pour adopter un comportement responsable et protecteur en cas de risque avéré et d’alerte déclenchée.

La catastrophe de Fukushima a introduit une nouvelle réflexion sur la gestion des situations d’urgence radiologique en amenant les exploitants à s’interroger sur les capacités de leur organisation à faire face à une situation similaire. Chez EDF, la FARN (Force d’Action Rapide Nucléaire) a été créée en vue d’assurer le maintien en activité d’un site nucléaire accidenté par l’apport de moyens de réalimentation en électricité, en eau et en air (p. 21). L’organisation d’EDF met en évidence sa capacité à développer des moyens d’actions lui permettant d’assurer la continuité de son activité et de pouvoir gérer la crise en limitant les effets par des solutions adaptées. Les outils de gestion de crise sont donc évolutifs au sein des organisations nucléaires et font l’objet d’un apprentissage permanent au moyen des retours d’expérience internes et externes et par leur mise à l’épreuve au moyen d’exercices dont les scénarios sont construits sur la base des situations réelles.
 

Partie 3 - La réalisation des exercices pour renforcer le système de réponse et faire évoluer les pratiques de gestion (p. 41)

Le retour d’expérience issue des exercices comme des situations réelles a permis aux différents acteurs de travailler sur trois axes majeurs : la cohérence de la communication ; l’implication de la société civile et la coordination transfrontalière. La pratique du retour d’expérience s’inscrit dans une logique de fiabilité des systèmes de réponse et d’amélioration continue. Les exercices permettent de mettre en évidence les dysfonctionnements de certaines règles et procédures testées. Le retour d’expérience contribue à l’analyse de ces dysfonctionnements afin de mettre en place les actions correctives pour renforcer collectivement la qualité du dispositif.

Un système de gestion de l’information doit garantir la fiabilité de l’information et sa confidentialité. La difficulté du secteur nucléaire vient de la complexité des systèmes et des effets engendrés par une situation dégradée et de la communication des informations entre les experts et les autorités pour assurer une cohérence du message adressé aux citoyens concernés. La principale problématique relevée est la crédibilité des acteurs pour garantir la confiance et le respect des procédures. Dans cet objectif, la pression médiatique simulée (PMS) va favoriser le développement de plusieurs facteurs de crédibilité tels que la transparence de l’information, l’empathie qui traduit une posture bienveillante qui doit susciter la mobilisation des citoyens qui sont parties prenantes du dispositif et la compétence des différents acteurs de la gestion de crise. Les réseaux sociaux sont également pris en compte dans les exercices de communication en raison de la rapidité des échanges et des risques liés à la « viralité » et à la diffusion d’informations incohérentes ou non fiables.  Il est important de sensibiliser tous les acteurs de la gestion de crise nucléaire, de l’exploitant aux organismes de contrôle de la sûreté jusqu’aux autorités de renforcer la cohérence et la clarté de leur communication afin qu’un seul et même message soit exprimé pour éviter les biais de la désinformation et de l’interprétation. Dans le cadre des exercices de crise, la MARN (Mission d’Appui à la gestion du Risque Nucléaire) de la DGSCGC assure la coordination de la communication entre les différents acteurs. Elle s’occupe plus spécifiquement de la pression médiatique simulée afin d’observer la cohérence des messages qui sont transmis par les différents acteurs. Elle assure également un accompagnement pédagogique des préfectures pour les réponses à apporter notamment pour les actions de protection des populations.
 

Partie 4 – La gestion de crise pour le risque inondation par le développement d’une culture du risque apprise par les exercices (p. 59)

La dernière partie de ce numéro est consacrée à la préparation de la gestion de la crue centennale de la Seine mettant en évidence le rapport entre préparation et situation réelle vécue afin de tirer des enseignements des situations de gestion. Un phénomène de crue important a eu lieu en juin 2016 soit trois mois après la mise en œuvre de l’exercice EU Sequana 2016. La mise en œuvre de l’exercice a permis d’identifier une insuffisance dans la prise en compte de ce type de risque par plusieurs PME situées en zone inondable. Il a en outre permis d’identifier les difficultés liées aux réseaux sanitaires pour l’assainissement impliquant l’évacuation d’un nombre plus important de personnes qu’initialement prévu. Enfin, l’exercice a permis des échanges entre les différents participants qui n’auraient pas eu lieu sans cette préparation. L’exercice a facilité la gestion de la crue réelle en juin en permettant de lancer rapidement les premières actions réflexes.

Le principe d’un exercice ne consiste pas à représenter une situation réelle dans toutes ses dimensions car une part d’incertitude persiste toujours entre une situation simulée et une situation réelle. L’objectif des exercices est de favoriser la préparation des acteurs à se coordonner et à mettre en œuvre les outils et les plans nécessaires à la gestion d’un évènement mettant en exergue les difficultés rencontrées et donnant lieu à des questionnements qui n’avaient pas été pensés lors de la conception du scénario. Les exercices permettent de tester les procédures, de savoir les appliquer, de former l’ensemble des acteurs concernés par la gestion d’un évènement et de s’y préparer en tirant des enseignements de chaque scénario et en capitalisant une expérience fondée sur une approche des situations réelles. L’acquisition de routines pour la mise en œuvre des procédures et l’apprentissage permis par les différents scénarios sont un facteur de résilience pour une organisation fiable et en capacité d’absorber les difficultés liées à une situation dégradée et au maintien d’une certaine vigilance dans la perception des signaux faibles.

Dans le domaine de la gestion de crise, la réalisation d’exercice stimule la créativité à partir des situations réelles et des difficultés rencontrées par les organisations impactées comme cela a été le cas de la centrale de Fukushima. Ces exercices conditionnent la bonne préparation aux situations par un apprentissage mutuel des différents acteurs pour agir sur la situation et en minimiser les effets. Au sein du milieu nucléaire, la multiplicité des acteurs nécessaire à la gestion d’un accident ou d’un problème génère une coordination fine des actions à mener et une gestion de l’information cohérente, rigoureuse et maîtrisée dans l’objectif d’engager les bonnes actions favorables à une sortie de crise rapide et à la prise en compte des effets à plus long terme sur les populations et la réflexion menée a posteriori sur la gestion des opérations. Dans la réalité comme dans les exercices, il faut retenir que la pratique du retour d’expérience est indispensable pour percevoir les écarts et dégager des axes d’améliorations de manière continue. Le retour d’expérience est un vecteur d’apprentissage essentiel pour toute organisation confrontée à des situations de crise.

A. GAUTIER, responsable du Laboratoire de Management et de Pilotage des Organisations, CERISC (ENSOSP)