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Fiche pratique

REVUE FRANÇAISE DE GESTION Dossier « Performance collective en contexte extrême » Sous la direction de Cécile Godé, Tessa Melkonian et Thierry Picq Volume 42, n°257, mai 2016, p. 71-151

Définitions :

Sommaire du numéro : Performance collective – Quels enseignements des contextes extrêmes ? C. Godé, T. Melkonian et T. Picq, p. 73-78

Avec ce dossier spécial, les contributeurs s’interrogent sur la performance des équipes en mode projet confrontées à des contextes extrêmes. La question qui a orienté la rédaction de ce dossier concerne les modes organisationnels mis en œuvre dans les organisations pour favoriser la performance des actions. Une autre question concerne le maintien  des structures organisationnelles dans des contextes par nature évolutifs, incertains et risqués. Ce dossier soulève différents points relevant spécifiquement de ces organisations telles que la compétence collective des équipes confrontées à des contextes extrêmes. Cette compétence tend pourtant à caractériser la performance nécessaire pour la conduite des actions. Un second point caractérise la notion d’imprévu qui est souvent liée à la nécessité de construire du sens au sein des équipes. Cette notion renvoie donc explicitement au développement d’une capacité d’adaptation et de créativité pour repenser l’action située lorsque le contexte ne permet pas d’appliquer les codes habituels et standards des organisations. La notion de crise est également abordée. Elle est définie par Godé, Melkonian et Picq comme « un évènement exceptionnel, soudain, s’amplifiant rapidement et conduisant au développement d’un processus de haute turbulence » (2016, p. 75). Ainsi, il faut comprendre qu’une organisation évoluant en contexte extrême n’est pas une organisation en situation de crise car elle développe des capacités et des moyens lui permettant de faire face aux différentes situations qu’elles rencontrent.

Objectifs :

Découvrir et comprendre les études des chercheurs français sur les organisations en contexte extrême

Contenu :

État et développement d’un programme de recherche – Management des situations extrêmes, P. Lièvre, p. 79-94

Résumé : L’émergence d’une économie de la connaissance amène les managers à être confrontés à des situations de gestion que l’on qualifie d’extrêmes parce qu’elles se déploient dans un contexte évolutif, incertain et risqué. L’auteur explore dans cet article différentes pistes pour dégager des règles de gestion propres à cette classe de situations, à partir de terrains comme les expéditions polaires. Les résultats mettent en évidence trois registres d’intelligibilité : la construction du sens, les capacités d’ambidextrie organisationnelle et les dispositifs d’expansion des connaissances.

Commentaires : Les propos de Lièvre mettent en avant les enseignements émergeants du programme de recherche sur le management des situations extrêmes. La définition d’une situation extrême de gestion se base sur trois critères. Le premier critère est défini par une situation qui évolue dans le temps. Une situation marquée par une forme de rupture entre un « avant » et un « après ». Le second critère est défini par une situation marquée par l’incertitude ce qui la rend difficile à anticiper. Le troisième critère défini une situation risquée qui est susceptible d’impacter totalement ou partiellement l’organisation. Lièvre propose alors d’explorer les points de vue des acteurs et leurs interprétations des situations extrêmes de gestion. Pour cela, il utilise deux critères que sont le degré d’engagement d’un acteur dans la situation et les attentes des acteurs dans le cadre de leur activité. Le degré d’engagement est défini par l’importance que l’acteur donne au projet pour lequel il a choisi de s’engager. Les attentes des acteurs sont exprimées à travers la sensibilité ressentie dans la conduite et/ou la participation à un projet.

Dans le cadre des contextes extrêmes, la planification représente une activité essentielle mais qui ne doit pas se soustraire à une capacité d’adaptation des acteurs aux évolutions de la situation. Le plan constitue une ressource au sens d’une connaissance pour l’action mais ne doit pas représenter un guide à suivre scrupuleusement au dépend d’une posture permanente d’adaptation (2016, p. 86). D’autres enseignements émergent des expéditions polaires tels que le besoin d’une capacité à mobiliser différents types d’action. Ces logiques sont complémentaires et se traduisent par une logique d’anticipation et d’adaptation ainsi qu’une logique d’exploitation et d’exploration. L’auteur nomme ces capacités la double ambidextrie organisationnelle. Il s’agit de deux logiques définies par une dualité marquée par l’opposition. Dans la première (anticipation/adaptation), la question posée est de savoir si il faut anticiper et élaborer un plan qui va guider l’action minutieusement ou alors plutôt privilégier une capacité d’adaptation à la situation. Dans le second registre (exploitation/exploration), la question posée est de savoir si il faut mobiliser des compétences acquises (exploitation) ou si il faut explorer de nouvelles solutions jamais mises en œuvre (exploration). Lièvre insiste sur la mobilisation de ces différents registres en fonction des situations rencontrées par les acteurs. Il n’y a pas un registre à privilégier plutôt qu’un autre, tout dépend des situations rencontrées par les différents acteurs et des capacités de ces derniers.

La discipline, dimension oubliée de l’action en contexte extrême ? L’exemple des sapeurs-pompiers de Paris, A. Dietrich, J. Riberot et X. Weppe, p. 95-110

Résumé : Cet article rend compte d’une étude empirique approfondie de la gestion des incendies au sein d’une unité militaire d’élite : la Brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris. Il souligne l’intérêt d’une lecture croisant les littératures sur les situations extrêmes et sur les organisations à haute fiabilité pour mettre en évidence le rôle des règles dans la lutte contre le feu et la capacité de l’organisation à apprendre des situations imprévues vécues par les sapeurs-pompiers. Puis il montre le rôle de la discipline telle que l’appréhende Foucault pour comprendre comment fiabilité et flexibilité s’articulent.

Commentaires : Les auteurs se sont inspirés des travaux du courant HRO (High Reliability Organization) afin de rappeler qu’une organisation de structure bureaucratique peut parfaitement être flexible dans son mode de fonctionnement afin d’assurer une capacité de résilience nécessaire au maintien et à la gestion de son activité. Les standards (ou normes) représentent une ressource nécessaire dans la gestion des contextes extrêmes. Les auteurs évoquent ensuite différentes caractéristiques spécifiques à la BSPP telles que l’interchangeabilité des acteurs qui permet une gestion des opérations en continu avec des cycles de récupération nécessaire au reconditionnement des agents, le taux de sollicitation pour les interventions étant très élevé à Paris. La confiance apparaît comme une valeur essentielle et partagée par tous les acteurs envers leur hiérarchie, leurs subordonnés et leurs équipiers. La confiance doit exister avant l’action et se renforcer pendant l’action et les différentes manœuvres d’entraînement ou encore la vie en casernement. La fraternité d’armes correspond à une valeur essentielle de la confiance qui conditionne l’efficacité des agents en opération. La vie en collectivité est donc mise en exergue pour le développement de l’identité collective. De cette façon, la caserne devient une deuxième famille au sein de laquelle les agents se sentent solidaires les uns des autres. Au sein de la BSPP, une différence est faite entre le commandement et le management. Le commandement est utilisé en situation opérationnelle par l’affectation des ordres et la prise de décision. Le management est réservé à la vie en caserne et se défini comme porteur de « développement et de reconnaissance ». Il est donc essentiel de valoriser les agents et d’entretenir des liens sociaux forts pendant les opérations mais aussi en-dehors pour garantir la cohésion sociale et la valorisation des hommes. Les auteurs insistent sur le fait que le mode de fonctionnement de la BSPP est construit sur une structure militaire proche de celle d’un état-major otanien ce qui lui vaut un rapprochement avec la structure américaine de l’ICS (Incident Command System). Les auteurs écrivent p. 106 « […] cette machinerie sociotechnique révèle l’omniprésence d’un système de règles encadrant très précisément les opérations, planifiant la marche à suivre et le cadre d’engagement, définit une structure des rôles où le commandement joue un rôle majeur ». Le mode organisationnel de la BSPP permet ainsi de faire face à une grande diversité de situations extrêmes de gestion. Pour argumenter leur propos, Dietrich, Riberot et Weppe identifient deux capacités : une capacité d’apprentissage permanente et une capitalisation des expériences vécues. Les modes opératoires et les standards sont réactualisés en fonction des retours d’expérience ce qui permet à l’organisation d’évoluer. Une autre caractéristique tient dans la flexibilité de l’organisation (chaîne de commandement) et la capacité d’adaptation aux évolutions de la situation. Les règles de conduite favorisent le bon fonctionnement de l’organisation en conférant un sens aux décisions prises et aux actions menées. Les auteurs expliquent que l’observation du règlement tient à une autre hypothèse qui est celle de la discipline, héritage d’une culture militaire et, elle aussi, essentielle au bon fonctionnement de l’organisation.

Prise de décision et contextes extrêmes – le cas des acteurs d’une chaîne des secours d’urgence, J. Guarnelli, J-F Lebraty et I. Pastorelli, p. 111-127

Résumé : Cet article vise à comprendre comment un décideur expert se comporte dans une situation d’urgence. Pour ce faire, il s’inscrit dans l’approche naturaliste de la décision. Cette recherche a pour terrain les acteurs de la chaîne de secours confrontés à des situations médicales d’urgence. Face à une situation d’urgence, un décideur peut se fonder soit sur son expérience (information interne), soit sur des informations externes (le comportement d’autres décideurs). Les résultats révèlent un taux très élevé d’initiateurs de décision, c’est-à-dire de décideurs se fondant sur leur expérience. Ils mettent en lumière l’apparition de décisions inédites face à des situations uniques. Les auteurs expliquent ces décisions par la capacité d’un expert à tisser des liens entre plusieurs expériences passées pour proposer une solution hybride adaptée à une situation inédite.

Commentaires : Cet article s’intéresse à la prise de décision par les acteurs considérés comme des « experts » en situation d’urgence. Pour les auteurs, l’expert n’est pas celui qui détient une connaissance fine d’un domaine d’activité mais celui qui détient la plus grande capacité à ajuster ses capacités cognitives à ses capacités d’action. Pour eux (p. 114), « l’expertise consiste à mettre en œuvre des décisions applicables avec le temps et les savoir-faire disponibles ». Dans le courant naturaliste de la prise de décision, le modèle établi par Klein de « Recognition-Primed decision » (RPD), les auteurs ont mené leur réflexion auprès des sapeurs-pompiers du SDIS 06 et de médecins urgentistes du SAMU 06. La réflexion concerne l’évolution des protocoles mis en place dans le cadre de l’aide médicale urgente. Ces techniques s’inspirent des pratiques militaires éprouvées sur les théâtres d’opérations extérieurs telles que le « damage control ». Le protocole a fait l’objet de nombreuses évolutions en terme de pratique et notamment de prise en charge afin de limiter le nombre de décès pendant le transport des victimes jusqu’à une structure hospitalière. Selon les cultures des pays, la prise en charge s’effectue au plus vite pour que la victime soit traitée dans une structure adaptée au sein de laquelle elle bénéficiera des premiers soins avant son transfert à l’hôpital. L’analyse des entretiens conduits par les acteurs permet d’entrevoir différents points. La décomposition de la prise de décision s’effectue en plusieurs étapes selon le caractère routinier ou non des prises de décision. Les auteurs identifient les décisions dites « initiatrices » pour lesquelles le décideur fait le choix d’une décision qui ne correspond pas à celle de ses homologues. Puis il y a les décisions reproduisant celles qui ont été prises par les homologues et pour lesquelles le décideur apparaît comme un suiveur dans la mesure où il se conforme aux décisions prises initialement par ses prédécesseurs. Dans une grande majorité des cas, l’étude fait ressortir que les acteurs prennent des décisions en tant qu’initiateur dans la mesure où leur représentation de la situation converge avec leurs décisions. Ce constat a été observé par une technique d’hybridation des expériences passées. Cela signifie que l’acteur n’a jamais vécu cette situation mais qu’il est parfaitement capable de se projeter pour prendre une décision définie à partir d’une capitalisation de ses connaissances. C’est en puisant dans son répertoire de connaissances acquises que l’acteur parvient à développer une capacité lui permettant de s’adapter à une variété de situations. Ainsi, le décideur prend la décision selon plusieurs facteurs. Il y a tout d’abord la perception d’indices dans la situation. L’acteur va puiser dans son répertoire de connaissances afin de pouvoir mobiliser des actions mises en œuvre dans le cadre d’expériences passées. Ce mode de fonctionnement cognitif met en évidence la capacité qu’ont les acteurs à analyser une situation réelle tout en se référant à des expériences passées qui seront combinées pour prendre de nouvelles décisions. Ainsi, le modèle RPD est mis en application par les acteurs mais n’est pas limité par des correspondances du cours de l’action tenant compte de la diversité des expériences passées qui se combinent pour la mise en œuvre d’une décision jamais mise en œuvre avant.

Comment vaincre l’anxiété en situation extrême ? Les secrets du GIGN, unité d’élite de la gendarmerie nationale, G. Sala et C. Haag, p. 129-147

Résumé : En se fondant sur différents travaux de recherche et en s’appuyant sur les données qualitatives collectées auprès de la force « intervention » du GIGN, cet article tente de mieux comprendre les mécanismes de régulation émotionnelle de l’anxiété en situation extrême. L’étude révèle que la stratégie de réévaluation cognitive est la plus efficace et qu’à partir d’un certain seuil d’anxiété, les individus optent pour une stratégie de régulation émotionnelle inefficace. Finalement, les auteurs proposent un modèle en quatre étapes permettant de réguler plus efficacement l’anxiété.

Commentaires : Les auteurs ont fait le choix de travailler sur l’impact de l’anxiété dans la prise de décision en situation extrême afin d’observer de quelle façon cette émotion peut être bénéfique ou, au contraire, nuisible au bon déroulement du cours de l’action. Les auteurs ont donc souhaité observer les stratégies de régulation mises en place afin de limiter les effets de l’anxiété au sein des unités d’élite (forces d’intervention) du GIGN. Les stratégies de régulation émotionnelles contribuent à une prévention de ce syndrome par une plus grande préparation à un état de résilience des agents. Dans la gendarmerie, l’anxiété correspond à un état émotionnel lié à une menace potentielle vécue dans le cadre de l’activité. Les auteurs évoquent deux stratégies envisageables pour la régulation des émotions. La première stratégie identifiée correspond à une stratégie dite de réévaluation cognitive qui permet à un agent de gérer ses émotions négatives en restant concentré sur les objectifs de sa mission et en occultant la nature de la situation dans laquelle il se trouve impliqué. Cette stratégie est la plus couramment mise en œuvre. L’autre stratégie est celle de la technique dite de « suppression expressive ». Cette technique consiste à « masquer » les émotions par une attitude neutre dans des situations particulièrement hostiles. Dans ce cas, les émotions ne sont pas contenues et elles peuvent donc ressurgir une fois la situation passée.

D’une manière générale, les auteurs observent que les unités du GIGN utilisent majoritairement la technique dite de réévaluation cognitive car elle présente un taux d’efficacité beaucoup plus élevé. La technique de suppression expressive est utilisée uniquement dans les cas où l’anxiété est très élevée. Les auteurs parlent de l’emploi de cette stratégie dans des situations où il faut éviter le phénomène de contagion émotionnelle à l’ensemble du groupe ce qui aurait pour conséquence l’échec de la mission. Ainsi ces deux stratégies peuvent être utilisées par les agents dans une même situation en fonction de l’évolution de la menace et du danger auquel les agents se trouvent exposés. En outre, il faut comprendre que si la stratégie de réévaluation fait l’objet de nombreux entraînements et de préparation pour sa mise en œuvre. La stratégie d’expression suppressive implique davantage une réaction instinctive du corps confronté à une situation de stress élevé. Dans leur article, les auteurs expliquent que le développement d’une capacité de régulation des émotions (stratégie de réévaluation cognitive) n’est possible que grâce à un travail de préparation accru. Un autre facteur contribue au développement de cette capacité, il s’agit de la confiance en soi, en l’équipe et aux équipements. Enfin, la concentration leur permet d’agir. C’est en étant concentré sur l’objectif de la mission que les agents sont en capacité de pouvoir l’accomplir. Enfin, le partage intervient a posteriori des opérations avec le retour d’expérience. Dans le cas du GIGN, le retour d’expérience s’apparente à une évaluation de la performance de la mission avec l’ensemble des membres de l’équipe. Les enseignements tirés de chaque mission sont ensuite injectés en tant qu’apprentissage dans la préparation. Le regard porté par les autres membres sur soi-même permet d’apprendre et d’évoluer. Ce principe impose également une certaine humilité au regard des constats qui sont rapportés. Cette phrase de partage et d’échange est d’autant plus importante qu’elle conditionne la compréhension des situations vécues et des actions menées. Pendant un assaut, les échanges sont brefs. C’est donc a posteriori que la verbalisation des situations permet de comprendre pour apprendre et bien sûr d’améliorer les techniques, le matériel et les comportements. Enfin le partage d’expérience permet de renforcer la cohésion sociale par le nécessaire « lâcher prise » à l’issue d’opérations fortes en émotions.

A. GAUTIER, Responsable du LAMAP au centre d’Etudes et de Recherche Interdisciplinaires de la Sécurité Civile (CERISC, ENSOSP)

Bibliographie :

Revue accessible en ligne à cette adresse (la lecture des articles est payante) : http://rfg.revuesonline.com/articles/lvrfg/abs/2016/04/contents/contents.html

Revue disponible au CRD de l’ENSOSP

Webgraphie :

Publié le 08/09/16 à 11:14