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Regard jurisprudentiel sur le sens donné par les juridictions au devoir de réserve des sapeurs-pompiers

Le devoir de réserve

12/05/22

L’actualité des élections présidentielles et législatives invite chacun des citoyens à se positionner, à débattre et à défendre ses positions politiques. Pourtant, les agents publics sont limités dans leur liberté d’expression : c’est le devoir de réserve. A l’heure où l’actualité se polarise sur les débats de société autour des élections, retour sur cette obligation déontologique par un regard jurisprudentiel.
 
L’obligation de réserve faite aux agents publics n’est inscrite nulle part dans les lois ou les statuts de la fonction publique. En effet, à la création des statuts, le ministre de la fonction publique avait exclu l’inscription d’un devoir de réserve, estimant que l’appréciation du droit d’expression des fonctionnaires relevait du juge. Il est vrai que le droit fondateur en la matière est issu d’un arrêt du Conseil d’Etat de 1935[i] qui consacre le devoir de réserve. C’est également la jurisprudence qui se chargera également de délimiter et de définir la notion.

La jurisprudence (plus ou moins) récente nous rappelle quelques-uns de ces principes fondateurs : 

 

Conseil d’État, 7ème & 2ème chambres réunies, 27 juin 2018, req. n°412541 

  • S’exprimer sous pseudonyme ne dispense pas l’agent de son devoir de réserve. 

En l’espèce, un Capitaine de la Gendarmerie nationale avait publié sur des médias en ligne des « articles polémiques sur des sujets relatifs à la politique menée par le Gouvernement ». Pour ces publications, le militaire avait reçu un blâme de sa hiérarchie alors même que ces productions étaient publiées sous pseudonyme.  

Le Conseil d’État va confirmer la sanction administrative infligée par le commandant de région, estimant en effet que le gendarme avait violé le devoir de réserve auquel il était tenu en tant que militaire. Il va estimer que sa liberté d’expression a été légitimement limitée. 

Ce qu’il faut retenir de cet arrêt du Conseil d’État, c’est que les agents publics peuvent voir leur responsabilité engagée alors même que les faits constitutifs de la violation du devoir de réserve sont commis hors du service. L’agent public est donc soumis au devoir de réserve, même en dehors du service, dans sa vie personnelle. En sus, il convient de noter que le militaire sanctionné n’exploitait en rien les moyens du service : il se contentait, dans ses articles, de critiquer les politiques de défense et des affaires étrangères menées par le gouvernement. Néanmoins, il indiquait à ses lecteurs sa qualité de militaire en précisant être un ancien élève de l’école militaire de Saint-Cyr et de l’école des officiers de la Gendarmerie.  

 

Conseil d’État, 7ème & 2ème chambres réunies, 22 septembre 2017, req. n°404921 

  • Les militaires de réserve sont également soumis au devoir de réserve. 

En l’espèce, un général des armées placé dans la deuxième section (mise à disposition du ministère des armées) avait été sanctionné par sa hiérarchie pour avoir été l’organisateur d’une manifestation maintenue malgré son interdiction par le préfet. Il était reconnu également que cet officier avait pris publiquement la parole, au cours de la manifestation, devant la presse pour « critiquer de manière virulente l’action des pouvoirs publics, notamment la décision d’interdire la manifestation, et l’action des forces de l’ordre, en se prévalant de sa qualité d’officier général et des responsabilités qu’il a exercées dans l’armée ». 

Le Conseil d’État va confirmer la sanction disciplinaire en estimant que le général, quand bien même il relevait de la seconde section (c’est-à-dire qu’il n’exerçait plus de fonction dans l’active), était soumis à l’obligation de réserve qui incombe aux militaires. En effet, lors de ses déclarations aux médias, le militaire s’était prévalu de sa qualité d’officier général et des responsabilités qu’il avait pu exercer. 

Ce qu’il faut retenir de cet arrêt du Conseil d’État, c’est que la liberté d’expression est limitée pour les agents publics dans son acception la plus large. Ainsi, cet arrêt laisse entendre que même des agents « occasionnels » sont tenu au devoir de réserve, tout comme les agents à la retraite. Ces agents doivent rester neutres même lorsqu’ils n’exercent pas leurs fonctions. Mais, implicitement, c’est surtout le rattachement possible au service public, que le juge condamne. Ainsi, le fait que le manifestant ait indiqué être un responsable militaire dessert son cas.  

 

Concernant les sapeurs-pompiers, il existe peu de jurisprudence récente en matière de devoir de réserve. Le Conseil d’État avait pu confirmer la fin de fonction d’un directeur départemental adjoint de SDIS[ii] (Article à retrouver sur le PNRS). En revanche, la Cour administrative d'appel de Bordeaux avait pu reconnaitre la disproportion d’une mesure disciplinaire prise pour la violation du devoir de réserve d’un un caporal de sapeur-pompier volontaire[iii] (Article à retrouver sur le PNRS). Certains autres arrêts plus anciens concernant les sapeurs-pompiers ont pu néanmoins fonder des principes généraux : 

 

Conseil d'Etat, 3ème sous-section, 25 novembre 1987, req. n°73942 

  • Liberté d’expression étendue pour les agents représentants syndicaux 

En l’espèce, il s’agissait d’un caporal-chef de sapeur-pompier qui, à l’occasion d’une cérémonie de la Sainte Barbe, avait fait des déclarations portant sur des revendications professionnelles auprès de journalistes présent. Après la publication de l’article et malgré les sollicitations de ses supérieurs hiérarchiques, le pompier avait refusé de solliciter au journal la publication d’un rectificatif. L’agent avait donc fait l’objet d’un blâme.  

Le Conseil d’État va annuler la sanction administrative prise à l’encontre de l’agent en retenant la qualité de représentant syndical de ce dernier. Les revendications concernant uniquement des demandes d’ordre professionnel, et malgré le ton « virulent » adopté, le Conseil n’estime pas que la sanction puisse être justifiée. Il note néanmoins que pourrait être sanctionné le refus de l’agent de solliciter « un rectificatif concernant les propos qui lui auraient été indûment prêtés ». 

Ce qu’il faut retenir de cet arrêt du Conseil d’État, c’est que les agents ayant également une fonction syndicale disposent d’une marge de manœuvre en matière de critique des politiques menées. Mais le juge s’attache néanmoins à encadrer cette dérogation en la limitant ; ici en retenant que les propos concernant des revendications professionnelles. Il faut donc bien retenir qu’un agent, même représentant syndical, est tenu par un devoir de réserve « réduit » mais bien présent.  

 

[i] Conseil d’Etat, sect., 15 janvier 1935, Bouzanquet, req. n°40842 

[ii] Conseil d'État, 3ème sous-section jugeant seule, 04 octobre 2013, M. B c/ SDIS des Vosges, req. n°356131 

[iii] Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre (formation à 3), 21 novembre 2013, n°13BX01847 

Publié le 12/05/22 à 14:13