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Note sur la législation en vigueur

La caméra-piéton : une solution aux incivilités à l’encontre des sapeurs-pompiers ?

21/04/22

Analyse de l’article 57 de la loi n°2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels

- L’obtention et l’utilisation des caméras-piéton est largement encadrée de leur demande à leur port ;
- Les images doivent être sécurisées, les « filmés » informés et les archives détruites après 6 mois ;
- La CNIL veille à la bonne utilisation des caméras.

La caméra-piéton est un système porté par les agents, leurs permettant de procéder à des enregistrements audiovisuels de leur environnement. Pour les pompiers, comme pour les policiers municipaux, ce système de captage vidéo a été mis en place dans le cadre d’une expérimentation qui devait s’étendre de 2019 à 2022[i]. Mais comme souvent dans le cadre des expérimentations, la mesure fut pérennisée avant même qu’un quelconque bilan officiel n’ait été produit dans le cadre de cette expérimentation. C’est donc la loi Matras[ii] qui est venue mettre en place la législation sur le port et l’usage des caméras-piétons pour les sapeurs-pompiers dans le cadre de leurs activités.

Obtenir & utiliser une caméra-piéton

Autorisation préalable. La législation en vigueur impose, pour les unités souhaitant se doter de caméras-piéton, qu’une demande auprès du préfet compétent localement soit réalisée par l’autorité de gestion du SIS d’appartenance. Dans l’attente du décret d’application pris en Conseil d’Etat, le plus cohérent serait aujourd’hui de se reporter au décret mettant en place l’expérimentation qui prévoyait que le dossier à transmettre était composé : d’un dossier technique expliquant le traitement envisagé, de l’engagement de conformité à destination de la CNIL et des éléments relatifs aux modalités et conditions locales de mise en œuvre du traitement.

Utilisation et objectifs. C’est l’article L. 241-3 du code de sécurité intérieur (CSI) qui permet aux sapeurs-pompiers et aux marins-pompiers d’utiliser des caméras individuelles. L’article précise clairement que l’usage se fait exclusivement dans le cadre de leurs missions principales, c’est-à-dire la prévention et la lutte contre les risques de sécurité civile, la protection des personnes, des biens, de l'environnement et des animaux et le secours et de soins d'urgence. Ainsi, cette liste exhaustive sous-entend qu’elle ne peut être utilisée que lorsque les pompiers sont dans le cadre de ces missions, mais pas lorsqu’ils en sortent. En sus, l’enregistrement audiovisuel ne peut intervenir que « lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident de nature à mettre en péril leur intégrité physique ». Cette limitation exclut que l’agent filme en permanence chacune de ses interventions.

Les finalités de ces limitations sont d’ailleurs exposées au paragraphe suivant. En premier lieu, il est rappelé que l’enregistrement est exclu dans les cas où il pourrait remettre en cause le principe du secret médical auquel sont soumis les pompiers[iii]. En effet, briser le secret médical est un délit[iv].  Les finalités des enregistrements sont limitativement énumérées : prévenir les incidents qui pourraient avoir lieu en intervention, constater les infractions, poursuivre les auteurs et assurer la formation et la pédagogie des agents. Concrètement :

  • Concernant la prévention des incidents, il apparait clairement que lorsque l’agent public annonce l’enregistrement de l’intervention, les tensions ont tendance à retomber[v].
  • Concernant la constatation des infractions et la poursuite des auteurs, cela implique que les images pourront être exploitées dans le cadre d’un procès dès lors qu’elles respectent les conditions posées (Cf. paragraphe « Obligation pour les agents »).
  • Concernant la formation et la pédagogie des agents, les images pourront également servir dans le cadre des formations en matière de gestion des risques que représente l’environnement de travail des agents. La transmission aux écoles et aux formateurs est néanmoins encadrée (Cf. paragraphe « Transmission et accès aux images »).

Obligation pour les agents. Pour que les images soient exploitables, plusieurs conditions sont posées par l’article L. 241-3 du CSI. En premier lieu, les caméras doivent être fournies par le service d’affectation. Il est donc exclu que l’agent utilise une caméra personnelle, acquise sur ses propres fonds[vi]. Les caméras doivent ensuite être « portées de façon apparente par les agents ». La plupart des actes réglementaires en la matière préconisent ainsi un port ventral de la caméra-piéton, impliquant de fait le port d’un harnais. Il serait également envisageable qu’elle soit fixée sur la bretelle d’un sac à dos ou d’un équipement porté sous cette forme dès lors que ce dernier n’a pas vocation à être retiré pendant l’intervention. Il est également possible que la caméra soit fixée à l’épaule ou sur un couvre-chef mais cela implique dès lors une adaptation de sa taille.

En tous les cas, les personnes filmées doivent être informées lorsque que l’agent déclenche la caméra. La loi reste assez floue en prévoyant une exception à cette obligation d’information « si les circonstances l'interdisent ». Si cette exception est totalement compréhensible dans le cadre d’une émeute, son encadrement flou devra être interprété dans le cadre jurisprudentiel ou réglementaire. Pour compléter cette obligation d’information, il est prévu que les caméras-piétons soient équipées d’un « signal visuel spécifique » se présentant classiquement comme une lumière, indiquant qu’une captation audiovisuelle est en cours. Le ministre de l’Intérieur est également chargé de mener une « information générale du public sur l'emploi de ces caméras ». Durant l’expérimentation débutée en 2019, le décret imposait une obligation d’information pour les services concernés sur leur site internet et à défaut par voie d’affichage.

Sécurité, utilisation & conservation des images

Transmission et accès aux images. Contrairement à ce qui avait été envisagé au début de l’expérimentation, les images peuvent désormais être transmises en temps réel au poste de commandement ou aux personnels présents sur la même intervention. Exclue initialement dans une logique de protection de la vie privées de personnes filmées, il apparait désormais que la transmission en direct de ces images permet aux personnes commandant les opérations d’être informées sur les potentiels dangers de l’intervention pour les agents. Dans le cadre des interventions de sapeurs-pompiers, cette transmission en direct pourrait permettre la sollicitation directe des forces de l’ordre par les centres de commandement. Pour les autres personnels, ils peuvent être informés en direct de l’avancée de l’intervention même en l’absence de vision directe sur celle-ci.

Les agents eux-mêmes peuvent avoir accès à un retour vidéo sur ce qu’ils filment. Au vu des technologies existantes, ce genre de retour pourrait tant permettre de constituer des preuves matérielles dans le cadre de procès que de permettre aux agents d’être éclairés dans un environnement dégradé, si l’on intègre à ces caméras des technologies particulières (captation thermique, captation infrarouges, captation UV…). Cette hypothèse, qui n’est évidemment pas prévue par la loi, pourrait néanmoins être envisagée dans un cadre opérationnel en l’absence de législation ou de jurisprudence (même s’il en existe un certain nombre sur des caméras thermiques, mais fixes).

La CNIL avait limitativement énuméré les destinataires envisagés dans le cadre de la transmission des captations audiovisuelle au long terme[vii]. Sont envisagés : les directeurs de SDIS et leurs adjoints, ainsi que les commandants de la BSPP et du BMPM et leurs seconds dans une logique hiérarchique, les personnes chargées des enquêtes judiciaires et administratives dans lesquelles les images pourraient être exploités (Cf. paragraphe « Sécurisation et délai d’effacement des images ») & les agents chargés de la formation des personnels (Cf. paragraphe « Utilisation des images pour les formations »).

Sécurisation et délai d’effacement des images. Les caméras qui assurent la captation audiovisuelle doivent permettre de « garantir, jusqu'à leur effacement, l'intégrité des enregistrements et la traçabilité des consultations lorsqu'il y est procédé dans le cadre de l'intervention. ». Concrètement, cette sécurisation permet une exploitation raisonnée entrant dans le cadre légal, mis répondant également aux exigences posées par la CNIL dans le cadre de l’expérimentation. En effet, cette dernière avait déjà envisagé le problème en imposant le transfert des enregistrements sur des supports informatiques sécurisé au retour de service des agents. Elle prévoyait notamment que le responsable du traitement de ces captations audiovisuelles s’engage en conformité devant le CNIL. 

En principe, les enregistrements ne peuvent être conservés pour une durée supérieure à 6 mois. Ce principe s’efface dès lors que les enregistrements sont exploités « dans le cadre d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire ». En effet, dans ce cas, ils peuvent être transmis aux officiers et agents de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale, aux inspecteurs et inspecteurs associés de l’IGSC et/ou à l’autorité de gestion exerçant le pouvoir disciplinaire, les membres des instances disciplinaires et les agents chargés de l’instruction de ces dossiers. Si ces destinataires ne sont pas clairement identifiés dans la loi en question, il est probable que le règlement d’application reprenne en ce sens les recommandations de la CNIL et les mesures prévues dans le cadre de l’expérimentions de 2019

Utilisation des images pour les formations. Dans les finalités des enregistrements, est envisagé l’usage à des fins de formations et de pédagogie à destination des agents. Dès 2019, cette possibilité avait été envisagée, notamment par la CNIL, de permettre la transmission des images aux agents chargés de la formation professionnelle. Dans ce cas, les enregistrements doivent être anonymisés pour être exploités dans le cadre des formations. 

Précisions réglementaires & doctrine

L’absence de décret d’application. Le dernier alinéa de l’article prévoyant le port de caméra-piéton par les sapeurs-pompiers renvoie le soin au gouvernement de préciser ses modalités d’application et les conditions d’utilisation des données captées dans ce cadre par voie décrétale. Or, à ce jour, aucun décret n’a été pris en ce sens. Mais l’absence de décret d’application ne remet pas forcément en cause l’application d’une loi, dès lors que celle-ci est assez précise. Ici, il semble que la précision de la loi sur le port de caméra-piéton par les sapeurs-pompiers soit assez précise en elle-même pour que ce port soit permis. En sus, l’expérimentation de 2019 a permis de dégager une sorte de droit implicite applicable en la matière, quand bien même ces dispositions ne sont plus applicables en théorie.

La place de la CNIL. Il semble que, bien qu’elle ne soit ni législateur, ni juridiction, la source de droit la plus cohérente à suivre soit le CNIL. Dans différents articles publiés sur son site internet, la commission s’est en effet attachée à préciser les dispositions légales en vigueur, à l’instar de ce que la loi commandait au gouvernement. Ainsi, concernant les pompiers, elle s’est notamment attachée à préciser les modalités d’application concrètes du décret d’expérimentation de 2019[viii]. Mais il est également possible de s’intéresser aux dispositions similaires qui existent pour les agents de la police nationale et de la gendarmerie ; mais plus encore de celles afférant aux policiers municipaux[ix] (qui sont eux aussi des agents territoriaux).

La CNIL produit également des avis qu’elle produit à l’issue de contrôle. En matière de caméra-piéton, elle a par exemple mis en demeure une commune qui ne respectait pas les normes en la matière[x]. La commune en question avait équipé sa police municipale de caméra-piéton avec un horodatage défectueux et sans prévoir d’effacement des données après 6 mois comme le prévoit la loi. La mise en demeure fait ensuite l’objet d’un second contrôle, qui, en l’absence d’évolution, peut conduire à une saisine du juge compétent. La pratique tend néanmoins à démontrer une certaine forme d’indulgence de la part des autorités compétentes à l’égard de l’institution des sapeurs-pompiers.

L’avis du juge & de la doctrine juridique et politique. En jurisprudence, il n’existe qu’une seule référence traitant réellement de l’enregistrement d’une intervention. En l’espèce, il s’agissait d’un policier municipal qui avait décidé de porter une caméra Gopro pour filmer ses interventions. Or, il avait été amené à filmer un contrôle routier sans le consentement des personnes présentes. Utilisant sa propre caméra & loin d’assurer la sécurité des images (qu’il avait communiqué), il avait été condamné pour atteinte « au respect dû à la vie privée ».

La doctrine a assez peu étudié l’article de loi qui pérennise le port de caméra-piéton pour les sapeurs-pompiers. L’essentiel des écrits en la matière porte sur le décret d’expérimentation de 2019 et se contentent de (pré)dire les faits qui pourraient découler du droit mis en place. La doctrine politique s’exprime notamment dans le cadre des réponses aux questions au gouvernement sur les problèmes d’agression des corps en uniforme durant leurs services. Les gouvernements se contente de rappeler que des mesures sont prise en la matière, notamment via l’introduction de caméras fixes ou mobiles dans les centres-villes touchés par ces problèmes.

[i] Décret n° 2019-743 du 17 juillet 2019 relatif aux conditions de l'expérimentation de l'usage de caméras individuelles par les sapeurs-pompiers dans le cadre de leurs interventions

[ii] Loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels (Article 57)

[iii] Article L1110-4 du code de la santé publique 

[iv] Article 226-13 du Code pénal (1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende)

[v] Perrier N., « Les caméras-piétons plébiscitées par les polices municipales », 17/11/2020, La Gazette des Communes, Actu experts prévention sécurité (Si vous n’êtes pas abonnés à la GdC, vous pouvez contacter le CRD pour obtenir l’article)

[vi] Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 13 janvier 2021, 20-80.672, Inédit : condamnation d’un agent de PM ayant réalisé une captation vidéo dans le cadre d’un contrôle, sur une caméra personnelle type « Go Pro »

[vii] Délibération n° 2019-056 du 9 mai 2019 portant avis sur un projet de décret relatif aux conditions de l’expérimentation de l’usage de caméras individuelles par les sapeurs-pompiers dans le cadre de leurs interventions

[viii] Acte réglementaire unique RU-066 - Caméras mobiles des sapeurs-pompiers

[ix] Comment mettre en place les différents dispositifs vidéo ?

[x] Caméra-piéton et vidéoprotection : la présidente de la CNIL met en demeure une commune

Edouard DESMATS

Publié le 21/04/22 à 11:33