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Fiche pratique

Le droit de la commande publique face à la crise

Cibles :

Tout public

Références :

Dispositions du Code de la commande publique

Circulaire n°6374SG du 29 septembre 2022 relative à l'exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières et abrogeant la circulaire n° 6338/SG du 30 mars 2022

Contenu :

La presse s’en fait désormais l’écho quotidiennement : nous rentrons dans une ère économiquement incertaine en raison d’une grave crise énergétique. Analyser les causes de cette crise ne nous appartient pas et nous préférons anticiper ses conséquences, parmi lesquelles l’accroissement des litiges entre l’administration et ses entreprises prestataires.

La question s’était déjà posée avec la crise pandémique de 2020 et avait exigé une adaptation de la théorie de l’imprévision à une situation inédite. Face à l’explosion des prix de l’énergie le premier ministre a, dès le 30 mars 2022, pris une circulaire « relative à l'exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières » qui, notamment, reprend le dispositif extraordinaire de l’ordonnance du 25 mars 2020 afin que « l'exécution des clauses des contrats prévoyant des pénalités de retard ou l'exécution des prestations aux frais et risques du titulaire soient suspendue tant que celui-ci est dans l'impossibilité de s'approvisionner dans des conditions normales » en plus d’inviter les services de l’Etat à conclure des contrats à prix révisables lorsque les parties sont particulièrement exposées aux difficultés économiques actuelles.

Depuis l’arrêt du Conseil d’Etat « Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux » du 30 mars 1916 qui posa les grandes lignes en la matière, le droit des marchés publics s’est considérablement densifié pour faire face à l’imprévu. Le 3° de l’article L 6 du Code de la Commande publique (CPP) donne un cadre légal à la théorie de l’imprévision appliquée aux marchés publics tandis que, par exemple, son article R2112-14 prévoit que « les marchés d'une durée d'exécution supérieure à trois mois qui nécessitent pour leur réalisation le recours à une part importante de fournitures, notamment de matières premières, dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux comportent une clause de révision de prix incluant au moins une référence aux indices officiels de fixation de ces cours ». Cependant, une conjoncture aussi calamiteuse que celle que nous subissons peut bouleverser totalement l’économie d’un contrat et vaincre toutes les clauses prévues sur fondement du droit existant.

 

I – Précisions sur l’application de la théorie de l’imprévision

Saisi le 14 juin 2022 par le Ministère de l’économie, le Conseil d’Etat a rendu un avis le 15 septembre sur les conséquences juridiques de cette crise et, tout particulièrement, sur les « possibilités de modification du prix ou des tarifs des contrats de la commande publique et aux conditions d’application de la théorie de l’imprévision ». Que retenir de cet avis et qu’est qu’il implique pour les collectivités territoriales ? Comme le résume la fiche technique du Ministère de l’économie, « le Conseil d’État admet que les parties à un contrat de la commande publique puissent, dans certaines conditions et limites, procéder à une modification des clauses financières pour faire face à des circonstances imprévisibles et rappelle que le cocontractant a également droit à une indemnité sur le fondement de la théorie de l’imprévision ». Dans le détail, cela signifie plusieurs choses.

            Rappelons la base juridique rendant applicable la théorie des circonstances imprévues, l’article R 2194-5 du CCP : « Le marché peut être modifié lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir » (nous soulignons). Partant du principe que ce droit de modifier un contrat n’est pas absolu, le Conseil d’Etat vient alors en rappeler les limites. Pour réclamer la modification, trois conditions sont à retenir. Premièrement, la modification du contrat ne peut advenir qu’en raison de la survenue d’une circonstance imprévisible au moment il fut conclu. La révision des prix ne doit pas couvrir les risques dont le contractant aurait dû tenir compte – nemo auditur propriam turpitudinem allegans. Evidemment, si la circonstance en question résulte de l’action d’une partie au contrat, l’imprévision n’est pas caractérisée ; tout comme pour la notion de force majeur employée en droit civil, l’évènement imprévisible doit être « extérieur » aux parties dispose l’article L6 du CCP. Deuxièmement, la modification du contrat doit apparaitre comme nécessaire à la poursuite de celui-ci et ne doit se limiter à compenser seulement et strictement les difficultés liées à la survenue de la circonstance imprévisible. L’idée de proportionnalité est ici à retenir. Troisième condition, spécifique au marchés et concessions passés par les pouvoirs adjudicateurs, la modification envisagée pour faire face aux circonstances imprévisibles ne doit pas dépasser 50 % de la valeur du contrat initial.

            Enfin, l’évènement imprévisible ouvrant droit à indemnité ne peut être que temporaire et, par conséquent, que « l’indemnité d’imprévision doit rester provisoire et que, si les événements ayant justifié son octroi perdurent, le caractère permanent du bouleversement de l’équilibre économique du contrat fait obstacle à la poursuite de son exécution, de sorte que l’imprévision devient un cas de force majeure justifiant la résiliation de ce contrat ». Plus que de satisfaire l’intérêt des contractants, la priorité et la finalité des contrats publics reste d’assurer la continuité du service public, ce qui implique que non seulement l’indemnité ne peut être que provisoire mais qu’en plus elle ne comble que le déficit d’exploitation généré par la poursuite de l’engagement contractuel malgré les difficultés économiques. Toutefois, la fin du contrat –pour quelque raison que ce soit (y compris « sa fin anticipée par résiliation ») – n’éteint pas le droit à indemnisation puisque la compensation de la perte pour l’entrepreneur peut être réclamée après notification du décompte général et définitif (le Conseil d’Etat rappelant pour ce type de cas sa jurisprudence CE, 31 juillet 2009, Société Campenon Bernard et autres, n° 300729).

Dernier point, précise le Conseil d’Etat, « un contrat de concession implique qu’un risque d’exploitation pèse pour une partie non négligeable sur le concessionnaire et que les éventuelles pertes qu’il pourrait subir du fait de l’exploitation du service ou de l’ouvrage dont il a la charge ne soient pas entièrement couvertes », en

conséquence de quoi, le concessionnaire ne pourra être indemnisé que si le contrat stipule qu’il a accepté le risque de pertes.

 

II – Quels « remèdes » en cas de bouleversement de l’économie du contrat de marché public ?

Premier « remède » qu’envisage le Conseil d’Etat : la modification du contrat. Modification qui peuvent concerner « tant les caractéristiques et conditions d’exécution des prestations que le prix ou les tarifs, leur montant ou les modalités de leur détermination, ou encore la durée initialement convenus » dès lors que ces modifications ne changent pas la nature globale du contrat – ainsi, par exemple, le Conseil d’Etat propose d’insérer une clause de variation des prix dans le contrat.

Toutefois, le Conseil d’Etat vient rappeler des limites aux modifications. L’autorité adjudicatrice « n’a aucune obligation de conclure avec son cocontractant un nouveau contrat comportant notamment des prix plus élevés que ceux du contrat initial ». L’entrepreneur n’a pas de « droit à » la modification du contrat, l’administration, elle, n’est obligée qu’à lui verser une indemnité qui, en cas de désaccord de l’administration, pourrait lui être octroyée par le juge (voir infra.).

            Deuxième hypothèse, la conclusion d’une convention dont le seul objet est l’indemnisation des charges extracontractuelles. La convention poursuit alors un but précis : poursuivre la conclusion du contrat pendant la période envisagée – elle est donc, par définition, temporaire. Le Conseil d’Etat précise donc qu’une tel convention « ne peut être regardée comme une modification d’un marché ou d’un contrat de concession au sens des dispositions du 3° des articles L. 2194-1 et L. 3135-1 et de celles des articles R. 2194-5 et R. 3135-5 » du CCP car elle n’a « ni pour objet ni pour effet de modifier les clauses du marché ou du contrat de concession ni les obligations contractuelles réciproques des parties, ni d’affecter la satisfaction des besoins de l’autorité contractante, qu’elle vise précisément à préserver ».

            La troisième hypothèse implique l’intervention d’un nouvel acteur dans la relation contractuelle : juge. Il s’agit de l’octroi d’une indemnité d’imprévision. En cas de désaccord des parties sur l’évolution à apporter à un contrat dont l’économie a été bouleversé, le juge peut accorder une indemnité compensant la charge extracontractuelle généré par l’évènement imprévu. En revanche, rappelle le Conseil d’Etat, le juge administratif ne peut en aucun cas « modifier lui-même les stipulations du contrat et les obligations réciproques des parties ni se substituer à l’autorité administrative pour réviser les tarifs et, éventuellement, en fixer de nouveaux ».

 

            Conclusion : les apports de la circulaire du 29 septembre 2022

            La circulaire n°6374SG du 29 septembre 2022 reprend les recommandations émises par le Conseil d’Etat le 15 septembre et abroge la précédente circulaire du 30 mars. Cette nouvelle circulaire s’articule autour de six points : l’obligation de prévoir des prix révisables, la possibilité de procéder à des modifications des seuls clauses financières des contrats pour compenser pour compenser les hausses de cout imprévisible, la possibilité de résilier le contrat à l’amiable faute d’accord sur les conditions de poursuite du contrat, le gel des pénalités contractuelles dans l’exécution des contrats  lorsque que l’entreprise est dans l’impossibilité de s’approvisionner, le droit à indemnisation sur fondement de la théorie de l’imprévision et pour les contrats de droit privé, s’appuyer sur l’article 1195 du code civil – lequel applique la théorie de l’imprévision au droit des contrats privé.

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Fabien Gallinella, Elève-avocat et docteur en droit

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Bibliographie :

Avis du Conseil d’Etat n°405540 du 15 septembre 2022 : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/fiches-techniques/execution-marches/avisCE-numero405540.pdf?v=1663844107

Circulaire n°6374/SG du 29 septembre 2022

https://www.code-commande-publique.com/le-point-sur-la-modification-des-prix-du-marche-la-circulaire-6374-sg-du-29-septembre-2022/

Circulaire n°6338/SG du 30 mars 2022 : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/Circulaire-30-mars2022.pdf?v=1650551616

Fiche technique de la Direction des affaires juridiques du ministère de l’Economie mise à jour le 21 septembre 2022 :

https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/fiches-techniques/crisesanitaire/FT_modification_contrats_en_cours.pdf?v=1663779786

 

Articles :

https://www.lagazettedescommunes.com/825481/pas-de-reduction-du-droit-au-paiement-direct-du-sous-traitant-par-un-acte-special-modificatif/?abo=1

https://www.banquedesterritoires.fr/marches-publics-le-conseil-detat-rendu-son-avis-sur-limprevision-dans-le-contexte-de-flambee-des

https://lemondedudroit.tv/decryptages/81076-guerre-en-ukraine-marches-publics-et-theorie-de-l-imprevision.html

https://www.lagazettedescommunes.com/828271/commande-publique-la-nouvelle-circulaire-sur-la-hausse-des-prix-est-parue/

https://www.banquedesterritoires.fr/commande-publique-et-hausse-des-prix-une-circulaire-tire-les-consequences-de-lavis-du-conseil-detat

Publié le 28/10/22 à 13:51