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Lois n° 2022-400 & n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte

Lanceurs d’alerte : quelles évolutions avec les lois « Waserman » ?

14/04/22

- Redéfinition de la notion de lanceur d’alerte vers un élargissement significatif ;
- Création d’un statut de « facilitateur » au profit de l’entourage du lanceur d’alerte ;
- Simplification des canaux de signalement ;
- Redéfinition du rôle du Défenseur des droits comme « guichet unique » des lanceurs d’alerte ;
- Protection accrue des personnes relevant du statut.

Attention : Les procédures et dispositions ci-après décrites entreront en vigueur 6 mois après la publication de cette chronique.

Suite à sa validation par le Conseil constitutionnel (Cf. Chronique de l’expert, hebdo juridique n°2022-12), les lois n° 2022-400 & n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte entreront en vigueur dans 6 mois[i]. Comme l’indique leurs noms, elles visent à redéfinir la notion de lanceur d’alerte et le régime applicable par diverses modifications au sein de la loi du 9 décembre 2016[ii].

Outre la redéfinition du régime des lanceurs d’alerte, la loi n° 2022-401 va conduire à la création d’un nouveau statut de « facilitateur », à la simplification des canaux de signalement et au renforcement des mesures de protection. La loi n° 2022-400 vise, quant à elle, à la redéfinition du rôle du Défenseur des droits dans ce cadre.

Élargissement de la notion

Concrètement, la redéfinition de la notion de lanceur d’alerte de l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 est marquée par trois évolutions notables :

  • Le remplacement de la condition de désintéressement du lanceur d’alerte par une condition d’absence de contrepartie financière. Cette évolution tend à plus de clarté : en effet, la notion de désintéressement inscrite par la loi dite « Sapin II » de 2016 restait assez floue d’un point de vue juridique. En revanche, l’absence de contrepartie financière est étudiée beaucoup plus objectivement par le juge.
  • Dans le cadre professionnel, la condition de la connaissance personnelle des informations révélées est abolie.
  • Les informations signalées qui, jusqu’à lors ne pouvaient porter que sur les crimes, les délits ou les violations du droit, peuvent désormais également porter sur des tentatives de dissimulations.
  • La condition de « violation grave et manifeste » est abandonnée.

Le statut de « facilitateur »

La loi créé un nouveau rôle dans le cadre des procédures de signalement : celui de « facilitateur ». Cette notion, insérée dans un nouvel article 6-1, faisant donc suite à la définition du lanceur d’alerte. Peuvent être considérées comme facilitateur :

  • Les individus ou les groupements à but non-lucratif qui vont concourir au signalement ou à la divulgation de l’information ;
  • Les individus qui, du fait du signalement ou de la divulgation, risquent de faire l’objet de mesures de sanction de la part de leur employeur, de leurs clients ou des destinataires du service ;
  • Les groupements, entreprises, associations… contrôlées par le lanceur d’alerte, pour lesquelles il travaille ou avec lesquelles il est en lien dans le cadre de ses fonctions professionnelles.

Cette redéfinition vise clairement à protéger l’entourage proche du lanceur d’alerte, visant la famille, les amis et les collègues de ce dernier qui auraient pu l’aider à obtenir les informations révélées. Mais, plus étonnant encore, la loi vient protéger des personnes morales, c’est-à-dire des associations, des entreprises, des groupements qui pourraient être touchés par les informations révélées : c’est une pure protection des intérêts du lanceur d’alerte visant à minimiser les conséquences de sa révélation.

La simplification des canaux de signalement

La loi « Sapin II » de 2016 proposait un signalement en trois temps. C’est-à-dire que le lanceur d’alerte devait en premier lieu effectuer un signalement interne dans son entreprise ou son administration ; et ce n’était qu’en absence de traitement interne qu’il pouvait enclencher un signalement externe auprès des autorités compétentes. La divulgation publique arrivait dans un troisième temps. Il semble néanmoins évident que cette technique était marquée par des pressions et des représailles dès le premier pallier ; tandis que la procédure de signalement externe dénotait par sa complexité administrative.

Mais la loi du 21 mars dernier vient casser cette organisation en pallier en proposant une option alternative. En effet, le lanceur d’alerte a désormais le choix entre le signalement interne ou externe. Pour les signalements internes, les entreprises ou administrations territoriales employant plus de 50 salariés ou agents « sont tenues d’établir une procédure interne de recueil et de traitement des signalements ». Pour les autres entreprises, la communication à un supérieur hiérarchique ou à une personne désignée est considérée comme lancement d’alerte. Pour le signalement externe, la loi prévoit limitativement les autorités habilitées à recevoir le signalement : pour les autorités compétentes, ce sont celles désignées par décret. Mais la loi prévoit également que le lanceur d’alerte peut saisir le Défenseur des droits, l’autorité judiciaire ou une institution, un organe ou une organisation de droit de l’Union européenne.

De plus, la protection des individus ayant effectué une divulgation publique est envisagée dans plusieurs hypothèses :

  • Lorsque le délai dit « du retour d’information » est expiré après une divulgation interne ou externe ;
  • Lorsqu’il existe un danger grave et imminent ;
  • Lorsque la saisine des autorités compétentes conduirait à des risques de représailles pour le lanceur d’alerte ou lorsque qu’elle pourrait permettre à l’autorité saisie d’étouffer l’affaire (destruction de preuves…).

Il est également possible pour le lanceur d’alerte anonyme de bénéficier de la protection prévue lorsque son identité est révélée par la suite. En revanche, l’anonymat fait tomber l’application des règles qui contraigne les lanceurs d’alerte au signalement interne ou externe préalable.

Le nouveau rôle du Défenseur des droits

La loi sur la protection des lanceurs d’alerte est complétée d’une loi du même jour visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte[iii]. Cette loi vise à conformer le droit français au droit européen[iv]. Pourtant, et même s’il lui accorde un brevet de conformité, le Conseil constitutionnel émet des réserves sur l’interprétation que le juge devra avoir de cette loi[v].

En premier lieu, la loi redéfini le rôle du Défenseur des droits en prévoyant une information et un conseil apporté aux personnes qui souhaiteraient révéler une information. Mais elle prévoit également que le Défenseur des droits ne devra plus uniquement veiller aux intérêts de ces personnes mais les défendre. Cette défense est envisagée tant pour les lanceurs d’alerte que pour les facilitateurs.

L’article 2 de cette loi va d’ailleurs créer un adjoint au Défenseur des droits « chargé de l'accompagnement des lanceurs d'alerte ». C’est la réalisation concrète de l’objectif d’information et de conseil auprès des lanceurs d’alerte. En sus, le Défenseur des droits est désormais compétent pour recevoir et même traiter les alertes qui relèvent de son domaine de compétence ou les renvoyer vers une autorité compétente. Comme le prévoit le droit européen, l’objectif est de développer un « guichet unique » des lanceurs d’alerte, afin que ces derniers sachent à qui s’adresser en premier recours.

Le défenseur des droits se voit également reconnaitre la faculté à répondre aux sollicitations de toute personne qui souhaiterais voir sa qualité de lanceur d’alerte « certifiée ». En effet, il est possible, pour une personne qui se revendique lanceur d’alerte, de solliciter un avis du défenseur des droits qui « apprécie si elle a respecté les conditions pour bénéficier de la protection prévue ». Ces avis sont rendus dans un délai de 6 mois.

Le renforcement des mesures de protection des lanceurs d’alerte

L’article 6 de la loi n° 2022-401 vient plus encore protéger le lanceur d’alerte.

Elle déresponsabilise civilement et pénalement les lanceurs d’alerte, dès lors que leurs révélations peuvent raisonnablement être considérées comme intègres. Par exemple, au pénal, la responsabilité du lanceur d’alerte qui « soustrait, détourne ou recèle les documents » ne peut plus être engagée, tout comme celle de ses complices en la matière (ici les « facilitateurs »).

Intégrant tant les salariés que les fonctionnaires et les militaires, la loi prévoit l’interdiction des représailles à l’encontre des lanceurs d’alerte. Mais la nouveauté de la loi réside dans les mesures interdites à l’encontre de cette catégorie d’agents ou de salariés qui sont non-exhaustivement énumérés : le législateur propose une liste établissant clairement quelles mesures de sanction seront condamnées si elles sont exercées à l’encontre d’un lanceur d’alerte. Lorsque des mesures de représailles sont signalées par le lanceur d’alerte, c’est à l’employeur de prouver que la mesure de sanction ne relève pas de la représailles. Ces procédures sont punies d’une amende portée à 60 000 euros par la nouvelle loi, au civil comme au pénal.

D’un point de vue financier, le juge va se voir reconnaitre la capacité d’allouer une « provision pour frais d’instance » au lanceur d’alerte qui l’auras sollicité eu égard à sa situation économique et au « coût prévisible de la procédure ». Elle est « à la charge du demandeur ou de la partie civile ». La loi lui permet tout de même d’instruire cette demande de provision même s’il lui est commandé de statuer « à bref délai » (sans condition de délai précise, laissant libre appréciation au juge de ce qu’est un délai « bref » en la matière). La loi prévoit également que le juge peut envisager l’acquisition définitive de cette provision. Les autorités qui reçoivent les signalements peuvent mettre en place un soutien psychologique et financier du lanceur d’alerte en attendant sa prise en charge par le juge.  Néanmoins, elles n’y sont pas contraintes et l’article 14-1 de la loi de 2016 envisage ce soutient comme un « secours financier temporaire », relevant donc de l’exceptionnalité.

Pour plus de précisions et une vision différente sur le contenu de ces lois je vous invite à lire l’article de Dalloz sur la question (que vous trouverez ici) ainsi que les deux articles du site vie publique (que vous trouverez ici et ici).

[i] Article 18 de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022

[ii] Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et
à la modernisation de la vie économique

[iii] Loi organique n° 2022-400 du 21 mars 2022 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte

[iv] Directive 2019/1937 du parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union

[v] Conseil Constitutionnel, décision n° 2022-838 DC du 17 mars 2022, Loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte

Edouard DESMATS, CERISC

Publié le 14/04/22 à 09:35