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Imprévision et contrats de la commande publique

Titre de la question
Question de M. Étienne Blanc (Rhône - Les Républicains) publiée dans le JO Sénat du 20/10/2022
Contenu de la question

M. Étienne Blanc attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur l'existence d'une divergence d'interprétation entre la direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l'économie et Mme la Première ministre au sujet de l'application de la théorie de l'imprévision dans les contrats de la commande publique.
Au sein de sa « fiche technique relative aux possibilités offertes par le droit de la commande publique de modifier les conditions financières et la durée des contrats de la commande publique pour faire face à des circonstances imprévisibles et à l'articulation avec l'indemnité d'imprévision » publiée le 21 septembre 2022 et faisant suite à l'avis du Conseil d'État du 15 septembre 2022 (n° 405540), la direction des affaires juridiques de Bercy est revenue sur les conditions de mise en oeuvre de la « théorie de l'imprévision » dans les contrats de la commande publique.
Elle indiquait plus précisément que le « bouleversement de l'équilibre du contrat » (condition nécessaire pour bénéficier d'une indemnité d'imprévision) devait s'apprécier « par période d'imprévision », « de sorte qu'une indemnité d'imprévision peut être versée, même si l'équilibre du contrat n'est pas bouleversé sur toute sa durée. » Concernant la période à retenir, la DAJ précisait : « la période de référence à indemniser correspond à la période pendant laquelle le prix-limite, qui correspond au niveau des charges contractuelles envisagé par les parties lors de la conclusion du contrat, est dépassé ».
Il ressort de cette interprétation de votre ministère qu'une indemnité d'imprévision est due au titulaire d'un contrat public dès lors que, sur une période donnée, le « prix limite » du contrat est dépassé.
Cette position de bon sens ne semble pourtant pas unanimement partagée par les services de l'État. En effet, tant l'ancien Premier ministre dans sa circulaire du 30 mars 2022 (n° 6338-SG) que Mme la Première ministre dans sa circulaire du 29 septembre 2022 (n° 6374/SG abrogeant la circulaire précédente) semblent, pour leur part, considérer qu'une indemnité d'imprévision ne serait due au titulaire d'un contrat de la commande publique qu'à condition que les difficultés rencontrées bouleversent l'économie du contrat dans toute sa durée.
Cette divergence d'interprétation étant susceptible d'induire en erreur les acheteurs publics et les demandeurs d'une indemnité d'imprévision quant au mode de calcul de cette indemnité et répondant mal aux conséquences économiques difficiles subies par les entreprises titulaires de contrats de la commande publique, il souhaiterait qu'il lui indique son avis sur le sujet.

Publiée dans le JO Sénat du 20/10/2022 - page 5055

Titre de la réponse
Réponse du Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique publiée dans le JO Sénat du 08/06/2023
Contenu de la réponse

L'avis rendu en Assemblée générale par le Conseil d'État le 15 septembre 2022 (n° 405540) a précisé les conditions dans lesquelles il est possible d'apporter des modifications portant exclusivement sur les clauses financières et de durée des contrats pour compenser les surcoûts supportés par certaines entreprises du fait de la hausse des prix et de la pénurie des matières premières et composants, ainsi que leur articulation avec les conditions dans lesquelles le cocontractant peut réclamer une indemnité sur le fondement de la théorie de l'imprévision. La théorie de l'imprévision est codifiée au 3° de l'article L. 6 du code de la commande publique qui dispose que, « lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l'équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l'exécution, a droit à une indemnité ». Ainsi, l'équilibre du contrat tel qu'envisagé par les parties lors de sa conclusion est apprécié sur l'ensemble de sa durée du contrat, et demeure le même durant toute cette durée. Le bouleversement de son équilibre est, pour sa part, apprécié par période d'imprévision, de sorte qu'une indemnité d'imprévision peut être versée, même si l'équilibre du contrat n'est pas bouleversé sur toute sa durée (CE, 19 février 1926, Société du gaz de La Ciotat, n° 78624 ; CE, 30 décembre 1927, Compagnie française d'éclairage et de chauffage par le gaz, n° 88074 ; CE, 30 mars 1928, Ville de Belfort, n° 77987 ; CE, 17 novembre 1965, Commune de Monthermé, n° 61147 ; CE, 21 octobre 2019, Société Alliance, n° 419155). À cet égard, la période de référence à indemniser correspond à la période pendant laquelle l'opérateur économique est confronté à des pertes anormales du fait d'une augmentation de ses dépenses ou d'une diminution de ses recettes ayant dépassé les limites ayant pu raisonnablement être envisagées par les parties lors de la passation du contrat. En revanche, l'ensemble de la durée du contrat est à prendre en compte lorsque, au terme du contrat, afin de calculer l'indemnité définitive de l'imprévision, il est procédé au calcul de la part de la charge extracontractuelle laissée à la charge du cocontractant, cette part étant modulée en tenant compte des difficultés financières précédemment supportées par le titulaire (CE, 21 avril 1944, Compagnie française des câbles télégraphiques, n° 66457 ; CE, 27 novembre 1931, Compagnie des tramways électriques de Besançon, n° 95984) ou bien des bénéfices qu'il a réalisés (CE, 30 décembre 1927, Compagnie française d'éclairage et de chauffage par le gaz, n° 88074 ; CE, 19 février 1926, Société du gaz de La Ciotat, n° 78624 ; CE, 30 mars 1928, Ville de Belfort, n° 77987 ; CE, 8 novembre 1935, Ville de Lagny, n° 23757), antérieurement ou postérieurement à la période d'imprévision. Enfin, comme le rappelle le Conseil d'État dans son avis, « le caractère permanent du bouleversement de l'équilibre économique du contrat fait obstacle à la poursuite de son exécution, de sorte que l'imprévision devient un cas de force majeure justifiant la résiliation de ce contrat ». La circulaire n° 6374/SG du 29 septembre 2022 rappelle bien que l'indemnité d'imprévision « vise à dédommager partiellement le titulaire du préjudice qui résulte de l'exécution du contrat en raison du bouleversement temporaire de l'équilibre économique de celui-ci » (point 3). La fiche technique publiée par la direction des affaires juridiques (DAJ) abonde dans le même sens en précisant les modalités de mise en oeuvre de ce principe.

Publiée dans le JO Sénat du 08/06/2023 - page 3656