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Défaut de localisation de l'appel téléphonique de secours et faute lourde de l'État

Chapo
Source: lexisnexis.fr (La Semaine Juridique Edition Générale n° 22, 29 Mai 2017, 621)
Texte

CA Grenoble, 1re ch. civ., 17 janv. 2017, n° 14/03720 : JurisData n° 2017-001907

Il en va des faits de l'espèce rapportée comme du synopsis d'un film inquiétant : six malfaiteurs cagoulés et armés s'introduisent de nuit au domicile d'un couple avec enfant. L'épouse parvient à composer le numéro téléphonique des services de gendarmerie, mais les malfaiteurs interrompent la communication. Le mari, gérant de bijouterie, est alors conduit de force au siège de celle-ci où les malfaiteurs dérobent le stock d'or et de pierres précieuses ainsi que les collections de bijoux. La gendarmerie n'interviendra pas... à cause d'une difficulté technique qui avait jusqu'alors échappé : le numéro téléphonique de l'appelant ne s'affiche pas sur le poste de l'opérateur lorsque l'appel est, comme en l'espèce, redirigé vers le centre opérationnel. L'occasion était ainsi donnée aux magistrats grenoblois de reconnaître l'existence d'une faute lourde de l'État en raison de l'inaptitude de la gendarmerie à remplir la mission dont elle est investie. Relevant que la localisation d'un appel téléphonique ne se heurtait à l'époque des faits à aucune difficulté technique, les gendarmes se voient reprocher d'avoir été incapables de localiser l'appel, alors que cela ne se serait pas produit si la difficulté inhérente au déviateur d'appel avait été repérée et traitée. Il restait à statuer sur la causalité entre la faute commise et les dommages invoqués. Contrairement aux prétentions des victimes, la faute est considérée comme n'étant pas à l'origine de la perte d'une chance d'échapper à la réalisation des infractions qui étaient en cours au moment de l'appel. Les magistrats n'acceptent donc pas de retenir l'existence d'un lien direct entre l'agression et la liquidation judiciaire ultérieure de la bijouterie. Si les victimes pourront avoir du mal à abandonner l'idée que la localisation de leur appel aurait permis de mettre un terme à l'agression et d'éviter ses conséquences, cette restriction doit pourtant être approuvée. L'agression est un fait auquel le défaut de localisation de l'appel téléphonique est étranger. Il n'existe donc pas de lien de causalité entre le défaut de localisation de l'appel et l'agression ni entre ce défaut de localisation et le vol subi par l'entreprise du mari. Le véritable préjudice indemnisable se trouvait ailleurs, et les magistrats l'identifient à raison de la perte de chance pour les époux et leur fils d'être libérés sur l'intervention des forces de l'ordre et de voir abréger l'angoisse générée par la commission des actes perpétrés. On attend en effet des forces de l'ordre qu'elles puissent intervenir lorsqu'elles sont sollicitées, et c'est bien là ce qui leur était finalement reproché. Les dommages et intérêts de 10 000 euros accordés à chacune des victimes apparaissent alors comme le prix de l'appel manqué.

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