Portail National des Ressources et des Savoirs

AMIANTE : ASSOUPLISSEMENT DE LA RECONNAISSANCE DU PREJUDICE D’ANXIETE

Chapo
Le préjudice d’anxiété d’un salarié ayant été exposé à l’amiante est caractérisé du fait même de l’exposition et de l’inquiétude permanente face au risque de déclaration d’une maladie qui en découle, sans qu’il ait besoin de se soumettre à des contrôles ou examens médicaux qui réactiveraient cette angoisse.
Texte

Soc. 4 déc. 2012, FS-P, n° 11-26.294 (sur le 4e moyen)

L’article 41 de la loi no 98-1194 du 23 décembre 1998 a mis en place une allocation de cessation anticipée d’activité (ACAATA) destinée à compenser la perte d’espérance de vie qui affecte les salariés ayant subi une exposition prolongée à l’amiante. En contrepartie du bénéfice de cette allocation, le salarié n’est plus fondé à obtenir de l’employeur la réparation (sur le fondement de C. civ., art. 1383 et C. trav., L. 4121-1) d’une perte de revenus résultant de la mise en œuvre du dispositif légal. En revanche, rien ne l’empêche de demander réparation d’un autre préjudice que celui de la perte de revenus.

Dans cet arrêt du 4 décembre 2012, une ancienne salariée de Moulinex demande la reconnaissance et la réparation de son préjudice d’anxiété. Une demande qui sera acceptée par la Cour de cassation au motif que « la salariée, qui avait travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 […] et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante, se trouvait, de par le fait de l’employeur, dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante, qu’elle se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers ».

Pour la deuxième fois, la chambre sociale se prononce sur la réparation du préjudice d’anxiété en raison d’une simple exposition à l’amiante (sans qu’une maladie se soit effectivement déclarée). Par la décision commentée, le juge vient clairement assouplir la reconnaissance de ce préjudice pour les salariés ayant été exposés. En effet, dans sa précédente décision, largement diffusée et commentée (Soc. 11 mai 2010, n° 09-42.241, Bull. civ. V, n° 106 ; Dalloz actualité, 4 juin 2010, obs. B. Ines ; D. 2010. 2048, note C. Bernard ; ibid. 2011. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2010. 564, obs. P. Jourdain ; Dr. soc. 2010. 839, avis J. Duplat ; JCP 2010, n° 568, obs. Miara ; ibid. n° 733, note Colonna et Renaux-Personnic ; ibid. n° 1015, obs. Bloch ; RLDC 2010/73, n° 3876, obs. Le Nestour-Drelon), le juge avait caractérisé le préjudice d’anxiété par l’existence de trois conditions. Tout d’abord, le fait d’avoir travaillé dans un des établissements visés par l’article 41. Ensuite, que, du fait de l’employeur, ce salarié se soit trouvé « dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante ». Et enfin, troisième condition, que cette angoisse ait été exacerbée par les contrôles et examens réguliers qu’il devait subir (V. D. 2010. 2048, note C. Bernard, préc.).

Si, par cet arrêt du 4 décembre 2012, le juge continue de s’appuyer sur les deux premières conditions définies lors de la première affaire, en revanche, il abandonne explicitement la troisième exigence qui avait pour utilité d’objectiver le caractère anxiogène de la situation des salariés en ce qu’ils « étaient amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse ».

Patrice Jourdain a eu l’occasion de rappeler « la connaissance que l’on a aujourd’hui des ravages de l’amiante à travers la gravité des maladies qu’elle cause ». Ces dernières suffisant « à convaincre du sentiment d’angoisse qui peut naître chez les personnes qui [ont longuement été] exposées à l’amiante […] (cancer broncho-pulmonaire et mésothéliome dus à l’inhalation de poussières d’amiante responsables de dizaines de milliers de décès) » (RTD civ. 2010. 564, obs. P. Jourdain, préc.). Il semblerait que le juge ait été convaincu et accepte la réparation du préjudice d’anxiété par l’employeur, que le salarié effectue ou non des bilans de santé réguliers pour contrôler son état. La Cour continue cependant de préciser qu’il s’agit ici d’un « préjudice spécifique d’anxiété », sous entendu, propre à l’hypothèse de l’amiante.

Les critiques, déjà nombreuses, à l’occasion de l’arrêt du 11 mai 2010, vont donc pouvoir reprendre de plus belle. La principale consistant à invoquer « le spectre du préjudice hypothétique [qui] plane sur l’indemnisation de l’angoisse » (D. 2011. 35, obs. O. Gout, préc.) et que « la prise en compte d’un préjudice aussi subjectif et insaisissable pourrait ouvrir la boîte de Pandore et conduire à une multiplication [des] demandes d’indemnisation de prétendus préjudices d’anxiété ou d’angoisse. Irrationnelle, l’angoisse, présumée plus que prouvée, suffirait à fonder une réparation en l’absence même de risque certain » (P. Jourdain, op. cit.). Le préjudice d’anxiété pose donc véritablement problème en ce qu’il conduit à réparer un sentiment absolument impossible à prouver, a fortiori quantifier, et pourtant très répandu dans nos sociétés anxiogènes.

Pour finir, la Cour devait également se prononcer sur la requalification, effectuée par la cour d’appel, des demandes de la salariée qui avaient été dénaturées par le juge prud’homal. Elle a considéré que « la cour d’appel a, sans dénaturation, restitué aux demandes leur formulation originelle ».

par Marie Peyronnet

lien
-
fichier
-