Portail National des Ressources et des Savoirs

Rencontres des juristes de SIS 2019

Nom de l'expert
Madame T. MANACH-PELLUAU et Madame J. JAFFRÉ
Prénom de l'expert
-
Fonction de l'expert
Juriste au service juridique et assurances (SDIS 49) / Cheffe du service affaires générales (SDIS 71)
Chapo du commentaire
Atelier relatif à la protection fonctionnelle
Texte du commentaire

 I.            La définition de la protection fonctionnelle

 

La protection fonctionnelle est définie à l’article 11 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Pour les SPV, un renvoi à cet article est opéré en application de l’article L113-1 du code de la sécurité intérieure.

La protection fonctionnelle, érigée en PGD par la jurisprudence (CE, sect., 26 av. 1963, Centre hospitalier de Besançon : Rec. CE 1963, p. 242, concl. Chardeau), bénéficie d’une application extensive qui se divise en 3 volets :

  •   La responsabilité civile,
  •   Les relations avec les usagers,
  •   L’agent faisant l’objet de poursuites pénales.

 

Une précision importante doit être apportée. Il s’agit d’un régime de protection contre les agissements d’un tiers, et non contre un évènement ou une circonstance de fait.

 

TA SAINT-DENIS DE LA RÉUNION du 17/06/2014

Cervantes et a. c/ préfet de La Réunion

Des policiers travaillant dans un commissariat contenant de l'amiante se sont portés partie civile dans l'action pénale ouverte pour « mise en danger d'autrui » et « non-assistance à personne en danger » et ont demandé, au titre de la protection fonctionnelle, le remboursement des frais d'avocat ainsi engagés. Le préfet leur a délivré une décision de refus.

En effet, pour le juge administratif, une détérioration de l’état de santé des agents du fait d’une exposition à l’amiante fera l’objet d’une indemnisation sur le fondement de la législation sur les accidents du travail et des maladies professionnelles. De ce point de vue, la protection fonctionnelle, en tant que dispositif de protection, n’est pas cumulatif avec un autre.

 

L’on peut imaginer que la décision aurait été similaire pour une exposition aux fumées d’incendie.

 

Cette présentation portera essentiellement sur la protection fonctionnelle dont bénéficie un SP victime d’une agression.

 II.            Qui en bénéficie ?

 

Élus, agents publics (fonctionnaire stagiaire ou titulaire, contractuel), anciens fonctionnaires ou contractuels (CE 20/04/2011, n° 332255) mais également au collaborateur occasionnel du service public (CE du 13/01/2017 n° 386799).

En effet, en l’absence de textes faisant obstacles à l’octroi de ce droit, la PF doit être accordée quelle que soit la position statutaire de l’agent (CE du 08/06/2011 n° 312700 et CE du 01/02/2015 n° 372359). En outre, cette règle s’applique également aux agents qui ont perdu leur qualité de fonctionnaire puisque la qualité d’agent public ouvrant le bénéfice de la protection fonctionnelle doit s’apprécier au moment des faits (CE du 26/07/2011 n° 336114).

Aussi, une circulaire n° 2158 du 05/05/2008 relative à la protection fonctionnelle des agents publics de l’État, et notamment ses modalités de mise en œuvre, est transposable aux agents de la fonction publique territoriale.

 

De plus, l’article 20 de la Loi du 20 avril 2016 n° 2016-483 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a modifié l’article 11 de la loi de 83 en intégrant les conjoints, concubins, partenaires liés au PACS, aux enfants et ascendants directs des fonctionnaires.

 

Seul le PCA, en qualité d’autorité chargée de l’administration du S.D.I.S. (article L1424-30 CGCT), a compétence pour signer la décision statuant sur la demande de protection fonctionnelle formée par l’agent (CAA BORDEAUX, 04/04/2018, n° 16BX02031).

  III.            Champ d’application

 

Les attaques subies par l’agent public doivent, pour justifier la protection fonctionnelle, intervenir dans le cadre de ses fonctions ou en raison de celles-ci.

 

Les faits susceptibles de justifier l’application de ce dispositif de protection sont divers et forme une liste non exhaustive :

  1. les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne,
  2. les violences,
  3. les agissements constitutifs de harcèlement,
  4. les menaces, les injures,
  5. les diffamations ou les outrages » (art. 11 de la loi précitée)

 

À ce titre, la jurisprudence entend faire une application extensive du régime de la protection fonctionnelle comme en témoignent les exemples suivants :

 

CAA MARSEILLE du 03/02/2011 n° 09MA01028

Suzanne c/ Commune de VENDARGUES

La protection fonctionnelle s’applique aux élus victimes de diffamation (les propos émanaient de conseillers communaux de l’opposition).

 

CE du 08/06/2011 n° 312700

Ce dispositif de protection trouve également à s’appliquer au président élu d’un EPA (en l’espèce d’une CCI, poursuivi des chefs des délits de trafic d’influence par personne chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public et de recel d’abus de confiance. Infractions pour lesquelles il avait, au moment de la demande de protection fonctionnelle, été relaxé).

CAA MARSEILLE du 20/04/2018 n° 16MA02220

Un adjoint administratif territorial a, dans le cadre d’une campagne électorale à laquelle il était candidat, été victime de propos diffamatoires en dehors de l’exercice de ses fonctions bien que ces attaques étaient liées à sa qualité de fonctionnaire (accusation d’avoir obtenu un emploi public par favoritisme). L’agent a engagé une action en justice pour diffamation contre l’auteur des propos. Il a alors demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle à son employeur qui a refusé.

Le juge administratif a fait droit à sa demande, estimant que si les propos diffamatoires étaient intervenus en dehors de l’exercice de ses fonctions, au vu de leur teneur, ils constituaient des attaques liées à ses fonctions.

  IV.            Les exceptions justifiant le refus de protection fonctionnelle

 

Ces exceptions figurent dans une liste exhaustive :

  •  La non-constitution de l’infraction (en fonction de la nature de cette dernière),
  •  La faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions,
  •  Le motif d’intérêt général,
  •  La tardiveté de la demande empêchant toute action de l’administration,
  •  Le mobile est personnel,
  •  L’abrogation : l’apparition de circonstances nouvelles

 

A. La non-constitution de l’infraction

 

Cette dernière peut être rapprochée de la nécessité, pour l’agent sollicitant la protection fonctionnelle, de veiller à prouver la matérialité des faits.

 

CAA MARSEILLE du 05/06/2018 n° 16MA00219

« […] Considérant qu’il appartient à l’agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu’il entend contester le refus opposé par l’administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d’en faire présumer l’existence ; qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile […] ».

 

S.D.I.S. 49

Un agent avait sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle au motif qu’il était victime de propos diffamatoires. Or, il a joint à sa demande un article de presse qui était en contradiction avec un autre du même journal qui reprenait ses propres propos. Sa demande a été refusée.

 

CAA VERSAILLES du 16/07/2015 n° 13VE02274

Lorsqu’un agent se plaint de harcèlement sexuel auprès de son employeur et avance des éléments permettant de laisser présumer l’existence de l’infraction, l’administration est en situation de compétence liée et ne peut refuser la demande.

 

 

Pour les faits de harcèlement sexuel, il importe que les éléments de preuve rapportés soient pertinents et caractéristiques d’agissements fautifs (courriels déplacés exprimant des propos à connotation sexuelle, SMS envoyés aux fins d’obtenir des relations intimes provoquant notamment une dégradation de son état de santé attestée par plusieurs certificats médicaux, enregistrements de conversations téléphoniques transcrits par huissier de justice sous réserve qu’il ne soit pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au secret des correspondances, des témoignages sérieux, précis et concordants relatant des propos et plaisanteries à connotation sexuelle et invitant de façon répétée et insistante à des relations intimes, témoignages de médecins de prévention, etc.).

 

B. La faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions

 

Cette dernière peut prendre plusieurs formes :

 

  • La faute relevant de préoccupations d’ordre privé (poursuite d’un intérêt personnel, animosité à l’égard d’un usager du service). 

 

CE, 30 déc. 2015, n° 391798 et n° 391800

Concernant un maire ayant fait acquérir par la commune deux voitures de sport utilisées à des fins privées.

 

Le contexte est apprécié au cas par cas, si bien que dans un arrêt :

 

CAA MARSEILLE du 05/06/2018 n° 16MA00219

 « […] Considérant que, s’il résulte des pièces du dossier que la dégradation du climat général de l’établissement pouvait être partiellement imputée aux prises de positions de M. B et Mme C., exprimées avec une virulence que n’exige pas nécessairement l’action syndicale, ces interventions, qui correspondaient à une critique de l’organisation du service, ne pouvaient pour autant être regardées comme des faits révélant des préoccupations d’ordre privé constitutifs d’une faute personnelle des agents […] ».

 

  • Un excès de comportement (actes de violence physique ou verbale) incompatible avec les pratiques administratives normales.

 

TC du 14/01/1980 n°02154

Un receveur des postes et télécommunications a saisi par le bras une agent qui avait précédemment quitté son service avant l’heure normale afin de la contraindre à le suivre dans son bureau.

Le juge a considéré que s’il appartenait au receveur de veiller à ce que sa collègue exécute ses obligations, « […] son geste de contrainte, injustifié au regard des pratiques administratives normales et accompli dans des circonstances révélant l’existence entre les intéressés d’une certaine animosité, constitue une faute personnelle détachable du service ; que, dès lors, l’autorité judiciaire est seule compétente pour statuer sur l’action civile […] ».

 

  • La faute d’une particulière gravité (au vu du caractère inexcusable ou des conséquences de l’acte commis). Le juge administratif examinera la nature de la faute, les conditions dans lesquelles elle a été commise, les objectifs poursuivis par l’auteur et les fonctions exercées par l’agent.

 

 

CE, 30 déc. 2015, n° 391800

Concernant un maire ayant tenu, lors d'une réunion publique, des propos à l'égard de Roms vivant sur le territoire de la commune constitutifs de provocation à la haine raciale. Protection fonctionnelle non accordée.

 

Enfin, il convient de préciser que ni la qualification pénale retenue, ni le caractère intentionnel de l’acte ne suffisent à regarder la faute comme étant détachable des fonctions. Dès lors, l’examen doit être réalisé au cas par cas.

 

C. Le motif d’intérêt général

 

Le motif d’intérêt général peut également être un motif justifiant le refus d’octroi de la protection fonctionnelle. Toutefois, le juge administratif applique cette notion de manière restrictive.

 

CE, 26 juill. 2011, n° 336114

Un praticien hospitalier s’est plaint de diffamation de la part de membres de syndicats à la suite de la distribution d’un tract lui imputant des problèmes comportementaux et un épisode de violence. Dans la mesure où il était établi que l'agent entretenait des relations difficiles avec les agents administratifs et le personnel hospitalier et que le climat conflictuel lui était pour partie imputable, il a été jugé que l'intérêt général s'opposait à ce que le centre hospitalier prenne en charge les frais de la procédure en diffamation intentée par l'agent. Cette action ne pouvait qu'aggraver la situation et nuire à la qualité des soins des patients.

 

CAA MARSEILLE du 05/06/2018 n° 16MA00219

Des agents d’un établissement public d’enseignement avaient participé à la dégradation du climat général en raison de leur virulence syndicale. Se plaignants de harcèlement moral, les agents avaient demandé la protection fonctionnelle. Le directeur de l’établissement leur a refusé au motif que son octroi aggraverait le climat conflictuel de l'établissement et aurait une incidence sur la qualité de l'enseignement. Le juge administratif a censuré cette analyse en considérant qu’il ne s’agissait pas d’un motif d’intérêt général.

 

CE du 20/04/2011, n° 332255

Un ancien directeur central des renseignements généraux avait conservé, lors de son départ en retraite, des données collectées durant ses fonctions sur des personnalités publiques. Lors de la révélation de ces données dans la presse, celui-ci a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle et s’est vu opposer un refus.

Le juge administratif relève que les informations étaient sans lien avec les missions de service public qu’il assurait, et étaient gravement attentatoires à l’intimité de personnes dont certaines étaient investies de responsabilités nationales ou de mandats électifs. Ces circonstances constituent un motif d’intérêt général de nature à fonder légalement le refus de protection fonctionnelle, l’État ne pouvant pas couvrir de tels agissements de la part de son ancien directeur central des renseignements généraux.

 

 

D. La tardiveté de la demande empêchant toute action de l’administration

 

Si aucune disposition législative ou réglementaire n’impose aux agents publics un délai pour demander la protection fonctionnelle, cette dernière doit néanmoins intervenir dans un temps suffisamment proche de l’attaque pour que l’administration soit en mesure d’agir. Pour autant, si les faits sont suffisamment anciens et que l’administration n’est plus en mesure d’engager une démarche pertinente susceptible de faire cesser la situation, la protection fonctionnelle peut être refusée.

 

CE du 21/12/1994 n° 140066 Mme Laplace

Une professeure au sein d’un établissement public d’enseignement découvre, en février 1987, en consultant son dossier administratif que ce dernier contenait un courrier adressé au proviseur et émanant du président d’une association de parents d’élèves. Cette lettre – qui n’avait pas fait l’objet d’une diffusion publique –mettait en cause l’enseignement qu’elle avait pu dispenser et les termes utilisés ainsi que leur tournure pouvaient être assimilés à des outrages. Or, l’agent a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle en janvier 1990. L’administration a refusé et cette position a été validée par le juge administratif qui a considéré que, à la date de la demande, « […] aucune démarche de l’administration […] adaptée à la nature et à l’importance des outrages susmentionnés, n’était plus envisageable […] ».

 

CE du 28/04/2004 n° 232143

Un professeur d’université a fait l’objet d’une motion contenant des mentions outrageantes à son égard, signée par des étudiants de la promotion 1995-1996 d’un DESS. Cet agent a demandé, en janvier 1997, le bénéfice de la protection fonctionnelle et à ce que les auteurs soient identifiés en vue de l’engagement de poursuites disciplinaires. La scolarité des étudiants étant achevée au moment de la demande, le juge administratif conclue qu’« […] aucune démarche de l’administration adaptée à la gravité des mentions contenues dans la motion en cause n’était plus envisageable […] ».

 

Toutefois, il est possible de formuler tardivement une demande de protection fonctionnelle lorsque l’agent victime entend obtenir le remboursement des frais engagés au titre de son action en justice.

 

Toutefois, le décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017 relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d'instances civiles ou pénales par l'agent public ou ses ayants droit précise que la collectivité n’est pas tenue de rembourser l’intégralité des honoraires, en particulier lorsque le montant de ces derniers est jugé excessif. Le juge a précisé que ce caractère excessif s’appréciait « […] au regard, notamment, des pratiques tarifaires généralement observées dans la profession, des prestations effectivement accomplies par le conseil pour le compte de son client ou encore de l’absence de complexité particulière du dossier […] » (CAA MARSEILLE du 20/04/2018 n° 16MA02220).

 

 

 

E. Le mobile personnel

 

CE du 10/12/1971 n° 77764

Un inspecteur général des finances a réalisé des interventions visant à faire obstacle à la construction d’un collège sur un terrain communal attenant à la propriété d’un membre de sa famille. Victimes de menaces et d’attaques faisant suite à ses prises de position, le fonctionnaire a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle ; l’administration la lui a refusée.

Le juge administratif a considéré que, malgré les pouvoirs d’investigation dont bénéficiait le requérant au vu de sa qualité d’inspecteur général des finances, ses démarches avaient été inspirées par un mobile personnel. Ainsi, les attaques ont été dirigées contre lui alors qu’il n’avait pas agi dans l’exercice de ses fonctions.

 

F. L’abrogation

Conseil d’État, 1er octobre 2018, n°412897 :

Principe : L’administration qui a accordé la protection fonctionnelle à un agent ne peut légalement y mettre un terme pour l’avenir, plus de 4 mois après sa décision (décision créatrice de droits : CE 26 octobre 2001, n° 197018 TERNON), sauf, si elle constate à la lumière d’éléments nouvellement portés à sa connaissance que les conditions d’octroi de cette mesure n’étaient pas réunies, ou ne le sont plus, notamment si ces éléments permettent de révéler l’existence d’une faute personnelle ou que les faits établis à l’appui de la demande ne sont pas établis.

Dans le cas où la protection a été présentée pour des faits de harcèlement, la seule intervention d’une décision juridictionnelle non définitive ne retenant pas la qualification de harcèlement ne suffit pas, par elle-même, à justifier qu’il soit mis fin à cette mesure. Toutefois, l’administration peut réexaminer sa position et mettre fin à la protection fonctionnelle, si elle estime, sous le contrôle du juge, que les éléments révélés par l’instance et ainsi portés à sa connaissance, permettent de considérer les faits de harcèlement comme non établis.

 

Conseil d’État, 29 novembre 2002, n°223027 :

Le retrait est possible à tout moment en cas de fraude.

lien externe
-
Fichier
-