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Piste DFCI, servitude de passage ou voie de fait ?

Nom de l'expert
MOREL SENATORE
Prénom de l'expert
Audrey
Fonction de l'expert
Responsable LEDeSC
Chapo du commentaire
Pour refuser la qualification de voie de fait résultant de l'extension d'un sentier forestier au titre de la lutte contre l'incendie, les juges du fond doivent mettre en évidence la constitution préalable, par arrêté préfectoral, d'une servitude de passage et d'aménagement ou, à défaut, d'une procédure de régularisation.
Texte du commentaire

Un couple de propriétaires avait assigné en référé la commune sur le territoire de laquelle se trouvait une de leurs parcelles aux fins de faire constater la voie de fait commise par les services municipaux. Selon les demandeurs à l'action, celle-ci résultait de travaux de débroussaillement et d'élargissement du sentier traversant leur terrain ce qui portait ainsi atteinte à leur droit de propriété. Confirmant l'ordonnance, la cour d'appel rejette les arguments des appelants en soulignant que le sentier litigieux est une piste à usage de défense de la forêt contre les incendies (DFCI) et qu'en conséquence les travaux réalisés s'inscrivent dans le cadre des différentes actions de lutte contre l'incendie qu'il appartient à la commune de mener.
De nombreux textes renvoient effectivement à la faculté dont dispose le maire, au titre de son pouvoir de police général, de faire procéder à des travaux visant à prévenir les incendies de forêt. C'est notamment le cas de l'article L. 134-9 du code forestier (anc. art. L. 322-4) qui permet à la commune de se substituer au propriétaire inactif ou, de façon plus large, de l'article L. 2212-2-5° du code général des collectivités locales (Encycl. Coll. loc., La protection contre l'incendie forestier, par M. Lagarde, n° 5720).
Or il est de jurisprudence constante que la voie de fait ne saurait être caractérisée si l'agissement en cause est susceptible de se rattacher au pouvoir de l'administration (Civ. 1re, 27 mai 2010, n° 09-12.524, Dalloz jurisprudence ; 26 sept. 2012, n° 11-19.434, Dalloz jurisprudence ; Rép. contentieux administratif, Voie de fait, par J. Moreau, n° 54). Un tel contentieux échappe alors au juge judiciaire.
C'est dans ce raisonnement que s'inscrit la solution de la cour d'appel qui refuse la qualification de voie de fait au motif que les travaux « ne peuvent dès lors être considérés comme insusceptibles de se rattacher à un pouvoir dont disposait l'administration ».
A contrario et par dérogation aux dispositions des lois des 16-24 août 1790, si un tel fondement ne peut être trouvé le juge judiciaire est compétent pour sanctionner l'atteinte à la propriété privée.
On comprend donc que ce soit au visa de ces dispositions, ainsi que sur le fondement de l'article 545 du code civil, que la Cour de cassation censure la décision qui lui est soumise. Elle reproche à la cour d'appel de ne pas avoir constaté que « la commune était bénéficiaire d'une servitude de passage et d'aménagement établie par arrêté préfectoral ou avait mis en œuvre une procédure lui permettant d'engager les travaux […] ».
Si les opérations de débroussaillement peuvent trouver un fondement légal suffisamment précis dans l'article L. 134-9 du code forestier, qui prévoit expressément l'intervention de la commune en cas de carence des propriétaires (T. confl., 25 janv. 1993, Préfet de la Haute-Corse, req. n° 2847, Lebon 389 ; D. 1994. Somm. 109, obs. D. Maillard Desgrées du Loû ), tel n'est pas le cas de l'élargissement d'un sentier, fut-il mis en place pour lutter contre l'incendie.
Pour l'institution de telles charges réelles, il convient de se référer à l'article L. 134-2 du code forestier (anc. art. L. 321-5-1) qui prévoit effectivement la possibilité de constituer de telles servitudes. Mais, d'une part, elles doivent répondre à certaines conditions : elles ne peuvent, par exemple, grever les terrains attenant à des maisons d'habitation et clos de murs et doivent être accompagnées d'une indemnisation et, d'autre part, elles ne peuvent résulter que d'une décision préfectorale éventuellement précédée d'une enquête publique suivant la superficie de l'assiette du droit de passage.
Si le droit de débroussailler existe en lui-même dans les textes, la servitude de passage en vue de la lutte contre les incendies n'est qu'une simple faculté. Elle ne naît qu'après décision de l'autorité préfectorale. Contrairement à ce qu'a fait la cour d'appel, il ne suffit pas de mettre en exergue la finalité du sentier et de son élargissement en le qualifiant de DFCI, encore convient-il de s'assurer de la licéité de l'intervention elle-même qui, précisément, ne procède pas automatiquement de l'objectif poursuivi.
Par ailleurs, comme le précise la Cour de cassation, à défaut de pouvoir justifier l'intervention par la création a priori d'une servitude, il est toujours possible de faire valoir une procédure de régularisation engagée a posteriori (T. confl., 6 mai 2002, req. n° 3287, Mme Binet, Lebon ; AJDA 2002. 1229, note P. Sablière ; D. 2002. IR 1957 ; Civ. 3e, 12 juill. 2006, n° 05-16.107, D. 2006. IR 2127 ; AJDI 2007. 412, obs. F. de La Vaissière ). L'objectif demeure avant tout la préservation de l'équilibre des droits en présence, équilibre qui est nécessairement mis à mal lorsque la preuve du respect de la procédure de constitution de la charge réelle n'a pas été rapportée.

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