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LES POUVOIRS DE CRISES JUSTIFIES PAR DES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES

Nom de l'expert
MOREL SENATORE
Prénom de l'expert
Audrey
Fonction de l'expert
Responsable du CERISC
Chapo du commentaire
Necessitas non tollit jus sed suspendit - La nécessité ne supprime pas le droit, mais le suspend
Texte du commentaire

Par un décret du 14 novembre dernier, le Président de la République a décrété l'état d'urgence sur l'ensemble du territoire métropolitain et de la Corse, en application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955. Les attentats du 13 novembre dernier ont conduit le chef de l’État à adopter, en Conseil des ministres, ce décret en raison des circonstances exceptionnelles qui frappent aujourd’hui notre pays. Ainsi l'état d'urgence, est une des barrières légales que le législateur a entendu mettre en place pour circonscrire les exceptions qui permettent aux gouvernants de porter atteinte aux droits des gouvernés et à concentrer ces pouvoirs au sein d'un même organe (cf. François Saint-Bonnet, Dictionnaires de la culture juridique, éd., Lamy PUF, 2003).

L'État de droit, comme système de garantie de l'exerce des libertés publiques et individuelles, fondé sur le principe du respect de la légalité dans l’organisation politique et sociale, envisage d'autres régimes exceptionnels à côté de l'état d'urgence : le régime jurisprudentiel des circonstances exceptionnelles, le régime des "pleins pouvoirs" de l'article 16 de la Constitution ainsi que l'état de siège de l'article 36 de la Constitution.

La théorie des circonstances exceptionnelles, permet à l’administration, sous le contrôle du juge, lorsque les événements l’exigent et pour assurer la continuité des services publics de ne pas respecter la légalité ordinaire. Elle a été dégagée par la jurisprudence du Conseil d’État, avec l'arrêt du 28 juin 1918, Heyrès (à propos d’une révocation prononcée sans communication préalable du dossier ; cf. également CE 28 févr. 1919, Dames Dol et Laurent : à propos de mesures de police portant atteinte à la liberté de circulation des individus). Le Conseil d’État a ensuite reconnu l’existence de circonstances exceptionnelles en cas de grave catastrophe naturelle (CE 18 mai 1983, Rodes : éruption du volcan de la Soufrière à la Guadeloupe). Dans ces circonstances, l’administration acquiert, au nom de la nécessité, des pouvoirs importants, essentiellement en matière de police, même si cela peut concerner aussi le fonctionnement d’autres services publics, sous réserve de respecter deux conditions :

  • les circonstances présentent un caractère de gravité, d’anormalité et d’imprévisibilité (cas des guerres, d’émeutes ou de cataclysmes naturels) ;
  • ces circonstances rendent inenvisageable le respect de la légalité normale.

A côté de ce régime jurisprudentiel, la Constitution prévoit également par son article 16 de donner tous pouvoirs à l'exécutif en cas de telles circonstances.

L’état de siège suppose une situation de nature conflictuelle (insurrection armée ou de péril imminent menaçant le territoire). Il est décidé en Conseil des ministres, puis par le Parlement lorsque 12 jours se sont écoulés. Il autorise notamment le transfert de pouvoirs de police de l'autorité civile à l'autorité militaire, la création de juridictions militaires et l'extension des pouvoirs de police. Plusieurs mesures peuvent être prises dans le cadre de l’état de siège : perquisition de jour comme de nuit, éloignement de certaines personnes, remise des armes etc.

L'état d’urgence est un régime exceptionnel proche de celui de l’état de siège à la différence que ce dernier investit l’autorité militaire.

La loi d’exception permet ainsi au gouvernement de prendre des mesures portant atteinte à certaines libertés publiques et individuelles en raison de circonstances exceptionnelles. Établie en 1955 alors que la guerre d’Algérie vient tout juste de débuter, l’état d’urgence a été imaginé pour répondre à des circonstances, qui malgré leur caractère exceptionnel, ne pouvaient relever de l’état de siège.

Il suppose, sur tout ou partie du territoire, un cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ou d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. Décrété également en Conseil des ministres, il peut être prolongé ou non par le Parlement au bout de 12 jours, comme cela a été le cas lors des émeutes dans les banlieues françaises en 2005. La loi fixe le cas échéant sa durée définitive.

Les mesures qui peuvent être prises sont limitativement énoncées par la loi de 1955 et le décret du 14 novembre dernier renvoie ainsi aux articles suivants :

  • article 5 : " La déclaration de l'état d'urgence donne pouvoir au préfet dont le département se trouve en tout ou partie compris dans une circonscription prévue à l'article 2 :

1°) D'interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ;

2°) D'instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ;

3°) D'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics" ;

  • article 6 : " Le ministre de l'intérieur dans tous les cas peut prononcer l'assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret visé à l'article 2 dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics des circonscriptions territoriales visées audit article.

    L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération.

    En aucun cas, l'assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes visées à l'alinéa précédent.

    L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille.";

  • article 8 : "Le ministre de l'intérieur, pour l'ensemble du territoire où est institué l'état d'urgence, et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature dans les zones déterminées par le décret prévu à l'article 2.

    Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre".

  • article 9 : " Les autorités désignées à l'article 6 peuvent ordonner la remise des armes de première, quatrième et cinquième catégories définies par le décret du 18 avril 1939. [Il s'agit depuis 2013 de prendre en compte le décret 2013-700 du 30 juillet 2013 qui a refondé les catégorie d'armes]

    Les armes de la cinquième catégorie remises en vertu des dispositions qui précèdent donneront lieu à récépissé. Toutes dispositions seront prises pour qu'elles soient rendues à leur propriétaire en l'état où elles étaient lors de leur dépôt.";

  • alinéa 1er de l'article 11 :

    Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peuvent, par une disposition expresse (...) conférer aux autorités administratives visées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ; [ce qui est normalement du pouvoir des magistrats]

La prorogation de cette situation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi . C’est ainsi que la loi no 2005-1425 du 18 novembre 2005 avait prévu que l'état d'urgence déclaré sur le territoire métropolitain par le décret du 8 novembre 2005 était prorogé pour une période de trois mois à compter du 21 novembre 2005.

L’état d’urgence prend fin à l’expiration du délai prescrit par le texte qui l’a proclamé ou tout simplement si la loi autorisant sa prorogation dispose qu’il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret en Conseil des ministres avant l’expiration du délai prescrit. Cela a été le cas concernant l'épisode sur les émeutes en banlieues : l’article 3 de la loi du 18 novembre 2005 l'ayant prévu, un décret du 3 janvier 2006 a mis fin, à compter du 4 janvier 2006, à l’application de ce texte. En effet, les conditions justifiant le maintien de l’état d’urgence n’étant plus réunies selon le gouvernement.

Les mesures mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence peuvent être contestées devant les juridictions de droit commun.

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