Portail National des Ressources et des Savoirs

L’actualité jurisprudentielle spéciale SARS-COV-2

Nom de l'expert
Touache
Prénom de l'expert
Alexia
Fonction de l'expert
Elève-avocate - CERISC
Chapo du commentaire
-
Texte du commentaire

Présentation :

L’épidémie de Covid-19 a des répercussions significatives sur les activités des juridictions. Les tribunaux fonctionnent au ralenti depuis le 16 mars, ils ne traitent plus que les contentieux essentiels ou urgents.

Dans plusieurs affaires, le juge des libertés et de la détention (JLD) ont recouru à la notion de force majeure pour justifier une prolongation de rétention ou pour refuser la présence du comparant à l’audience.

----------

.

CONSTITUTIONNALITÉ

.

.

Contrôle a priori

Projet de loi organique

.

Ce projet de loi ne prévoit qu’une mesure : suspendre les délais que doivent respecter le Conseil d’État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel lorsqu’ils sont saisies d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et ce jusqu'au 30 juin 2020 en raison de l'épidémie de Covid-19.

La particularité de ce texte est qu’il a été adopté par les deux chambres parlementaires sans respecter la procédure de l’article 46 de la Constitution. L’article 46 impose la tenue de délais y compris lorsque le gouvernement recourt à la procédure accélérée.

Pour les sages de la rue Montpensier, « compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, il n'y a pas lieu de juger que cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l'article 46 de la Constitution ».

Ce projet de loi a été déclaré conforme à la Constitution.

La loi organique n° 2020-365 du 30 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 est entrée en vigueur le 1er avril 2020.

(CC 26 mars 2020, n° 2020-799 DC, Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19)

.

.

RESPONSABILITÉ

.

.

Responsabilité administrative

Carence de l’État

.

Le syndicat des infirmiers libéraux a demandé au juge des référés du Conseil d’État, sur le fondement de l’article L.521-2 du code de la justice administrative, de prendre toutes les mesures nécessaires afin que l’ensemble des personnels de santé aient accès aux matériels de protection (masques, gants, blouses, surblouses, etc.).

A l’instar du recours mené par le syndicat de jeunes médecins contre l’État, la Haute juridiction a admis la recevabilité de ce référé-liberté.

Ce syndicat avance que « les mesures prises par l’État, dans le cadre de l’épidémie de covid-19, sont insuffisantes en matière de mise à disposition aux personnels soignants des matériels de protection et en particulier des masques ».

Le juge des référés considère, qu'en dépit des difficultés notables d’approvisionnement de matériels de protection autres que les masques, il n'est pas nécessaire que d'autres mesures, sur le plan national, soient mises en œuvre « pour assurer le suivi des besoins en la matière ».

Ensuite, le gouvernement a, d’une part acheté des masques (masques anti-projection, masques de type FFP2) auprès d’États étrangers dont la Chine, d'autre part ordonné les réquisitions de ces masques à toutes les personnes morales de droit public et de droit privé qui en détiendraient, et enfin des entreprises françaises vont produire « une quarantaine de prototypes de nouveaux modèles de masques, y compris réutilisables ».

Une liste des professionnels, notamment de santé, a été fixée afin que ces derniers puissent bénéficier gratuitement des masques et ce jusqu’au 15 avril 2020. Il reconnaît toutefois « qu’une partie seulement des masques qui sont mis à disposition des médecins et infirmiers de ville sont, à ce jour, de type FFP2 » et que « la dotation de masques chirurgicaux est encore, quantitativement insuffisante ».

Pour tous ces éléments, le juge des référés a rejeté la requête.

(CE 28 mars 2020, n° 439693, Mme A.A et autres)

.

Le syndicat des médecins Aix et région (SMAER) et autres ont introduit une requête similaire à celle des infirmiers libéraux. Par le biais une fois de plus du référé-liberté, il demande au Conseil d’ État d’enjoindre à l’État de prendre toutes les mesures utiles (réquisitions, interdiction d’exportations) pour fournir des masques FFP2 et FFP3 et les moyens de dépistage aux médecins et professionnels de santé. Par ailleurs, les médecins réclament l’autorisation de « prescrire et administrer aux patients à risque l’association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine ».

S’agissant des masques, le juge des référés répètent textuellement les actions déjà menées par le gouvernement (importations, réquisitions, productions sur le territoire en cours).

De même, il rappelle que ces masques font l’objet d’une distribution maîtrisée des masques. Durant les deux dernières semaines, « chaque médecin ou infirmier de ville pouvait retirer 18 masques, conformément à l’information donnée par la liste de diffusion intitulée DGS-Urgent ».

Ensuite, le juge des référé estime qu’il n’y a pas de carence de l’État qui est dans l’impossibilité de mettre à la disposition de l’ensemble de la population des masques car il n’est pas démontré le bien-fondé d’une telle mesure.

Il relève également que « les autorités ont pris les dispositions avec l’ensemble des industriels en France et à l’étranger pour augmenter les capacités de tests dans les meilleurs délais, et les diversifier notamment pour permettre qu’un grand nombre puissent être pratiqués dans les laboratoires de biologie médicale, dans la perspective de la sortie du confinement qui n’interviendra pas avant le 15 avril prochain, et d’autre part, que la limitation des tests en attendant, selon les critères de priorité constamment ajustés et fixés, en dernier lieu, par un avis provisoire du haut conseil de la santé publique en date du 10 mars 2020, résulte d’une insuffisante disponibilité des matériels ». Pour l’instant, la France est dans l’impossibilité matérielle de procéder au dépistage de masse.

Enfin, s’agissant de l’emploi de Plaquenil, le juge des référés a repris les nouvelles dispositions prises en la matière. Dans un décret, le gouvernement autorise à titre dérogatoire et sous conditions la prescription de ce médicament.

Sans surprise, le juge des référés a rejeté la requête portée par les médecins.

(CE 28 mars 2020, n° 439726, SMAER et autres)

.

Autre référé-liberté, plusieurs personnes ont demandé au Conseil d’ État d’enjoindre au gouvernement de recommander, à titre temporaire, l’utilisation du Plaquenil "aux patients manifestant des symptômes d’atteinte par le covid-19 sans attendre le développement d’une détresse respiratoire".

Le juge des référés a rappelé que « par les décrets des 25 et 26 mars 2020, le Premier ministre a permis la prescription de l’hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19 pris en charge dans un établissement de santé, sous la responsabilité du médecin prescripteur et dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique, notamment quant au développement de la pathologie ». A contrario, les médecins de ville ne peuvent prescrire ce médicament et doivent donc respecter les indications de son autorisation de mise sur le marché.

Pour le Conseil d’État, au regard des données scientifiques, cette mesure ne constitue pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie et au droit de recevoir, sous réserve de consentement libre et éclairé, les traitements et soins à son état de santé.

L’ordonnance a débouté les requérants.

(CE 28 mars 2020, n° 439765, M. A.A. et autres)

.

.

Circonstances exceptionnelles et coronavirus

.

.

Force majeure

.

La force majeure, au sens large, se définit comme tout évènement exceptionnel, de nature imprévisible et insurmontable, empêchant le débiteur de faire face à son obligation. Le cas dit de force majeure exonère, temporairement ou définitivement, le débiteur d’exécuter son obligation.

En principe, la force majeure est d’origine extérieure ; c’est d’ailleurs ce qui la distingue du cas fortuit.

Traditionnellement, la Cour de cassation admettait la force majeure uniquement si l’évènement présentait les trois caractéristiques suivantes : « imprévisibilité, irrésistibilité et extériorité » et ce de manière assez stricte. La jurisprudence de la Cour semble avoir évolué et n’exige plus la condition d’extériorité.

Depuis plusieurs semaines, cette notion est régulièrement invoquée ; la pandémie de Covid-19 peut-elle constituer un cas de force majeure pour exempter le débiteur de ses obligations ?

Pour certaines juridictions judiciaires, il ne fait nul doute que cette pandémie relève de la force majeure.

Ainsi, une personne en situation irrégulière a été placée en rétention administrative. Le 1er février 2020, le Préfet du Nord a notifié à l’intéressé un arrêté aux fins de reprises en charge auprès des autorités italiennes. Le juge des libertés et de la détention (JLD) a prolongé à deux reprises la rétention de l’étranger à la suite de « l’annulation du vol par les autorités italiennes en raison du risque de pandémie liée au coronavirus ».

Le requérant a contesté la dernière décision de prolongation.

Les juges d’appel ont approuvé le raisonnement du JLD qui a considéré que « les circonstances de l’annulation du vol caractérisent la force majeure et ne sont pas imputables à un défaut de diligences des services de la préfecture du Nord ».

L’ordonnance du JLD a donc été confirmée.

On peut regretter que les juges d’appel n’aient pas pris le soin d’expliquer en quoi la situation actuelle présente les traits de la force majeure. La Cour de cassation se montre très exigeante sur cette notion dont elle ne l’admet que rarement.

(CA Douai 4 mars 2020, n° 20/00395, M. Abdelwde c/ préfecture du Nord)

.

Dans d’autres affaires portant toujours sur la rétention administrative, l’appelant n’a pu assister à l’audience ni physiquement, ni par visioconférence.

Les juges se sont évertués à en expliquer les motifs avec plus ou moins de précisions.

Dans une espèce, l’absence du requérant s’expliquait « en raison des circonstances exceptionnelles et insurmontables, revêtant le caractère de la force majeure, liées à l’épidémie en cours de Covid-19 ».

De plus, la personne en situation irrégulière présentait les symptômes de ce virus ; il y avait par voie de conséquence un risque de contagion. Sans compter que le Centre de rétention administrative de Geispolheim ne disposait pas du matériel nécessaire à la visioconférence. En dépit des risques de contagion, la prolongation de la mesure de rétention a été maintenue.

(CA Colmar 12 mars 2020, n°20/01098, M. Victor G)

Quelques jours plus tard, cette même juridiction anticipe en expliquant qu’ « il y a lieu de relever que, compte tenu de la pandémie COVID-19 en cours, et bien qu’en l’état de nos informations, aucun cas n’ait été confirmé parmi les retenus, la situation demeure très évolutive, avec l’imminence possible de mesures de confinement, et marquée d’ores-et-déjà par un passage au stade 3 impliquant une circulation active du virus, de surcroît dans les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, qui constituent des foyers particulièrement notables de l’épidémie, caractérisée par un degré de contagion important et de nature à faire courir des risques réels et suffisamment sérieux à l’ensemble des personnels requis pour assurer la tenue de l’audience en présence du retenu ».

Il est à noter que les deux requérants étaient asymptomatiques. Par principe de précaution, il ont été jugés sans leur présence.

(CA Colmar 16 mars 2020, n° 20/01143, M. Christian A. ; n° 20/01142, M. Inan B. ; 23 mars 2020, n° 20/01206, M. ZZ. ; n° 20/01207, M. YY)

.

Plusieurs associations de défense et d’aide juridique des étrangers ont sollicité du juge des référés la fermeture temporaire des centres de rétention administrative et ce « jusqu’à la levée des mesures de confinement décidées pour lutter contre l’épidémie de covid-19 ».

Le juge des référés a relevé que « le nombre de personnes retenues dans les centres de rétention administrative a diminué dans des proportions très importantes depuis que l’épidémie de covid-19 a atteint la France ». Il a refusé d’admettre que « les conditions de fonctionnement des centres de rétention administrative seraient, dans les circonstances particulières du temps présent, susceptibles de porter par elles-mêmes atteinte, pour les personnes retenues comme pour les personnes appelés à servir dans les centres, au droit au respect de la vie ou au droit de recevoir des soins que requiert son état de santé ». En effet, des instructions ont été diffusées dans les centres afin de prévenir du virus (évaluation sanitaire des personnes retenues, interdiction d’entrée des personnes présentant les symptômes du virus, mesures d’hygiène, répartition spatiale des retenus, prise en charge médicale).

Même si le juge des référés a rejeté la requête, il indique toutefois que « le placement ou le maintien en rétention d’étrangers faisant l’objet d’une mesure ordonnant leur éloignement du territoire français ne saurait, sans méconnaître l’objet assigné par la loi à la mise en rétention, être décidé par l’autorité administrative lorsque les perspective d’éloignement effectif du territoire à brève échéance sont inexistantes ».

Dans la pratique les JLD n’hésitent pas à prolonger la durée de rétention en raison de l’impossibilité d’effectuer la mesure d’éloignement - de nombreux pays ont depuis fermé leurs frontières – quitte à invoquer le cas de force majeure.

(CE 27 mars 2020, n° 439720, GISTI et autres)

.

.

La présence du justiciable s’est également posée dans un autre domaine, l’hospitalisation sous contrainte.

Un homme a été admis en hospitalisation sans consentement à la demande d’un tiers au sein de l’établissement de Montpon-Menesterol par décision du directeur d’établissement puis en hospitalisation complète (SDRE) par décision du Préfet de la Dordogne.

Le préfet a contesté en appel l’ordonnance du JLD du Tribunal judiciaire de Périgueux qui a ordonné la main levée de l’hospitalisation complète de l’intéressé.

Là-encore l’audience s’est déroulée sans la présence du requérant, ni d’un conseil car le bâtonnier de Bordeaux a décidé de suspendre toute désignation d’office.

La force majeure est invoquée pour justifier ce choix.

En effet, « le plan de continuation susvisé, annexé à la présente décision, ne prévoit pas la tenue d’une audience au sein des locaux aménagés du centre hospitalier ». En outre, « plusieurs dossiers ont été fixés ce jour compte-tenu des contraintes procédurales imposées par les textes mentionnés ci-dessus, ces procédures concernant des patients hospitalisés dans des établissements très éloignés géographiquement ». Le recours à la visioconférence n’était pas possible d’une part en l’absence de texte spécifique l’y autorisant, et d’autre part en l’absence du matériel. Enfin, il n’était pas possible de renvoyer l’audience dans la mesure que « la cour dispose d’un délai impératif de douze jours pour statuer ».

(CA Bordeaux 19 mars 2020, n° 20/01415, préfecture de la Dordogne, M. Julien Z. c/ MP ; n° 20/01424, M. Benoît ZZ., préfecture de la Dordogne c/ MP)

lien externe
-
Fichier
-