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L’actualité jurisprudentielle en matière de sécurité civile

Nom de l'expert
Touache
Prénom de l'expert
Alexia
Fonction de l'expert
Elève-avocate - CERISC
Chapo du commentaire
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Texte du commentaire

Présentation :

Trois décisions de l’ordre judiciaire sont illustrées dans cette chronique. Ceci s’explique par le fait que certains problèmes relevant des conditions de travail touchent à la fois le secteur public que le secteur privé.

Il en est ainsi du délit de harcèlement sexuel prévu à l’article 222-33 du code pénal. Deux arrêts de la Cour de cassation livrent une application stricte de la loi pénale : 1° sur la nécessité de l’absence de consentement de la victime pour caractériser l’infraction ; 2° sur l’impossibilité pour une personne morale de se constituer partie civile, faute d’intérêt personnel pour agir.

Il peut être difficile pour un sapeur-pompier volontaire de cumuler les emplois surtout lorsque l’employeur attend de sa part qu’il se consacre à la totalité de son temps à l’entreprise. Pour la Cour d’appel de Douai, les absences sans autorisation en vue d’effectuer les formations de recyclage constituent une faute grave justifiant un licenciement.

Concernant le contentieux administratif propre, deux arrêts également retiendront l’attention : l’un relève des marchés publics et de la contestation au moment de la réalisation du décompte final (DF) ; l’autre vise la notation d’un sapeur-pompier militaire.

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STATUT

 

Évolution de carrière

Notation

 

La notation a un rôle déterminant pour un sapeur-pompier puisqu’elle conditionne l’évolution de sa carrière. L’agent doit avoir la possibilité de solliciter une révision.

En l’espèce, un sergent-chef à la brigade des sapeurs-pompiers de la 39ème compagnie du groupement des appuis et de secours à Kourou (Guyane) a demandé la révision de son bulletin de notation annuelle au titre de l’année 2015 auprès de la commission de recours des militaires.

Face au silence gardé par le ministre de la défense, le sous-officier a saisi le Tribunal administratif de Guyane tendant à l’annulation de la décision de rejet du ministre.

En cours d’instance, le ministre de la défense a finalement accepté partiellement le recours administratif préalable du sapeur-pompier, ce qui a conduit le tribunal « a, d'une part, constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet et, d'autre part, rejeté le surplus de [sa] demande […] ».

La Cour administrative d’appel de Paris a admis que les conclusions du demandeur devaient être dirigées contre la décision expresse du 21 avril 2016, et non plus contre la décision implicite de rejet. En revanche, la juridiction d’appel a estimé que « c'est à tort que les premiers juges ont rejeté comme irrecevables car tardives ses conclusions dirigées contre cette décision expresse ». Les premiers juges auraient dû permettre au demandeur de déposer de nouvelles conclusions.

Quant à la décision du ministre, le sous-officier a contesté sa légalité tant externe qu’interne.

Il a soulevé trois vices :

1° le défaut de motivation de la décision ;

2° le non-respect de l'instruction n° 220084/DEF/SGA/DRH-MD/SDPEP du 14 mars 2014 qui prévoit que le bulletin de notation annuelle doit mentionner quatre « points forts » et trois « points perfectibles » ;

3° des incohérences quant à l'appréciation de la qualité des services rendus et l'appréciation littérale de l'autorité notant au second degré.

De plus, à travers la notation, le sapeur-pompier y a vu une sanction déguisée.

Les juges d’appel ont écarté un par un les arguments, parfois sans apporter de précisions.

Néanmoins, la procédure administrative n’a pas été respectée, le jugement a donc été annulé.

(CAA Paris 27 novembre 2019, n° 17PA23764, M. C… D… c/ ministre de la défense)

 

Sapeur-pompier volontaire

Cumul d’emplois

Licenciement pour faute grave

 

Une société spécialisée dans le secteur des activités de sécurité privée a licencié un de ses salariés pour faute grave.

Le salarié a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes de Boulogne-sur-Mer qui l’a débouté par un jugement en date du 17 octobre 2016.

Le salarié licencié a interjeté appel de la décision.

La Cour d’appel de Douai a confirmé le jugement sur les points suivants.

A titre préliminaire, la juridiction a défini la faute grave comme étant « celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant d'un contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant le temps du préavis ». Selon les dispositions du code du travail, « la reconnaissance de la faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement ». La charge de la preuve repose sur l’employeur car « le doute profite au salarié ».

Les juges d’appel ont considéré que l’employeur a suffisamment établi la réalité des fautes reprochées lesquelles constituent chacune une faute grave.

L’agent est accusé d’une part d’être régulièrement absent alors qu’il est tenu de consacrer la totalité de son temps à l’entreprise. Il a justifié ses indisponibilités par le fait qu’il a « besoin de faire de nombreuses heures de recyclage en tant que pompier volontaire ».

D’autre part, ce salarié se faisait remplacer par des agents qui ne possédaient pas la carte professionnelle c’est-à-dire qui n’étaient pas habilités à assurer la sécurité privée.

(CA Douai 29 mars 2019, n° 16/04042948, M. Z… B… c/ SARL OPSIG)

 

 

LÉGALITÉ ADMINISTRATIVE

 

Contrat administratif

Marchés publics

Projet de décompte final

 

Dans le cadre d’un marché public de maîtrise d’œuvre, un contrat administratif a été conclu entre le SDIS de la Drôme et un groupement de sociétés solidaires (Atelier 3 A, mandataire et Paul Vollin Ingénierie (PVI)) le 17 décembre 2007 en vue d’une opération de restructuration/extension du centre d’incendie et de secours du Die. Les lots n° 1 « démolition, désamiantage, VRD » et n° 2 « gros œuvre » ont été attribués à la société Eiffage TP, devenue société Eiffage Génie Civil.

Dans son projet de décompte final (DF), la société Eiffage Génie Civil a sollicité auprès maître d’œuvre l’intégration des travaux supplémentaires concernant les lots n° 1 et n° 2 et à être déchargé des pénalités.

A titre d’information, lorsque les travaux sont achevés, l’entrepreneur doit suivre une procédure telle qu’édictée par le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG-Travaux).

Ainsi, l’entrepreneur établit un projet de DF dans lequel il indique « le montant total des sommes auxquelles il peut prétendre du fait de 'l'exécution du marché dans son ensemble les évaluations étant faites en tenant compte des prestations réellement exécutées » (article 13.31 du CCAG-Travaux). Ce projet de DF doit être remis au plus tard dans les 45 jours, à compter de la notification de la décision de réception par le maître d’ouvrage (article 13.32 du CCAG-Travaux). Ce délai est réduit à 15 jours pour les marchés dont la durée de l’exécution n’excède pas 3 mois. Le non-respect de ces délais peut entraîner des pénalités de retard. Ce projet devient le DF une fois que le maître l’a accepté (article 13.34 du CCAG-Travaux). Ce dernier peut éventuellement émettre des réserves.  

N’ayant pas eu de réponse à sa réclamation, la société Eiffage Génie Civil a saisi le Comité consultatif pour le règlement amiable des litiges relatifs aux marchés publics (CCIRA) de Lyon, puis le Tribunal administratif de Grenoble en vue de la condamnation du SDIS et de la société Atelier 3A in solidum à lui verser une certaine somme.

Le tribunal administratif a déclaré la demande forclose en vertu des dispositions de l’article 50 du CCAG-Travaux. Pour les premiers juges, face au silence du maître d’œuvre, l’entrepreneur aurait dû transmettre un mémoire complémentaire dans le délai de deux mois à compter de la date de réception par le maître d’œuvre.

La Cour administrative d’appel de Lyon n’ont pas partagé le même raisonnement. Selon elle, « la simple transmission au maître d’œuvre d’une copie de la réclamation adressée au maître d’ouvrage ne peut pas faire regarder celle-ci comme élevant un différend entre l’entreprise et la maîtrise d’œuvre au sens de l’article 50.11 du CCAG-Travaux précipité ».

Par conséquent, la réclamation effectuée par la société Eiffage Génie Civil n’a pas fait l’objet de règlement définitif, celle-ci était en droit de saisir le juge.

De plus, « l’entrepreneur peut saisir le juge administratif en l’absence de décision du maître de l’ouvrage dans le délai de 3 mois » sans pour autant excéder les 6 mois suivant la décision du maître de l’ouvrage.

Une fois admis la recevabilité de la société Eiffage Génie Civil, les juges d’appel ont eu à se prononcer sur le fond.

Sur l’indemnisation des surcoûts liés à l’allongement des délais d’exécution du lot n° 2, les juges administratifs ont rappelé un principe : « les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique, commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics ».

Il est ressorti de l’instruction que l’allongement de la durée d’exécution du lot n° 2 résulte directement des défaillances du bureau d’études techniques (BET) PVI. Afin de limiter les surcoûts, le SDIS aurait pu sanctionner ladite entreprise, ce qu’elle n’a pas fait.

Ils ont donc jugé que « la charge finale de leurs conséquences [devait peser] à raison de 85 % sur le groupement solidaire de maîtrise d'œuvre et de 15 % sur le SDIS de la Drôme ».

Sur les travaux supplémentaires, l’entrepreneur a droit d’être indemnisé sous certaines conditions. Les juges ont considéré que celui-ci était fondé à réclamer une indemnité seulement pour certains travaux entrepris pour le lot n° 2. Concernant le lot n° 1, la société n’a pas démontré la réalisation de travaux supplémentaires, ni leur caractère indispensable.

Sur les pénalités, le SDIS a demandé par voie d’incidence à ne pas être condamné au titre de pénalité de retard à verser une certaine somme à la société Eiffage Génie Civil. Les juges du fond ont donné droit au SDIS en dépit du fait que « les retards dans l'exécution des marchés ne sont pas imputables à l'entrepreneur ».

En outre, les décomptes généraux ont mis à la charge de l’entrepreneur des pénalités en raison de l’absence de celui-ci à 20 réunions de chantier. Pour les juges, les pénalités devaient donc rester à sa charge.

En résumé, la juridiction administrative a reconnu des torts partagés entre l’entrepreneur, le groupement solidaire et le SDIS.

(CAA Lyon 14 novembre 2019, n° 17LY04287, Société Eiffage Génie Civil c/ SDIS et Société Atelier 3A)

 

 

RESPONSABILITÉ

 

Responsabilité pénale

Harcèlement sexuel

 

Licenciement pour cause réelle et sérieuse

 

« Volenti non fit injuria » (nul ne fait de tort à celui qui consent).

En principe, cet adage latin ne s’applique pas pour la caractérisation des infractions pénales. Ce choix s’explique par le fait que la violation d’une loi pénale ne lèse pas seulement des intérêts privés mais porte aussi atteinte à l’intérêt général ; l’ordre public a été troublé. D’où, le consentement de la victime n’exonère pas l’auteur de l’infraction de poursuites pénales.

Ce principe doit être nuancé avec les infractions sexuelles. Le législateur a expressément érigé l’absence de consentement de la victime comme un des éléments constitutifs de ces délits. En effet, l’article 222-22, alinéa 1er du code pénal définit les agressions sexuelles (au sens large du terme) comme étant « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». En somme, l’agression sexuelle est constituée lorsqu’elle est imposée à la victime.

Le délit de harcèlement sexuel est prohibé aussi bien dans le code pénal (article 222-33) que dans le code du travail (article L.1153-1).

En l’espèce, un responsable d’équipe a été licencié pour faute grave le 31 juillet 2014. Il est accusé de faits de harcèlement sexuel à l’encontre d’une salariée.

Les juges d’appel ont jugé que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave mais sur une faute simple. L’employeur a ainsi été condamné pour non-respect de la procédure.

En effet, la faute grave est une violation des obligations du contrat qui empêche le maintien du salarié dans l'entreprise pendant l'exécution du préavis à la différence d’une faute simple.

L’employeur a formé un pourvoi en cassation.

La Haute juridiction a adhéré au raisonnement des juges du fond qui n’ont pas retenu la qualification de harcèlement sexuel, mais seulement une faute disciplinaire.

Les juge ont constaté que « d'une part que la salariée se plaignant de harcèlement sexuel avait répondu aux SMS du salarié, sans que l'on sache lequel d'entre eux avait pris l'initiative d'adresser le premier message ni qu'il soit démontré que ce dernier avait été invité à cesser tout envoi, et qu'elle avait, d'autre part, adopté sur le lieu de travail à l'égard du salarié une attitude très familière de séduction ».

De plus, les juges d’appel ont fait « ressortir l'absence de toute pression grave ou de toute situation intimidante, hostile ou offensante à l'encontre de la salariée ». Par conséquent, les deux salariés avaient « volontairement participé à un jeu de séduction réciproque », ce qui excluait la qualification de harcèlement sexuel.

La chambre sociale a également estimé que « le salarié, exerçant les fonctions de responsable d'exploitation d'une entreprise comptant plus de cent personnes, avait, depuis son téléphone professionnel, de manière répétée et pendant deux ans, adressé à une salariée dont il avait fait la connaissance sur son lieu de travail et dont il était le supérieur hiérarchique, des SMS au contenu déplacé et pornographique, adoptant ainsi un comportement lui faisant perdre toute autorité et toute crédibilité dans l'exercice de sa fonction de direction et dès lors incompatible avec ses responsabilités, la cour d'appel a pu en déduire que ces faits se rattachaient à la vie de l'entreprise et pouvaient justifier un licenciement disciplinaire ».

L’employeur a donc été condamné à payer au salarié des sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et de congés payés afférents.

(Soc 25 septembre 2019, n° 17-31171, M. G… c/ société Transdev Ile-de-France)

 

Constitution de partie civile de la personne morale

 

Un cadre de la mairie de Bouchain a été condamné par le tribunal correctionnel du chef de harcèlement sexuel sur deux salariées.

Cette décision a fait l’objet d’un appel.

Les juges du second degré ont admis la constitution de partie civile de la commune de Bouchain au motif que « ce dernier faisait partie du personnel d'encadrement en sa qualité de chef du service jeunesse et que les faits pour lesquels il est condamné ayant été commis dans l'exercice de ses fonctions, ont jeté indiscutablement un discrédit sur les services de la mairie ».

Par un attendu de principe au visa de l’article 2 du code de procédure pénale, la chambre criminelle a énoncé la règle : « Attendu que l'action civile en réparation du dommage causé par un crime ou un délit appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ».

Or pour la Haute juridiction, « le délit de harcèlement sexuel dont elle a déclaré le prévenu coupable relève de la catégorie des atteintes à la personne humaine dont la sanction est exclusivement destinée à protéger la personne physique, ne pouvait occasionner pour la commune un préjudice personnel et direct né de l'infraction ».

Ainsi, une personne morale ne remplit pas les conditions de l’article 2 du code de procédure pénale pour se constituer partie civile pour toutes les infractions situées au Livre II du code pénal intitulé « des crimes et délits contre les personnes ».

(Crim 4 septembre 2019, n° 18-83480, commune de Bouchain c/ M. F… U…)

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