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L’actualité jurisprudentielle en matière de sécurité civile

Nom de l'expert
Touache
Prénom de l'expert
Alexia
Fonction de l'expert
Elève-avocate - CERISC
Chapo du commentaire
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Texte du commentaire

Présentation :

A côté des quelques arrêts d’espèces, deux décisions se singularisent et méritent une attention particulière.

1° Le Conseil constitutionnel a érigé, dans sa décision du 31 janvier 2020, la protection de l’environnement au rang d’objectif à valeur constitutionnelle. C’est la première fois qu’il se fonde sur la Charte de l’environnement laquelle fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité.

2° Le Conseil d’État a admis que des notes de service qui obligent les pompiers à effectuer leurs missions entre minuit et 6 heures du matin puissent faire l’objet d’un recours en excès de pouvoirs par ces derniers. Par sa décision du 20 décembre 2019, le Conseil d’État requalifie la mesure comme faisant grief : elle est donc susceptible de faire l'objet d'un recours.

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LÉGALITÉ ADMINISTRATIVE

 

Acte administratif

 

Permis de construire

 

Par un arrêté du 12 mai 2017, le maire de Luisant a délivré à une SCI un permis de construire en vue de l’édification de 25 logements sociaux.

Le Tribunal administratif d’Orléans, saisi par des riverains, a refusé d’annuler la décision et « a sursis à statuer sur cette demande, jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt, pour permettre à la commune de Luisant de notifier à la cour un permis de construire régularisant le vice tiré de la méconnaissance de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ».

La société a remis, selon elle, à la cour un permis modifié exempt de vices.

Pour les requérants de première instance, les griefs restent identiques. Pour eux, « le projet autorisé méconnaît manifestement les exigences minimales en termes de sécurité et d'accessibilité requises par le service départemental d'incendie et de secours », mais aussi « l'article UR 3 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Luisant et présente un grave risque pour la sécurité publique ».

Les juges administratifs d’appel ont rejeté l’argumentation. L’instruction a indiqué la présence d’une aire de retournement permettant aux services de secours de faire demi-tour.

De plus, « il ressort des pièces du dossier que la voie principale de desserte interne du projet aura, en incluant le cheminement réservé au piéton qui sera seulement matérialisé par une signalisation au sol, une largeur de 4,31 mètres, suffisante pour permettre l'accès aux engins de secours ».

(CAA Nantes 21 janvier 2020, n° 18NT03433, M. A…, Mme B…, M. C… et autres c/ commune de Luisant)

 

Déclaration de travaux

 

Un propriétaire de parcelles de terrain a bénéficié, par un arrêté du 30 avril 2014, d’une non-opposition à une déclaration de travaux pour la réalisation d’une clôture.

Par un arrêté du 21 septembre 2015, le maire de la commune de Loupian a abrogé la première décision et « a mis en demeure l'intéressé de cesser tous travaux et de remettre en état le chemin passant sur la parcelle BE n° 57 ».

La commune a interjeté appel du jugement qui a annulé sa décision de 2015.

Les juges administratifs d’appel ont confirmé le jugement. En effet, « il ressort des pièces du dossier que la largeur de la voie privée ouverte à la circulation du public située en long des parcelles dont M. A... est le propriétaire, à l'arrière de mas d'ostréiculteurs installés en bordure de l'étang de Thau, est de 3,19 mètres ».

En outre, il n’est pas démontré que « l'accès des véhicules lourds d'incendie et de secours à cette portion de chemin soit impératif, ni que la présence d'un regard à proximité rende nécessaire le passage d'un véhicule lourd du service d'assainissement ».

Pour ces magistrats, l’élu a excédé ses pouvoirs de police générale tenant de l’article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales en refusant à ce particulier la réalisation de travaux.

(CAA Marseille 20 janvier 2020, n° 17MA04276, M. C… A… c/ commune de Loupian)

 

Nature et environnement

Utilisation de produits phytopharmaceutiques

 

La société requérante a contesté devant la juridiction suprême la constitutionnalité des dispositions de l’article L.253-8 du code rural et de la pêche maritime en son paragraphe IV.

Ce texte dispose que : « Sont interdits à compter du 1er janvier 2022 la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou de l'environnement conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 précitée, sous réserve du respect des règles de l'Organisation mondiale du commerce ».

Pour la société, l’interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques porteraient atteintes à la liberté d’entreprendre et « serait sans lien avec l’objectif de protection de l’environnement et de la santé ».

Les sages de la rue de Montpensier ont jugé l’article en question conforme au bloc de constitutionnalité pour deux raisons.

Premièrement, cette interdiction prévue par le législateur respecte bel et bien les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement.

Secondement, le législateur a laissé aux entreprises concernées par cette mesure « un délai d’un peu plus de trois ans pour adapter en conséquence leur activité ».

En d’autres termes, le Conseil admet qu’au nom de la protection de l’environnement et de la santé, la liberté d’entreprendre puisse être restreinte.

Cette restriction de la liberté d’entreprendre avait déjà été reconnue dans sa décision n° 2013-346 QPC du 11 octobre 2013 concernant la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique.

Cette décision est inédite car elle consacre pour la première fois la protection de l’environnement comme un objectif à valeur constitutionnelle en se fondant sur la Charte de l’environnement :

« Il en découle que la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle ».

Les objectifs de valeur constitutionnelle ont été créés par le Conseil constitutionnel et visent non pas à énoncer de nouveaux droits mais à déterminer des buts qui devront être respectés par le législateur. Ainsi, le législateur pourra limiter la portée de certains droits fondamentaux au regard de ces objectifs.

Ont déjà fait leur entrée dans cette liste des objectifs à valeur constitutionnelle : le maintien de l’ordre et le pluralisme des courants d'opinions et de pensées (CC 27 juillet 1982, n° 82-141 DC), le droit à un logement décent (CC 19 janvier 1995, n° 94-359 DC), la recherche des auteurs d'infractions (CC 16 juillet 1996 n° 96-377 DC), l'accessibilité et l'intelligibilité du droit (CC 16 décembre 1999, n° 99-421 DC), la lutte contre la fraude fiscale (CC 29 décembre 1999, n° 99-424 DC), le bon usage des deniers publics (CC 26 juin 2003, n° 2003-473 DC), le pluralisme et l'indépendance des médias (CC 3 mars 2009, n° 2009-577 DC), la bonne administration de la justice (CC 3 déc. 2009 n° 2009-595 DC) et la protection de la santé (CC 16 mai 2012, n° 2012-248 QPC). 

(CC 31 janvier 2020, n° 2019-823 QPC, association Union des industries de la protection des plantes)

 

 

RESPONSABILITÉ

 

Responsabilité administrative

Accident sur la voie publique

 

Un motocycliste a été victime d’un accident de la route ; il a souffert « d'un grave traumatisme crânien et d'un traumatisme thoracique, sévère ».

L’épouse de la victime placée sous tutelle a demandé au Tribunal administratif de Guadeloupe de reconnaître la responsabilité de la commune du Moule.

Le mécanisme de la responsabilité administrative est fondé sur la faute. La victime doit donc démontrer la réunion de trois conditions : une faute, un préjudice et un lien de causalité.

L’administration mise en cause a toujours la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité en établissant « la preuve de l'entretien normal de l'ouvrage ou que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à la force majeure ».

L’instruction constituée notamment du rapport du SDIS a permis de déterminer que « l'accident de la circulation dont a été victime M. J... est survenu sur la route de la Porte d'Enfer et qu'il trouve son origine dans la présence sur cette route d'une excavation de 120 cm de longueur sur 40 cm de largeur et de plus de 5 cm de profondeur, située au milieu de la chaussée dans sa voie de circulation ».

De plus, les juges ont estimé que « la présence, les dimensions et la situation de cette excavation sur la chaussée constituaient un danger excédant ceux que les motocyclistes peuvent s'attendre à rencontrer, la commune ne pouvant utilement se prévaloir d'un ordre de service de réfection de la route de la Porte d'Enfer en date du 6 octobre 2014, c'est-à-dire de travaux réalisés trois mois après les faits ».

La commune du Moule a une nouvelle fois était condamnée.

(CAA Paris 21 janvier 2020, n° 17PA21278, Mme E… J… c/ commune du Moule)

 

 

STATUT

 

Temps de travail

Modification du temps de travail

Travail de nuit

 

Les mesures d’ordre intérieur visent à déterminer l’organisation et le fonctionnement interne des services. Ils ne sont pas considérés comme des actes administratifs, des actes faisant grief car ils ne modifient pas l’ordonnancement juridique. Ces mesures ne s’imposent qu’à l’égard des agents de services (et non des administrés) qui doivent les respecter au nom du principe d’obéissance hiérarchique.

Longtemps le Conseil d’Etat a refusé qu’un recours puisse être porté contre ces mesures. Sa jurisprudence a évolué sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’Homme (article 6§1 de la CEDH) ; il a fini par admettre dans certains cas bien particuliers que ces mesures puissent faire l’objet d’un recours : les sanctions infligées contre les détenus (CE 27 janvier 1984, Caillol ; CE 17 février 1995, Marie), les punitions infligées contre les militaires (CE 17 février 1995, Hardouin) ou encore la question du foulard islamique dans les établissements scolaires (CE 2 novembre 1992, Kherouaa).

Par une note de service du 9 juin 2013, la présidente de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région des îles de Guadeloupe a informé les agents du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs (SSLIA) de la mise en place, à compter du 1er août 2013, d'une nouvelle organisation du travail conduisant notamment à ce qu'ils exercent leurs missions entre minuit et six heures du matin.

Par une note du 19 juillet 2013, le directeur général de l'aéroport de Pointe-à-Pitre leur a transmis leurs programmes de travail pour le mois d'août 2013.

La CCI de région des Iles de Guadeloupe et la société aéroportuaire Guadeloupe pôle Caraïbes se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 8 octobre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement et ces notes de service.

La question était de savoir si ces notes de services constituaient de simples mesures d’ordre d’intérieur ?

Le principe en la matière est le suivant :

« Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. »

Les conseillers d’État ont approuvé le raisonnement des juges administratifs d’appel qui ont considéré que « ces décisions ne constituaient pas de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ».

Ces deux notes ont pour effet « notamment d'imposer aux agents du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs de travailler entre minuit et six heures du matin de façon régulière ».

Or, le travail de nuit a une incidence directe sur la vie privée et familiale des agents.

(CE 20 décembre 2019, n° 426766, M. AG… et autres c/ Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région des îles de Guadeloupe et aéroport de Pointe-à-Pitre)

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