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David contre Goliath ou la difficile indemnisation des dommages causés par la vaccination contre l’hépatite B

Nom de l'expert
Sangay
Prénom de l'expert
Géraldine
Fonction de l'expert
Elève avocate
Chapo du commentaire
Nouvel épisode jurisprudentiel
Texte du commentaire

M. A., sapeur-pompier professionnel employé par le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de l’Hérault a été vacciné plusieurs fois contre l’hépatite B entre 1993 et 1994 en raison de son activité professionnelle.

Postérieurement à ces vaccinations, celui-ci a développé une sclérose en plaques.

Attribuant cette maladie à sa vaccination contre l’hépatite B, M.A. saisit l’Office nationale d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) d’une demande d’indemnisation de son préjudice sur le fondement de l’article L 3111-9 du Code de la santé publique (CSP).

Cet article dispose que : « Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale ».

Sa demande est rejetée par l’organisme au motif que la vaccination contre l’hépatite B ne présentait pas un caractère obligatoire au moment des faits et que l’agent ne prouve pas l’existence d’un lien de causalité entre son dommage et la vaccination.

Suite à ce refus, M. A. saisit le tribunal administratif d’une demande d’annulation de la décision de refus de l’ONIAM et de condamnation solidaire de l’ONIAM et de l’Etat à indemniser son préjudice.

Forts de l’argumentaire de l’ONIAM, les juges du fonds rejettent ses prétentions.

M. A. fait alors appel de ce jugement devant la Cour d’appel administrative (CAA) de Marseille, qui condamne l’ONIAM à indemniser l’agent de son préjudice (CAA Marseille, 1er avril 2010, n°09MA01644)

Le raisonnement de la Cour est le suivant. L’article L 3111-4 alinéa 1 du CSP (article L 10 du CSP issue de la loi du 18 janvier 1991) dispose qu’ « Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins (…), exerce une activité professionnelle l'exposant à des risques de contamination doit être immunisée contre l'hépatite B (…) ».

Dans son alinéa 3, il est inscrit qu’ « Un arrêté des ministres chargés de la santé et du travail, pris après avis du Haut conseil de la santé publique, détermine les catégories d'établissements et organismes concernés ». Cet arrêté a été pris le 15 mars 1991 mais n’a mentionné les agents des SDIS qu’à partir de sa réforme par l’arrêté du 29 mars 2005.

Le régime de cette indemnisation parait donc réservé aux personnes vaccinées après 1991.

Dans un souci d’équité, ce régime fut ensuite étendu par la loi du 4 mars 2002 (article 104) aux personnes vaccinées avant l’entrée en vigueur de la loi n°91-73 qui rendait ces vaccinations obligatoires car les fortes recommandations sur cette vaccination étaient dans la plupart des cas interprétées comme des obligations de fait.

Malheureusement, malgré cette extension, M.A. demeure exclu du dispositif au motif que la vaccination n’était pas obligatoire pour les sapeurs-pompiers dans les années 90. Elle ne sera obligatoire dans les textes qu’à partir de l’arrêté du 29 mars 2005.

Cette exclusion des sapeurs-pompiers du dispositif est d’autant plus injuste que dès le 23 juin 1998, un avis du comité technique des vaccinations et du conseil supérieur d’hygiène publique de France avait inclus les sapeurs-pompiers parmi les groupes à risque devant être soumis à la vaccination contre l’hépatite B. Cet avis avait été suivi par un arrêté daté du 6 mai 2000 disposant que cette vaccination était obligatoire pour ces professionnels. Cet arrêté fut cependant annulé par le Conseil d’état au motif que le ministère de l’Intérieur n’avait pas compétence pour prendre cet arrêté.

A ce sujet, il peut sembler intéressant de consulter la question ministérielle n°87594 et sa réponse.

Afin de combler ce vide juridique et permettre une indemnisation de M. A., la Cour interprète largement la volonté du législateur.

Elle écrit ainsi que si dans un souci d’équité, le législateur a étendu ce régime indemnitaire aux vaccinés d’avant 1991 malgré l’absence de vaccination obligatoire, le même raisonnement peut s’appliquer à ceux vaccinés après 1991 bien que dans leur secteur la vaccination restait facultative en droit. Elle dispose ainsi que « les dispositions de l'article L. 3111-9 du code de la Santé publique aux seules catégories professionnelles qui faisaient l'objet d'une mesure de vaccination obligatoire en 2002, mais d'étendre ce dispositif aux personnes auxquelles cette vaccination était présentée de fait comme obligatoire, avant qu'elle ne le devienne de droit ».

Cette position est confortée par l’entrée en vigueur de l’article 42 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires qui dispose que « Avant le 15 septembre 2009, le Gouvernement présente au Parlement un rapport évaluant l'intérêt qu'il y aurait à rendre l'article L. 3111-9 du code de la santé publique applicable aux personnes exerçant ou ayant exercé une activité professionnelle ou volontaire au sein de services d'incendie et de secours qui ont été vaccinées contre l'hépatite B depuis la date d'entrée en vigueur de la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991 portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales. ».

La Cour conclue ainsi en expliquant qu’au vue les circonstances de la campagne de vaccination subie par M. A. faisaient que celle-ci présentait un caractère obligatoire pour les agents, ce qui leur rend applicable le régime indemnitaire de l’article L 3111-9 du CSP.

La responsabilité de l’Etat est écartée au motif que la réforme de l’article L 3111-9 CSP par un décret du 30 décembre 2005 et entré en vigueur, selon les termes de son article 9, le 1er janvier 2006 transfère le devoir d’indemniser les victimes de l’Etat à l’ONIAM.

Enfin, l’existence du lien de causalité entre le dommage et le vaccin est traitée en un court paragraphe par les juges. A l’instar des juges du fond, ceux-ci estiment que « eu égard, d'une part, au bref délai ayant séparé les injections de 1993 de l'apparition des symptômes, d'autre part, à la bonne santé de M.A... et à l'absence de tous antécédents à cette pathologie, antérieurement à sa vaccination, la sclérose en plaques dont il souffre devait être regardée comme imputable au service (…) . Il revient dès lors à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, en application des dispositions précitées, de réparer, au titre de la solidarité nationale, les dommages subis par ... du fait de cette affection ».

Suite à cette condamnation, l’ONIAM se pourvoit en cassation devant le Conseil d’Etat.

Loin de ces préoccupations quant à la nature obligatoire ou non de ce vaccin, le Conseil d’état (Conseil d’état, 1 juin 2011, n°340096), pour écarter l’obligation de réparation de l’ONIAM, se place sur le terrain de l’application de la loi dans le temps.

Ainsi, les juges suprêmes décident que les agents des SDIS vaccinés après 1991 ne peuvent être indemnisés de leur préjudice que depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2010-1657 du 29 décembre 2010 dans son article 193 qui dispose que « L'article L. 3111-9 du code de la santé publique est applicable aux personnes exerçant ou ayant exercé une activité professionnelle ou volontaire au sein de services d'incendie et de secours qui ont été vaccinées contre l'hépatite B depuis la date d'entrée en vigueur de la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991 portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales ».

Le Conseil d’Etat considère alors que seul ce texte est applicable au cas de M. A. et refuse de souscrire aux propositions d’extensions du champ juridique de l’article L 3111-9 du CSP proposées par la Cour administrative de Marseille.

Ce texte étant postérieur à la date où la Cour a statué, il est inapplicable à M. A. De fait, le régime indemnitaire de l’article L 3111-9 du CSP ne lui est donc pas applicable. La cour suprême annule alors l’arrêt de la Cour administrative de Marseille du 1er avril 2010 et renvoie l’affaire devant cette même cour.

L’arrêt de la Cour administrative de Marseille du 17 juillet 2012 est le dernier en date concernant ce litige (CAA Marseille, 17 juillet 2012, n°09MA01644).

Sa motivation est brève et élégante : la Cour statuant postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 29 décembre 2010, le régime indemnitaire de l’article L 3111-9 du CSP est applicable à M.A.

L’existence du lien de causalité entre le dommage et la vaccination est établie de la même façon que dans son précédent arrêt.

L’ONIAM est donc de nouveau condamnée à indemniser M.A. en raison de son préjudice résultant d’une vaccination contre l’hépatite B.

Au vue de ces éléments, que retenir de cet arrêt ?

Le contentieux de M.A. n’est pas isolé. En effet, suite à ce genre de litiges où des sapeurs-pompiers n’étaient pas indemnisés, l’opinion publique s’est émue et suivant les recommandations du défenseur des droits et de plusieurs parlementaires, la loi n°2010-1657 du 29 décembre 2010 a été votée. Cette loi comme l’illustre les arrêts de la Cour administrative d’appel de Marseille et celui du Conseil d’Etat a bouleversé totalement ce contentieux de façon positive. Elle permet ainsi, dans un souci d’équité et d’égalité, d’indemniser de façon simple et efficace les personnels des SDIS ayant été vaccinés contre l’hépatite B depuis la loi de n° 91-73 sans se préoccuper du caractère obligatoire ou non de ce vaccin.

En ce qui concerne les agents des SDIS vaccinés avant 1991, on peut supposer qu’ils bénéficieront de l’extension du régime indemnitaire de l’article L 3111-9 du CSP prévue par la loi du 4 mars 2002.

Cet arrêt s’inscrit au sens d’un courant jurisprudentiel visant à indemniser les personnes qui ont été vaccinées contre l’hépatite B et qui ont développées une sclérose en plaque. Les derniers arrêts en date sur le sujet semblent tendre vers une indemnisation facilitée. Ainsi, le lien de causalité n’a plus à être prouvé, un faisceau de présomption suffit comme ce fut le cas pour M.A.( Voir notamment les arrêts de la Cour de cassation, première chambre civile du 22 mai 2008, n°05-20317, 06-10967 et 06-14962 ainsi que Cour de cassation, 24 sept 2009, n°0816097).

Cependant, cette position n’est pas encore adoptée par toutes les Cours administratives d’appel, certaines exigeant une preuve de l’imputabilité directe du préjudice à la vaccination obligatoire (Voir notamment CAA Bordeaux du 1er juillet 2008, n°07BX00660).

Enfin, il convient de rappeler qu’aucune étude médicale n’a encore mis en évidence l’existence d’un lien de causalité certain entre la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose de plaques. La justice française semble donc appliquer un principe de précaution en élargissant de plus en plus les bénéficiaires du régime indemnitaire de l’article L 3111-9 du CSP dans le but peut-être de protéger les patients, de défendre le faible contre le fort.

Sources :

- Droit médical.com

- Indemnisation des sapeurs-pompiers vaccinés contre l’hépatite B avant l’arrêté du 29 mars 2005 par le défenseur des droits.

- Le préjudice causé par une vaccination présentée comme obligatoire peut aussi être indemnisé, AJDA 2010 p 1551.

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