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Actualité jurisprudentielle

Nom de l'expert
F. Trombetta & A. Touache
Prénom de l'expert
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Fonction de l'expert
CERISC
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Texte du commentaire

Plusieurs décisions de justice ont été rendues dans des domaines variés. Une retiendra une attention toute particulière, celle de la Cour de justice de l’Union européenne du 17 mars concernant une fois de plus l’application du temps de travail. Il s’agit d’une décision inédite dans la mesure que c’est la première fois qu’elle a l’occasion d’appliquer ladite directive à des travailleurs cumulant plusieurs contrats d’un même employeur.

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PROCEDURE

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Compétence des juridictions nationales

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L’affaire concerne le « crash » d’un avion entre l’Indonésie et Singapour dont le transporteur est une société indonésienne, le propriétaire de l’appareil est une société allemande, le constructeur est une société française et son fournisseur une société française.

La Cour de cassation est venue apporter des précisions sur la juridiction compétente pour ce type d’affaire, en rejetant les requêtes, confirme l’incompétence des juridictions françaises en appliquant la Convention de Varsovie qui selon la hiérarchie des normes est supérieure au droit interne (droit national) en ce qui concerne les rapports entre les parties liées par un contrat de transport que sont les passagers et le transporteur. Mais la Cour de cassation rejette également la prétendue incompétence des juridictions nationales lorsqu’il s’agit de rapports autres que ceux mentionnés dans la Convention de Varsovie et qu’aucune clause attributive de compétence est mentionnée dans les contrats, en application de l’article 333 du code de procédure civile, notamment entre transporteur et constructeur.

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Le 28 décembre 2014, un avion parti d’une île en Indonésie à destination de Singapour, s’est « abîmé en mer », ne laissant aucun survivant.

« Le 4 juillet 2016, divers ayants droit des victimes ont engagé une action en responsabilité civile contre le transporteur, une société indonésienne, le propriétaire de l’avion, une société allemande, le constructeur, une société française et son fournisseur, une société française Artus, devant le tribunal de grande instance d’Angers, lieu du siège social de cette dernière. Le fournisseur a formé un recours en garantie contre le transporteur. »

Le constructeur, le transporteur et le propriétaire de l’appareils ont saisi le juge de la mise en état d’une exception d’incompétence au profit des juridictions indonésiennes.

La cour d’appel d’Angers avait refusé l’action menée par les ayants droits des passagers décédés contre la compagnie aérienne.

La Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d’appel à savoir que « cette société (le transporteur) ne pouvait être attraite en France sur la base de l’un des chefs de compétence dérivée du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 ». Elle a ajouté que l’arrêt retient que la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, et notamment son article 28 alinéa 1, selon lequel « l’action en responsabilité est portée, au choix du demandeur, dans le territoire d’une des Hautes parties contractantes, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination », est une « règle de compétence directe ayant un caractère impératif et exclusif, de sorte qu’elle fait obstacle à ce qu’il y soit dérogé par application des règles internes de compétence, et notamment celle de l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile ».

Inversement, la cour d’appel avait admis l’action menée par le constructeur de l’avion et son sous-traitant à l’encontre du transporteur (la compagnie aérienne).

La Cour de cassation a expliqué que l’arrêt de la cour d’appel a retenu à juste titre que la Convention de Varsovie ne s’applique qu’aux parties liées par le contrat de transport. L’appel en garantie du constructeur d’aéronef ou de son sous-traitant, qui n’exerce pas une action subrogatoire mais une action personnelle, contre le transporteur, ne relève pas du champ d’application de cette Convention et échappe aux règles de compétence juridictionnelle posées en son article 28. De plus, « conformément à l’article 333 du code de procédure civile, applicable dans l’ordre international en l’absence d’une clause attributive de compétence, le transporteur ne peut décliner la compétence de la juridiction française saisie dans ses rapports avec l’appelant en garantie ».

(1ère Civ., 14 avril 2021, n° 19-22.236, publié au Bulletin)

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STATUT

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Temps de travail

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« Lorsqu’un travailleur a conclu avec le même employeur plusieurs contrats de travail, la période minimale de repos journalier s’applique aux contrats pris dans leur ensemble et non à chacun des contrats pris séparément ».

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Dans cette décision du 17 mars 2021, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) est saisie d’une question préjudicielle par le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, ROUMANIE) concernant l’application de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.

La question préjudicielle, au titre de l’article 267 du TFUE, permet aux juridictions nationales de poser une question à la CJUE afin d’obtenir des précisions d’interprétation sur certaines dispositions européennes. Il n’appartient pas à cette Cour d’apprécier les faits ou de trancher le litige au niveau national en appliquant aux mesures ou aux situations nationales les règles du droit de l’UE. Il n’empêche que la Cour de justice doit apporter les éléments de réponse qui permettront à la juridiction nationale de statuer.

En l’espèce, l’Academia de Studii Economice din București (ASE) a reçu un financement européen lui permettant de mettre en œuvre le programme « Performance et excellence dans le domaine de la recherche postdoctorale en sciences économiques en Roumanie ». Le ministère de l’Education nationale a mis à la charge de l’ASE une créance budgétaire d’un certain montant correspondant aux coûts déclarés non éligibles en raison du dépassement du plafond du nombre d’heures (13 heures) que ces employés peuvent travailler quotidiennement. La particularité était que les experts engagés par l’ASE cumulaient plusieurs contrats de travail.

D’où les deux questions posées à la CJUE : « Les limites à la durée de la journée et de la semaine de travail qui sont imposées par la directive 2003/88/CE (2) sont-elles également applicables dans le cas où un travailleur a conclu plusieurs contrats avec le même employeur ? Ou bien doivent-elles être appliquées « par contrat », de sorte qu’il faut déterminer, pour chaque contrat de travail, si ces limites ont été dépassées ? ».

La CJUE a répondu « que les contrats de travail conclus par un travailleur avec son employeur doivent être examinés conjointement pour qu’il puisse être constaté que la période qualifiée de repos journalier correspond à la définition de la période de repos figurant à l’article 2, point 2, de la directive 2003/88, à savoir qu’il s’agit d’une période qui ne constitue pas du temps de travail ».

La Cour a conclu que l’article 2, point 1, et l’article 3 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’un travailleur a conclu avec un même employeur plusieurs contrats de travail, la période minimale de repos journalier, qui est prévue à cet article 3, s’applique à ces contrats pris dans leur ensemble et non à chacun desdits contrats pris séparément.

En effet, dans le cas de plusieurs contrats de travail avec un même employeur, les heures considérées comme constituant des périodes de repos dans le cadre d’un contrat seraient susceptibles de constituer du temps de travail dans le cadre d’un autre contrat. Or, une même période ne peut être qualifiée en même temps de temps de travail et de période de repos par le même employeur.

Cette décision est inédite car c’est la première fois que la Cour de justice ait amené à se prononcer sur ce point. Cependant, au regard de sa jurisprudence, la solution était prévisible.

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Notions clés :

Le « temps de travail » s’entend comme étant « toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou aux pratiques nationales ». (Article 2 de la directive 2003/88)

La « période de repos » est définie comme « toute période qui n’est pas du temps de travail ». (Article 3 de la directive 2003/88).

(CJUE 17 mars 2021, n° C-585/19, Academia de Studii Economice din Bucureşti contre Organismul Intermediar pentru Programul Operaţional Capital Uman – Ministerul Educaţiei Naţionale)

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Le tribunal administratif de Lyon a accueilli la demande d’un SPP tendant à la condamnation de son employeur, un SDIS pour non-respect de la législation sur le temps de travail. Il reproche d’avoir dû effectuer, en 2010 et 2011, des heures supplémentaires dépassant la durée légale annuelle. A la suite, le SDIS a fait plusieurs recours, en appel, puis en cassation. Bien que les décisions aient chaque fois été annulées en raison des montant de l’indemnisation, la responsabilité du SDIS est maintenue. Le Conseil d’Etat s’est prononcé et a renvoyé l’affaire devant la cour administrative d’appel de Lyon. Cette dernière a dû trancher sur la question des préjudices personnels et les troubles dans les conditions d'existence liés à la non-application de la directive européenne 2003/88 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.

La juridiction d’appel a rappelé que le régime des équivalences ne s’appliquait qu’en matière de rémunération. Or elle a observé que le SPP logé en caserne « a effectué des heures en dépassement du plafond annuel de 2 256 heures au cours des années 2010 et 2011, respectivement à hauteur de 225 heures, et 254 heures ». En revanche, il n’est « pas établi, ni même allégué, que ces heures n'auraient pas été rémunérées dans des conditions régulières ». A ce titre, elle a jugé que le SPP était fondé à réclamer une indemnisation résultant « des troubles subis par (celui-ci) dans ses conditions d'existence du fait de ces dépassements, et notamment de l'atteinte portée à sa santé et à sa sécurité, en lui accordant à ce titre, pour chacune des deux années en cause, la somme de 1 000 euros, tous intérêts échus ».

Sur les intérêts et la capitalisation, la juridiction administrative a estimé que le SPP « est fondé à demander, d'une part, que le SDMIS lui verse une somme de 2 000 euros tous intérêts confondus au titre des troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis au titre des années 2010 et 2011, et, d'autre part, que les sommes qui lui sont dues, en application de l'arrêt n° 17LY01230, 17LY01433 et correspondant à la rémunération de 240 heures supplémentaires effectuées en 2010 et de 270 heures supplémentaires effectuées en 2011, portent intérêts à compter du 26 octobre 2012 dans les conditions précisées au point 8 ci-dessus ».

(CAA de LYON, 3ème chambre, 04/05/2021, n° 20LY03341, M. F… C…, Inédit au recueil Lebon)

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LEGALITE ADMINISTRATIVE

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Acte administratif

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Le Conseil d’Etat a rendu deux ordonnances de rejet dans le cadre de référés suspensions sur l’exécution de l’article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 qui instaure que « tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence est interdit à l'exception des déplacements pour les motifs suivants en évitant tout regroupement de personnes […] ».

Les requérants soutenaient que la condition d’urgence est satisfaite dès lors qu’il est porté atteinte à la liberté d’aller et venir pour tous les habitants de la région Île-de-France en posant comme principe l’interdiction de déplacement hors de sa résidence. Cette atteinte aurait les mêmes effets qu’une assignation à résidence. Il existe un doute sérieux quant à la légalité des dispositions attaquées et seraient disproportionnées puisqu’elles s’appliquent de manière générale « sans distinction entre les personnes vaccinées ou non et que les personnes ayant reçu une double dose du vaccin ne peuvent plus contracter de formes graves de la COVID-19 et ne contribuent donc pas à l’augmentation de la tension hospitalière, en deuxième lieu, les personnes vaccinées présentent un risque réduit de contagiosité et, en dernier lieu, les personnes qui présentent le risque de développer une forme grave de la Covid-19, à savoir les personnes les plus âgées, sont aujourd’hui vaccinées dans des proportions importantes, ce qui réduit le risque de tension hospitalière ».

Le Conseil d’Etat explique que les mesures de confinement, dont la suspension est demandée, ont pris fins le 1er mai 2021. Les conclusions sont donc, sur ce point, devenues sans objet et décide qu’il n’y a pas lieu à statuer.

Le Conseil d’Etat rejette les demandes de suspension des mesures restantes que sont les mesures de couvre-feu de 19 heures à 6 heures et dont le gouvernement devrait les restreindre de 21 heures à 6 heures. Le juge explique que les incertitudes scientifiques relatives à la contagiosité des personnes vaccinées et de la diffusion des variants, ne lui permettent pas d’ « user des pouvoirs qui sont les siens ».

(CE ordonnance 6 mai 2021, n° 451455, M. A… et n° 451940, M. E… et autres)

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Le Conseil d’Etat a rejeté les demandes en référé-liberté d’associations de cultes religieux sur la demande d’ « ouverture des mosquées en France du samedi 8 mai 2021 à 21 heures, au dimanche 9 mai 2021 à 2 heures, avec des consignes sanitaires strictes prévues par une circulaire interne ».

Les requérants soutiennent que la condition d’urgence est remplie puisque les évènements doivent avoir lieu pendant la nuit du 8 au 9 mai et qu’une décision de justice est nécessaire pour organiser les célébrations et avertir les « fidèles des modalités particulières de cette célébration ». La décision de rejet de leur demande devant « le ministre de l’intérieur méconnait la liberté de culte et apparaît disproportionnée » puisque les lieux de cultes concernés respectent « scrupuleusement les consignes sanitaires ». De plus, l’impact du couvre-feu est également très contraignant pour les croyants en cette période de jeûne. Enfin, « toutes les mesures de prévention nécessaires peuvent être prises pour éviter que des contaminations interviennent à la faveur de cet événement ; la situation présente se distingue de la question des veillées de Pâques en ce que, d’une part, l’intensité de la crise sanitaire n’est plus la même et, d’autre part, le juge des référés du Conseil d’Etat avait relevé que des solutions pouvaient être trouvées pour aménager les horaires des veillées pascales ». Cette décision méconnait le principe d’égalité puisque pour la nuit de « Noël 2020, les pouvoirs publics avaient levé le couvre-feu pour toute la nuit du 24 décembre 2020, et ce jusqu’au 25 décembre 2020 à 20 heures, laissant aux chrétiens la possibilité de célébrer une fête essentielle dans des conditions respectant la liberté du culte ».

Le Conseil d’Etat rappelle la situation préoccupante dans lequel se trouve actuellement le territoire métropolitain avec des indicateurs épidémiologiques et hospitaliers très dégradés, en faisant état de la présence de nombreux variants de la COVID-19. Le juge des référés rappelle également les mesures alternatives mises en place par le ministre de l’intérieur en ce qui concerne l’ouverture de ces lieux de cultes dès la première prière et reconnait la mise en place de protocole sanitaire dans ces lieux de cultes.

Cependant, le juge explique qu’il appartient aux « différentes les autorités compétentes » de prendre toutes dispositions de nature à « prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie » pour sauvegarder la santé de la population. Il a donc été nécessaire de « mettre en balance » l’objectif de maîtrise du risque épidémique et la liberté de culte « qui comprend le droit de participer collectivement à des cérémonies religieuses ». L’exercice de ce droit suppose que les pouvoirs publics sont en mesures de contrôler que les personnes se rendent uniquement dans ces lieux de cultes. L’autre problématique est le nombre important de personnes amenées à se rendre dans ces lieux : environ 200 000 personnes.

La décision de refus du ministre de l’intérieur « ne peut être regardée comme portant une atteinte manifestement illégale à la liberté de culte ».

En ce qui concerne la rupture d’égalité invoquée par les requérants, le juge ne se prononce pas sur le fond mais explique qu’il ne s’agit pas d’une « atteinte à une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ».

Le juge administratif rejette ainsi l’ensemble des demandes en référé.

(CE ordonnance 6 mai 2021, n° 452144, association société des Habous et lieux saints de l’Islam, association fédération de la grande Mosquée de Paris)

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