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Actualité jurisprudentielle

Nom de l'expert
Gallinella
Prénom de l'expert
Fabien
Fonction de l'expert
Elève-avocat, docteur en droit
Chapo du commentaire
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Texte du commentaire

  

  

RESPONSABILITE

  

  

Responsabilité pénale

  

  • Discrimination à l’embauche et à l’avancement au sein d’un SDIS.

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Cinq pompiers métropolitains ont participé, en 2016, au concours interne organisé par un SDIS. Admissibles, ils ont cependant été ajournés lors de l’épreuve orale et, le 21 aout 2017, je jury a décidé qu’ils ne seraient pas admis. Hors, en juin de la même année, l’un des membres du jury, également représentant syndical, avait publiquement affirmé dans les médias qu’il voulait favoriser, au nom de la préférence régionale, les candidats locaux, issus du département.

                En première instance, le tribunal administratif a, le 31 octobre 2019, donné raison aux requérants : ont été annulé la délibération du jury du 21 aout 2017 fixant la liste des candidats admis au concours interne de sergent ainsi que l’arrêté du 23 aout 2017 par lequel la présidente du SDIS a établi, au titre de l’année 2016, la liste d’aptitude pour l’accès au grade de sergent. Ainsi, le manque d’impartialité du jury a été condamné.

                Le 31 janvier 2020, le SDIS a saisi en appel la Cour administrative d’appel de Bordeaux afin de faire annuler le jugement du tribunal administratif et de rejeter la requête des cinq pompiers requérants. Selon les moyens invoqués par le SDIS, les propos d’un des membres du jury ne sont pas en mesure d’entacher l’impartialité des décisions prisent par ce même jury. Examinant les propos tenus par le membre du jury, la cour administrative d’appel a jugé qu’alors « même qu'elle était défendue dans le cadre d'un mandat syndical, cette position de principe consistant à instituer une discrimination au détriment des candidats en provenance de la métropole, faisait obstacle, eu égard au principe d'impartialité auquel est soumis un jury de concours et au principe de l'égal accès aux emplois publics, à ce que l'auteur de telles déclarations participe aux opérations du concours interne de sergent ». En affirmant cela dans son considérant, le cour administrative d’appel invalidait la position défensive du SDIS. Sa requête en appel a donc été rejeté.

                Quoiqu’il en soit, retenons que, pour la jurisprudence actuelle, la prise de parole public d’un membre de jury peut porter atteinte à son impartialité et le fait d’être syndicaliste ne le dispense en rien de son devoir de neutralité.

(CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 15/09/2022, 20BX00368, Inédit au recueil Lebon)

  

Installations classées pour l’environnement (ICPE)

  

  • Le dernier exploitant d'un site d’« installation classée pour l’environnement » (ICPE) n'est pas obligé de procéder à des dépollutions supplémentaires même si le site est prévu pour une réaffectation.

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                La Cour vient préciser l’application de l’article et R. 512-39-4 et R. 512-66-2 du code de l’environnement disposant qu’en « cas de modification ultérieure de l'usage du site, l'exploitant ne peut se voir imposer de mesures complémentaires induites par ce nouvel usage sauf s'il est lui-même à l'initiative de ce changement d'usage ».

                En optant pour une approche restrictive de la notion de « modification ultérieure », la Cour limite les obligations de l’exploitant de l’ICPE. Ces obligations ne s’étendent pas au-delà du moment où, dans le cas d’espèce, un permis de construire est délivré à l’exploitant. Si l’exploitant, désormais propriétaire d’un site dépollué, revend ensuite le site à une autre société ayant un projet immobilier ou commercial nécessitant une dépollution plus poussée, l’exploitant original ne pourra pas être contraint de payer ces mesures de dépollution supplémentaires.

                Pour un commentaire plus détaillé, voir le site de Me Arnaud Gossement.

(Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 29 juin 2022, 21-17.502, Publié au bulletin)

  

  

STATUT

  

  

Congés

Mise en disponibilité

  

  • Les conditions de réintégration d’un fonctionnaire territorial à l’issue d’une mise en disponibilité.

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Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat vient rappeler qu’au titre de l’article 72 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (loi abrogée par l’ordonnance du 24 novembre 2021 et désormais remplacée par les articles L 514-1 à L 514-8 du Code général de la fonction publique (CGFP)) ainsi que de l’article 26 du décret du 13 janvier 1986 et de l’article 97 de la loi du 26 janvier 1984 (également repris aux articles L. 542-13 et L. 542-22 du CGFP), le fonctionnaire territorial ayant bénéficié d’une mise en disponibilité pour convenances personnelles d’une durée inférieure à trois ans, a le droit d’être réintégré à condition qu’un emploi correspondant à son grade soit vacant.

Dans le cadre d’une réintégration, la collectivité, rappelle le Conseil d’Etat, a l’obligation de proposer des offres « fermes et précises quant à la nature de l’emploi et la rémunération ». Elle ne peut pas, par ailleurs, subordonner le recrutement à la « réalisation de conditions soumises à l’appréciation de la collectivité ».

Enfin, l’acceptation de l’offre par l’agent réintégré ne signifie pour autant que son acceptation était légale. La juridiction de première instance avait commis une erreur de droit en ne recherchant pas si les postes proposés à la requérante correspondaient à son grade. Le Tribunal administratif de Poitiers s’était en effet contenté de constater que la requérante « n’avait pas été contrainte » d’accepter le poste, démarche qui, selon le CE, était insuffisante.

En conclusion, pour le cas d’espèce, le Conseil d’Etat a renvoyé l’affaire devant la cour administrative d’appel et a condamné la collectivité territoriale à verser 3 000 euros à la plaignante à titre de remboursement des frais irrépétibles.

(Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 07/07/2022, 449178)

  

Droits et libertés

Manifestions

  

  • Absence de fondement juridique pour sanctionner la participation à une manifestation non déclarée.

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Le code pénal (CP) (art. R 610-5 et R 644-4) et le code de la sécurité intérieure (CSI) (art. L 211-4) constituent ensemble un dispositif législatif permettant de sanctionner l’organisation d’une manifestation non déclarée ainsi que la participation à une manifestation interdite. Cependant, un flou demeurait concernant la simple participation à une manifestation non déclarée. Dans le contexte des graves troubles sociaux de 2018-2019 puis du confinement du printemps 2020, la question avec d’autant plus d’intensité que les manifestations sont désormais bien plus spontanées que celles auxquelles étaient historiquement habituées les forces de l’ordre.

En l’espèce, la manifestation ne concernait pas un syndicat habitué à battre le pavé mais un groupe de huit choristes qui, le 23 mai 2020, dans le centre-ville de Metz, avait décidé de donner de la voix contre les mesures de confinements et de distanciation sociale. Plus encore, d’après le site de l’association « chorale révolutionnaire », organisatrice de l’évènement, la manifestation visait à contester la politique sanitaire gouvernementale. Le contexte est en effet à rappeler : alors qu’une partie du pays entamait la « phase 1 » du « déconfinement » depuis le 11 mai, la région Grand Est, plus touchée que d’autres, était encore soumise à un régime strict. Suivant l’article 6 du décret 2020-645 du 11 mai 2020 et l’article 3 du décret 2020-663 du 31 mai 2020 « prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire », toute manifestation de plus de dix personnes était proscrite – hors, les choristes revendiquèrent eux-mêmes dix-neuf participants. Au surplus, la veille, le 22 mai, la préfecture de Moselle avait pris un arrêté (CAB/DS/SSI/PSI-82) « portant interdiction de la tenue de cortèges, défilés, rassemblements et manifestations non déclarées » notamment dans la commune de Metz. Un arrêté explicitement motivé par les débordements qu’avait subi la ville en octobre et novembre 2019 lors de manifestations « gilets jaunes » mais qui, à aucun moment, n’est fondé sur le fameux article L 211-4 du CSI.

Supposant que leur manifestation ne serait pas autorisée vu le contexte d’état d’urgence sanitaire, les organisateurs décidèrent de ne pas la déclarer et de la tenir malgré tout. La négligence de leur part n’est pas sans conséquence : l’article R 644-4, crée par l’article 1er du décret 2019-208 du 20 mars 2019, permet de sanctionner des contrevenants participant à une manifestation « […] interdite sur le fondement des dispositions de l'article L. 211-4 du code de la sécurité […] ». Or, et c’est la principale lacune de cet article R 644-4, sans déclaration en préfecture, pas d’interdiction par arrêté préfectoral sur fondement de l’article L 211-4 du CSI (lequel prévoit que « si l'autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, elle l'interdit par un arrêté qu'elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu ») et pas de fondement légal pour verbaliser au nom de l’article R 644-4 du CP. Néanmoins, les participants incriminés furent aussitôt verbalisés par les forces de l’ordre pour avoir participé à cette manifestation non déclarée. Poursuivis devant le Tribunal de police de Metz, les contrevenants furent condamnés le 6 avril 2021 à des amendes d’un montant variable, allant de 135 à 11 euros. Le juge de première instance s’est ici appuyé uniquement sur l’article R 610-5 du CP réprimant la violation des décrets de police. En dépit de leur faible condamnation (insuffisante pour faire appel), les huit manifestants se pourvurent directement en cassation.

L’arrêt de la Cour de cassation du 8 juin 2022 s’inscrit donc dans la récente jurisprudence visant à préciser le cadre juridique de la répression de la participation à des manifestations. Critiqué dès son adoption, le décret de mars 2019 avait d’abord fait l’objet d’un arrêt du Conseil d’Etat (CE Ordonnance du 29 mars 2019 n°429028), lequel avait alors jugé que « le décret contesté ne portait pas d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». Ensuite, dans un arrêt de rejet en date du 16 mars 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation (pourvoi n°20-85-603) avait déjà été confrontée à une situation semblable : se posait la question de savoir si l’article R 644-4 du CP était applicable pour une manifestation non déclarée mais tout de même interdite. Suppléant aux lacunes de ce nouvel article du CP, la Cour avait jugé que « l'autorité de police compétente peut toujours interdire, par arrêté pris sur le fondement de l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, une manifestation soumise à déclaration, dès lors qu'elle estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, peu important que celle-ci ait fait ou non l'objet d'une telle déclaration ».

La situation commençait alors à se clarifier. Seul restait l’hypothèse d’une manifestation non déclarée, pas interdite et, bien sûr, n’ayant pas causé de trouble manifeste à l’ordre public. Une manifestation spontanée, un rassemblement inopiné mais pacifique dont les autorités n’auraient pas été averties. Le seul fait d’y participer était-il passible d’une contravention ? Le Tribunal de Metz nous apporte déjà une réponse : il n’a pas fondé son verdict sur l’article R 644-4 du CP, le jugeant inapplicable à l’espèce. Autrement dit, la simple participation à une manifestation non déclarée et pas interdite n’entre pas dans le cadre de l’article R 644-4 du CP. Ainsi, en ne fondant pas son verdict sur cet article R.644-4 du CP et en condamnant malgré tout la prévenue à une amende de quatrième classe pour participation à une manifestation non déclarée, le tribunal de police de Metz a méconnu le droit et violé le principe de légalité des délits et des peines (art. 111-3 du CP). La Cour de cassation conclut ainsi que « […] ni l'article R. 610-5 du code pénal, ni aucune autre disposition légale ou réglementaire n'incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée […] ». L’affaire a été renvoyée devant le Tribunal de police de Metz, autrement constitué, pour un nouveau jugement.

Sur son site, Me Gabriel Lassort, avocat pénaliste au barreau de Bordeaux, soulignait en mars 2020 que, dans l’ordonnance du Conseil d’Etat du 29 mars 2019, était clairement rappelée la nécessité de démontrer le caractère intentionnel de la contravention : le contrevenant doit avoir conscience qu’il viole la loi. L’arrêt du 8 juin 2022 s’inscrit dans cette logique : puisqu’il y a un doute sur l’intention des contrevenants, l’article R 610-5 du CP n’est pas applicable. Malgré ce verdict éclairant, une interrogation demeure : n’est-ce pas là une trahison à l’égard de l’esprit qui a commandé le décret de mars 2019 ? Rappelons-le : l’objectif du décret de mars 2019 était de donner à l’autorité judiciaire un arsenal juridique suffisant pour sanctionner les simples participants à une manifestation non déclarée. Face à des mouvements sociaux acéphales, sans organisateurs ni hiérarchie, le pouvoir politique craignait d’être démuni et dépassé. Faute de pouvoir condamner un ou des responsables clairement identifiés, le choix fut fait de condamner les simples participants, quitte à châtier des « suiveurs » n’ayant pas vraiment conscience de commettre une infraction. L’arrêt du 8 juin 2022 vient ainsi battre en brèche cette nouvelle approche de la répression pénale et pose de sérieuses questions sur le futur du maintien de l’ordre.

(Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 8 juin 2022, 21-82.454, Inédit)

  

 

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