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Actualité jurisprudentielle

Nom de l'expert
DESMATS
Prénom de l'expert
Edouard
Fonction de l'expert
CERISC
Chapo du commentaire
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Texte du commentaire

 

 

DISCIPLINE

 

 

Procédure

 

  • La sanction disciplinaire d'un agent peut reposer sur des éléments relevant des données personnelles des patients.

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Dans cette affaire, la chambre sociale de la Cour de cassation est invitée à se prononcer sur le recours d’une infirmière licenciée pour faute grave par l’association qui l’employait. La demanderesse au pourvoi estimait en effet que son employeur ne pouvait se fonder sur des informations relevant du secret médical de ses patients pour fonder sa décision de renvoi. Après avoir été déboutée par la juridiction prud’homale, puis par la cour d’appel, elle a saisi la Cour de Cassation.

Pour répondre à la requérante, la Cour commence par rappeler que le secret médical est instauré dans l’intérêt du patient. Elle ne pouvait se fonder sur la violation du secret médical pour contester son licenciement. Le fait que l’arrêt mentionne les initiales des patients ne remettait pas en cause sa régularité.

Dès lors, la Cour va s’intéresser aux motifs du licenciement pour déterminer si la sanction de licenciement était justifiée. Cette dernière, prise suite au décès d’une patiente, découle du constat fait par la hiérarchie de cette infirmière de l’absence de suivi de la patiente. L’employeur a en fait découvert que plusieurs patients n’étaient pas ou plus suivis depuis plusieurs mois pour certains. C’est ce qui a motivé le licenciement.

Eu égard à l’ensemble de ces éléments, la Cour de Cassation va estimer que la sanction de licenciement pour faute grave était bien fondée et qu’il était impossible de maintenir la salariée au sein de la structure.

(Cour de Cassation, ch. soc. 15 juin 2022, F-B, pourvoi n°20-21.090)

 

 

PROCEDURE

 

 

Contentieux administratif

 

  • Au nom du principe de sécurité juridique, une clause contractuelle illégale ne peut être annulée rétroactivement.

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Le 13 juin dernier, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur la possibilité pour une personne publique d’écarter une clause d’un contrat auquel elle est elle-même partie. Malgré une réponse négative évidente, cette question permet de s’interroger sur le fondement même de notre droit administratif mais également sur les prérogatives de puissance publique et la séparation des juridictions administratives et judiciaires.

En l’espèce, un praticien hospitalier a été recruté par un centre hospitalier (ci-après CH) au début de l’année 2010, par la voie d’une convention prévoyant la perception d’une redevance sur les actes réalisés au titre de son activité libérale. Or, en 2017, le CH se rend compte de l’illégalité de la clause depuis 2011 et informe le médecin que cette clause doit être regardée comme nulle et non écrite. Par deux titres exécutoires, le CH va tenter de récupérer les trop perçus du praticien entre 2011 et 2017.

Saisi, le Tribunal administratif de Bastia annule le titre exécutoire. Sa solution est confirmée en appel. Pour annuler le titre exécutoire, les juges du fond vont considérer que le titre exécutoire était fondé sur une décision individuelle créatrice de droit (et non un contrat), cette dernière ne pouvant être retirée après un délai de 4 mois.

Dans cette affaire, le Conseil d’État va confirmer l’annulation du titre exécutoire, mais refuse de retenir le raisonnement juridique des juges du fond. En effet, les juges du Palais-Royal vont retenir la nature contractuelle des relations unissant le praticien au CH. Afin de préserver tant les prérogatives de puissances publique du CH en tant qu’Administration publique, que la sécurité juridique afférent au contrat publique, le juge va estimer qu’une personne publique ne peut prononcer qu’une résiliation de la clause illégale, sans pouvoir en prononcer l’annulation.

Il est nécessaire ici de réaliser un point épistémologique. En effet, la différence entre annulation et résiliation peut parfois paraitre fine. Pourtant, elle est le fondement même de la garantie des droits acquis. La résiliation correspond à la suppression d’une clause valant pour le futur, alors que l’annulation correspond à la suppression d’une clause valant tant pour le passé, que pour le présent et le futur. Cette distinction pose le fondement de la rétroactivité. Ainsi, une clause contractuelle annulée permet de demander la réparation des conséquences de l’exécution de cette clause pour le passé, alors même que la résiliation d’une clause contractuelle ne le permet pas car le droit admet qu’elle ait existé dans le passé. La solution que pose ici le Conseil d’État est à la fois classique et fondamentale :

  • Classique, en ce sens que la non-rétroactivité du droit (ou ici, des clauses d’un contrat) est essentielle pour garantir la sécurité juridique des citoyens. Elle est d’ailleurs un principe général du droit ; l’article 2 du Code civil dispose que : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif. ».
  • Fondamentale encore, en ce sens qu’elle préserve l’équilibre des juridictions trouvé depuis la fin du XIXème s. en France. En effet, en 1790, la Révolution française instaure le principe de l’administrateur juge, consacrant le principe de séparation des pouvoirs de Montesquieu. Ainsi, le pouvoir judiciaire ne pouvait en principe, pas connaitre des affaires de l’Administration. Ainsi, tous les litiges mettant en cause une Administration se trouvait jugé par l’Administration elle-même. Mais la limite de ce système apparait rapidement : l’Administration n’était pas très objective pour connaitre elle-même des litiges qui la concernait, rendant le système totalement inéquitable au profit d’une Administration intouchable. C’est d’ailleurs ce paradoxe qui conduira à la fondation du Conseil d’État avec la Constitution du 22 frimaire an VIII (1799) et à l’institution des conseils de préfectures à l’échelle locale. Néanmoins, ils sont des organes consultatifs. Comme l’indique son nom, le Conseil d’État apporte un conseil au Parlement, au Gouvernement… Ils vont peu à peu s’imposer comme des juridictions, les préfets tendant à leur laisser la mains mise sur les affaires, ces derniers n’apposant que le sceau de l’État à leur décision. Mais le système de l’administrateur juge perdurera jusqu’à la fin du XIXème s., ou il sera peu à peu abandonné au profit d’un ordre juridictionnel administratif qui trouvera sa stabilité et son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique au début du XXème s.

La solution ici posée par le Conseil d’État vient reconfirmer l’abandon définitif de la théorie de l’administrateur juge depuis plus de cent ans tout en préservant la place particulière de la puissance publique en matière contractuelle. Ainsi, l’Administration est en position de remettre en cause un contrat dans lequel elle est partie pour l’avenir mais la sécurité contractuelle des co-contractant de l’Administration reste préservée par l’impossibilité pour cette dernière d’annuler des clauses qu’elle considèrerait comme illégale, c’est-à-dire d’influer sur l’exécution passée du contrat administratif sans passer devant un juge.

*Il convient ici de considérer indistinctement les termes Administration, personne publique et puissance publique.

(Conseil d’État, 13 juin 2022, req. n°453769)

 

Procédure pénale

 

  • Le Tribunal du Havre qui, avait été saisi en appel du procès déjà cassé par la juridiction de cassation, ne pouvait se refuser à juger l’affaire en se fondant sur son incompétence territoriale.

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Par une décision du 19 octobre 2021, la chambre criminelle de la cour de cassation a dû se prononcer sur une question de compétence. Dans cette affaire concernant une accusation de harcèlement de SPV par leur supérieur hiérarchique, le juge d’instruction chargé de mener l’enquête a relevé la prescription des faits et a, en ce sens, rendu une ordonnance de non-lieu, indiquant donc aux demandeurs qu’ils ne pouvaient voir leur supérieur condamné eu égard à la date des faits, trop lointaine de la saisine des autorités judiciaires. Les SPV lésés ont donc interjeté appel devant la Cour d’appel de Rouen qui a confirmé l’ordonnance du juge d’instruction. Mais la Cour de Cassation a cassé cet arrêt et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Caen. Cette dernière a renvoyé l’affaire devant le Tribunal correctionnel du Havre pour qu’il juge la réalité des faits de harcèlement moral qui s’étaient pourtant déroulés en Seine-Maritime. Ce dernier a condamné le supérieur hiérarchique fautif.

Ce dernier a interjeté appel, estimant ne pas être coupable ; le ministère public et les parties civiles ont également interjeté appel respectivement contre la décision de relaxe et les dispositions civiles du jugement. Or, le ministère public de la Cour d’appel de Rouen a soulevé une exception d’incompétence territoriale, c’est-à-dire qu’il a estimé que le tribunal ne pouvait juger des faits s’étant déroulés en Seine-Maritime.

Or, la Cour de Cassation va constater que la cour d’appel statuant sur renvoi après cassation était bien territorialement compétente au regard du code de procédure pénale (CPP). En refusant de juger sur le fond, la cour d’appel suscitée a donc violé l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit à un procès équitable.

Les règles de compétence territoriale en France sont complexes. En effet, lorsqu’un administré doit saisir une juridiction, il doit se tourner vers la juridiction compétente territorialement. En effet, il ne choisit pas librement le juge qu’il souhaite. En général, le tribunal compétent en première instance est celui qui connait la commission des faits sur son ressort territorial ou celui qui est territorialement compétent pour le lieu de résidence de la victime ou de l’accusé si les faits ne se sont pas déroulés à un endroit déterminé. Lorsque le jugement en première instance est rendu, les parties peuvent interjeter appel devant la cour d’appel territorialement compétente pour le tribunal qui a jugé en première instance. Si la décision rendue par la cour d’appel ne convient pas à l’une des parties, cette dernière peut se pourvoir en cassation devant la juridiction compétente en cassation (Conseil d’État ou Cour de Cassation en principe).

Or, si la décision d’appel est cassée par la juridiction de cassation, le CPP, notamment via le principe d’autorité de la chose jugée, commande le renvoi du procès et des parties devant une autre juridiction d’instruction pour recommencer le procès devant de nouveaux juges (ce qui permet de garantir l’impartialité des décisions lorsqu’elles sont rendues après cassation). Comme l’explique pédagogiquement la Cour de cassation dans cette décision : « Le principe de l'autorité de la chose jugée fait en conséquence obstacle, lorsque la chambre de l'instruction de renvoi, […] a désigné une juridiction de jugement hors de son ressort, à ce que la juridiction ainsi désignée ou, en cas d'appel, sa juridiction d'appel, se déclare incompétente pour ce motif. ».

En l’espèce, le tribunal du Havre qui avait été saisi en appel du procès déjà cassé par la juridiction de cassation, ne pouvait se refuser à juger l’affaire en se fondant sur son incompétence territoriale.

Pour connaitre le ressort territorial des tribunaux judiciaires en France, l’observatoire des territoires propose une carte interactive que vous pouvez retrouver ici. Pour connaitre le ressort territorial des tribunaux administratifs, le Conseil d’État propose une liste des tribunaux compétent pour chaque département que vous pouvez retrouver ici.

(Cour de Cassation, ch. crim., 19 octobre 2021, pourvoi n°20-86.091)

 

 

RESPONSABILITE

 

 

Responsabilité pénale

 

  • Les voyages offerts par des sociétés à des agents ne constituent pas, à eux seuls, l’élément matériel du délit de corruption.

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En l’espèce, la chambre criminelle de la Cour de Cassation est amenée à se prononcer sur des accusations de corruption passive. Pour se faire, la Cour va s’appuyer sur l’article 432-11 du code pénal qui définit le délit de corruption passive.

L’affaire en question concerne deux agents de l’office public de l’habitat, directrice de l’office et directeur des services techniques. Ces derniers sont accusés de favoritisme concernant dix-sept marchés publics et de corruption passive. En effet, la directrice s’était vue offrir un voyage en Chine par le directeur d’une des sociétés retenues dans le cadre d’un marché public entre l’OPH et cette société. La défendeure soutient que ce voyage lui avait été payé pour participer à une manifestation destinée à célébrer un projet architectural auquel l’OPH avait participé. De même, le directeur des services technique s’était vu offrir un voyage au Sénégal par une seconde société.

La Cour va retenir que : « les « gestes commerciaux » adressés à des agents publics chargés de contracter au nom de l'OPH sont constitutifs de corruption dès lors qu'ils s'inscrivent dans une rétribution de la préférence accordée par le passé et susceptible d'être renouvelée à l'avenir ». Or la cour constate que la Cour d’appel de Paris, si elle constate bien une rétribution, ne qualifie aucun acte de fonction susceptible d’être rétribué par ces voyages. Pour que le délit de corruption soit condamnable, la Cour d’appel est invitée à rejuger l’affaire en qualifiant un ou plusieurs actes ou abstentions de ces agents susceptibles d’avoir été effectués en raison de ces voyages.

(Cour de Cassation, ch. crim. 25 mai 2022, pourvoi n°21-83.437)

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