Le rapport Pourny a pointé l’absence de prise en compte par tous les sapeurs-pompiers de leur propre sécurité, notamment en intervention, en manœuvre et aux entrainements. Les conséquences étaient et sont toujours un grand nombre d’accidents de service dont certains sont dramatiques. Ce combat est toujours d’actualité. Par contre la rareté des maladies contractées en service ne nous a pas incité à prendre des mesures de prévention. Cependant les connaissances en matière d’expositions chroniques ou répétées ont progressé, en particulier dans le domaine des expositions aux fumées d’incendie.
Le Décret n° 2015-1438 du 5 novembre 2015 relatif aux modalités du suivi médical post-professionnel des agents de la fonction publique territoriale exposés à une substance cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction (CMR) a rendu obligatoire le suivi des sapeurs-pompiers professionnels exposés à ces CMR. Les fumées d’incendie contiennent des CMR. Les sapeurs-pompiers volontaires intervenants sur les feux sont exposés aux mêmes risques.
La toxicité des fumées est évoquée depuis de nombreuses années lors d’expositions aigues par voie respiratoire notamment avec intoxications aigues. Par contre les contaminations répétées, notamment par les voies cutanéo-muqueuses commencent à être prises en compte relativement récemment, depuis quelques années pour les feux urbains dont la composition change en fonction des combustibles et des évolutions de fabrication. Les caissons à feux et les brulages dirigés ont fait l’objet d’études. Les incendies végétaux en France sont de plus en plus étudiés sur le plan environnemental, sanitaire sur la population générale et sur celle des sapeurs-pompiers.
Les fumées d’incendie ne sont pas les seuls facteurs CMR. La présence d’amiante dans les structures des bâtiments sinistrés est rarement connue : absence de disponibilité des Dossiers Techniques Amiante lors des interventions et présence inconnue de fibres d’amiante libérées de la profondeur des matériaux détruits. L’importance des expositions des intervenants dans toute la durée de leurs activités n’est pas connue. On peut citer également les interventions concernant certains risques chimiques et matières dangereuses (benzène par exemple), les poussières des effondrements de bâtiments et autres matériaux de construction ainsi que le travail de nuit et les rayonnements ultraviolets. C’est la notion de poly-expositions.
Les services de santé ainsi que les conseillers de prévention sont concernés au premier plan pour proposer des mesures de prévention primaires, secondaires et tertiaires, individuelles et collectives qui sont une priorité.
Depuis le 1er juillet 2022 le CIRC Centre international de Recherche sur le Cancer de l’OMS a classé groupe 1 l’exposition professionnelle des sapeurs-pompiers, c’est-à-dire « cancérogène pour l’homme », avec 2 diagnostics : le mésothéliome et le cancer de la vessie. 5 autres cancers sont toujours classés 2B, c’est-à-dire « peut-être cancérogène pour l’homme » : les cancers du côlon, de la prostate et du testicule, ainsi que le mélanome de la peau et le lymphome non hodgkinien. Les connaissances évolueront probablement dans les années à venir.
Ces éléments entrainent plusieurs conséquences :
1. Tout d’abord et c’est le plus important, il est primordial de mettre en place des mesures de prévention et de protection individuelles et collectives, en se référant notamment aux 9 principes généraux de prévention du code du travail et aux mesures de protection pour les risques résiduels.
L’IRSST, institut canadien de santé au travail, indique dans son rapport « Risques pour la santé des pompiers forestiers protection respiratoire » (page 66) que, quel que soit le type de protection respiratoire utilisé, les sapeurs-pompiers doivent être informés qu’aucun n’offre une protection contre tous les composants toxiques de la fumée.
Les différentes autorités nord-américaines recommandent donc aux gestionnaires des incendies de se concentrer sur la mise en œuvre des mesures d’atténuation : par exemple, augmenter les rotations de personnels en tenant compte de l’importance des expositions (phases d’attaque, phases de noyage), assurer un repos et une récupération adéquats, zones de repos éloignées sans risque d’exposition, phases de nettoyage à minima ou mécanisé, etc
2. Le dépistage de ces cancers est nécessaire, encore faut-il disposer d’examens de bonne valeur prédictive et suffisamment précoce pour permettre des interventions thérapeutiques. Les critères qui permettent de savoir à qui les proposer doivent également être définis. Les arguments scientifiques manquent ou seront définis tardivement. Il faudrait donc se référer aux données existantes :
a. les connaissances dans les autres pathologies.
b. les connaissances concernant les autres situations d’exposition professionnelles (milieu industriel par exemple).
c. les tableaux de maladies professionnelles existants.
d. les pratiques dans les autres pays, essentiellement USA, Canada, Australie.
N’attendons pas 20 ans pour les mettre en place comme cela été le cas pour l’amiante, au risque d’actions judiciaires préjudiciables. Le principe de précaution s’applique.
Je rappelle qu’un test de dépistage s’adresse à des personnes non symptomatiques et que sa fiabilité dépend d’une bonne sensibilité (absence de faux négatifs), contrairement aux tests diagnostiques qui requièrent une bonne spécificité (absence de faux positifs).
Ayons conscience également que tous les examens systématiques ont des effets indésirables potentiels et parfois un cout rédhibitoire pour un bénéfice illusoire (Revue Prescrire septembre 2023).
3. Le suivi post-exposition pour le cancer de la vessie et le mésothéliome pose plusieurs questions. Certaines réponses concernent les acteurs sapeur-pompiers et pas uniquement scientifiques :
a. Comment tracer les différents postes occupés sur les feux ? Cela nous semble infaisable. Mieux vaut faire la différence entre postes à expositions fortes (formateurs de caisson à feu, équipes de brulages dirigés), modérées (tous les SP) ou faibles (personnels exposés aux suies des matériels sans être intervenants). Le protocole de suivi devrait être adapté en fonction de ce classement.
Remarque : l’apparition des cancers est un effet probabiliste. Il n’y a donc pas de relation directe avec l’intensité des expositions.
Il est également important de tenir compte du tabagisme pour le classement de chaque sapeur-pompier lors des visites médicales tout en proposant des consultations de tabacologie.
De même pour les porteurs de barbe. Nous savons qu’elle augmente les dépôts et la pénétration des toxiques, indépendamment de l’étanchéité des masques ARI. S’il n’est pas envisageable de l’interdire, l’autorité hiérarchique responsable de la sécurité des agents peut-elle autoriser ces sapeurs-pompiers à s’exposer à des risques accrus d’expositions aux fumées.
b. Les sapeurs-pompiers intervenants après une durée minimum d’activités d’incendie (5 ans ? 10 ans ?) ou d’exposition aux fumées (50 heures mais pas de référence), et d’autre part le délai d’apparition des cancers après exposition conditionnera le début de ce suivi (de l’ordre de 10 à 20 ans après le début des expositions pour le cancer de la vessie, 30 ans ou même 40 pour le mésothéliome). Un dépistage trop précoce sera inutile et faussement rassurant.
4. Le suivi post professionnel concerne les SPP retraités ou les SPV après leur fin d’activités volontaires.
Cela consistera d’abord par des visites médicales comprenant des examens de dépistage avec des périodicités à déterminer, effectuées par le médecin de leur choix, traitant ou peut être médecin sapeur-pompier de SDIS. La législation concernant les travailleurs exposés à l’amiante apporte des précisions sur les modalités qui peuvent s’appliquer.
L’HAS a émis des recommandations en 2020 (amiante, confère ci-dessous), la SFMT et l’Association Française des cancérologues en 2022 (cancer de la vessie).
5. Qu’en est-il de la reconnaissance de ces cancers comme maladie professionnelle ou à caractère professionnel. Les tableaux de maladie professionnelles ne sont pas applicables aux sapeurs-pompiers. Donc la présomption d’imputabilité n’existe pas. Mais ces tableaux peuvent servir d’aide à la reconnaissance de l’imputabilité à condition d’y adjoindre 2 documents :
a. Le rapport du médecin chef ou de son représentant, qui est obligatoire pour toute demande de maladie professionnelle, qui sera dans le dossier présenté au Conseil socio-territorial avec le certificat médical du médecin traitant. Pour cela il est impératif de développer la traçabilité des expositions dans le dossier médical lors des visites périodiques. L’avis du Comité régional de reconnaissance des MP sera souvent nécessaire (CRMPP) pour que la CNRACL reconnaisse l’imputabilité.
b. Une attestation d’exposition de l’employeur qui constitue également un élément important de ce dossier. Se pose la question de comment calculer précisément les temps d’exposition. Les systèmes informatiques des SIS permettent d’y répondre par une requête en comptant le temps entre le groupe horaire d’arrivée sur les lieux jusqu’à celui du retour en caserne, augmenté d’une heure pour la remise en condition des matériels et l’hygiène des personnels (douche et change). La réponse pour un sapeur-pompier peut être donnée pour une intervention, pour le cumul des interventions chaque année, ou pour l’ensemble de sa carrière. N’oublions pas de prendre en compte aussi les aidants non intervenants, PATS ou sapeurs-pompiers exposés aux matériels, EPI et véhicules souillés et les intervenants des colonnes de secours.
Les données des tableaux de maladies professionnelles existants :
- Tableau de MP n°43 bis : le carcinome du nasopharynx. L’avons-nous déjà rencontré ? Il concerne les travaux d’extinction d’incendies avec un délai de 40 ans.
- Tableau de MP n°16 bis : cancer peau, bronchopulmonaire, vessie. Affections cancéreuses provoquées par les goudrons de houille, les huiles de houille, les brais de houille et les suies de combustion du charbon. Les sapeurs-pompiers ne font pas partie de la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies.
- Tableau de MP n° 15 ter, relatif aux tumeurs de vessie provoquées par les amines aromatiques et leurs sels. Délai de 30 ans sous réserve d’une durée d’exposition de 5 ans. Les sapeurs-pompiers ne font pas partie de la liste indicative des travaux susceptibles de provoquer ces cancers.
- Tableau des MP n°30 : le mésothéliome malin après un délai de 40 ans. Destruction et élimination de produits à base d’amiante.
D’autres aspects sont à évoquer et pourraient faire l’objet d’études de recherche :
- Peut-on mesurer le degré de contamination d’un SP pendant les interventions ? en fin d’intervention ? en fin de garde ? en fin de semaine ? Cela dépend du métabolisme des biomarqueurs. Quel test effectuer ? Il doit s’agir de mesures à proposer, répétables, non invasives et faciles à mettre en œuvre : urinaires, respiratoires, cutané.
Quels toxiques ou métabolites peuvent servir de marqueur d’exposition ou de toxicité ? Oxyde de carbone, métabolites des HAP.
Encore faudrait -il déterminer les actions à prendre en cas de résultat élevé.
- Comment améliorer la traçabilité des expositions ? Lors de chaque intervention ? Dans les dossiers médicaux de santé en service ? Par un suivi opérationnel des sapeurs-pompiers avec des mesures de réduction ou d’atténuation des risques ?
- Que doit contenir le rapport médical du médecin-chef en cas de déclaration de maladie professionnelle ?
Doit-il évoquer le tabagisme selon les dires de l’agent car il ne nous appartient pas de faire des contrôles (interdiction du code de déontologie) ?
Qu’en est-il du port de la barbe dans la classification des expositions ?
Ressources :
Ouvrages disponibles au Centre de Ressources Documentaires de l'ENSOSP
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Médecin Colonel Jean-Marie STEVE
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