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Les lentilles d’orthokératologie

24/02/25

Depuis quelques temps des sapeurs-pompiers, souvent jeunes adultes, portent des lentilles d’orthokératologie également appelées « lentilles de nuit ».

Crédits photo : Canva

 

L’orthokératologie est un principe de remodelage cornéen qui consiste à porter des lentilles de contact rigides durant le sommeil, permettant d’obtenir une vision nette et naturelle le jour sans besoin d’équipements visuels de correction (lunettes ou lentilles diurnes souples ou rigides). Cette technique s'adresse principalement aux adultes ne désirant pas se faire opérer, ne supportant pas les lentilles diurnes, ni les lunettes, ni les lentilles à port continu.

Le remodelage de la cornée se fait progressivement pendant le sommeil, avec une durée minimum de plusieurs heures consécutives (de 6 à 8 heures). Le résultat est optimal après 7 à 10 nuits de port, et se stabilisera naturellement au bout de 3 semaines. Le port doit être assidu.

Cette thérapie est indiquée préférentiellement en cas de myopie et/ou d’astigmatisme faibles à modérés.

Elle est non invasive et totalement réversible : les porteurs peuvent en arrêter le port à tout moment et choisir un autre mode de correction.

 

L’aptitude des sapeurs-pompiers (SP) professionnels ou volontaires comprend l’évaluation des capacités visuelles et les mesures de l’acuité visuelle. L’instruction N°1700 relative à la détermination et au contrôle de l’aptitude médicale à servir du personnel militaire dit « SIGYCOP » est une aide à la décision pour le médecin sapeur-pompier en charge du suivi des agents.

 

Tableau synoptique d’attribution du coefficient Y :

Tableau

 

L’utilisation de corrections, lunettes ou lentilles de contact est possible dans certaines situations opérationnelles après étude des activités effectuées, analyse des risques (conduite, activités de secours à personne…) et appréciation de l’observance du SP des prescriptions de son ophtalmologue. Une acuité visuelle minimum sans correction est nécessaire [voir le tableau supra].

 

Cependant des restrictions opérationnelles au port de lentilles sont nécessaires notamment dans certaines situations où leur tolérance peut affectée (atmosphère chargée de particules : poussières, fumées d’incendie), leur manipulation impossible en cas de perte (port de gants de protection) nécessitant d’avoir sur soi des lunettes de dépannage à disposition immédiate.

 

L’orthokératologie prescrite à un SP pose questions :

-          Une fois la bonne tolérance et les premières semaines d’adaptations faites, quelle est la durée de l’acuité visuelle corrigée après retrait des lentilles ? Y a-t-il une grande variabilité inter-individuelle de cette réversibilité ?

-          Quelles pourraient être les conséquences d’une nuit de garde sans port nocturne sur l’acuité immédiate en cas d’intervention de nuit et le jour suivant ?

-          Est-ce que l’efficacité et la qualité de la prise en charge sont dégradées si ces inobservances se répètent (2 fois par semaine selon les régimes de garde) ?

 

Réponses de Laure TRINQUET, Directrice de la formation d'orthoptie de la Faculté des sciences médicales et paramédicales d’Aix Marseille Université :

Les études montrent que la durée pendant laquelle l'acuité visuelle reste corrigée après le retrait des lentilles d'orthokératologie varie selon plusieurs facteurs, notamment :
- les paramètres individuels de la cornée,
- le degré initial de myopie corrigée,
- la régularité du port des lentilles.

Une étude (Cho et al., 2005) indique qu'environ 75 % des porteurs de lentilles d'orthokératologie peuvent maintenir une acuité visuelle satisfaisante pendant une journée entière après le retrait matinal des lentilles.

En moyenne, la réversibilité de la correction se manifeste progressivement, avec une perte d'environ 0,50 dioptrie par jour si les lentilles ne sont pas portées, bien que cela varie selon les individus (Si et al., 2015). La cornée revient généralement à son état initial en 72 à 96 heures après l'arrêt total du port des lentilles.

Une grande variabilité est observée, liée à des différences de rigidité cornéenne, de profil d'épaisseur cornéenne, et de réponse au remodelage épithélial. Les patients ayant une myopie modérée (jusqu'à -4,00 dioptries) tendent à maintenir une correction plus longue que ceux ayant une myopie élevée.

Un oubli isolé peut entraîner une baisse d'acuité significative dès le lendemain, avec des fluctuations visuelles et un retour partiel vers le niveau de réfraction non corrigée.

Une inobservance régulière (exemple du travail de nuit) peut compromettre la stabilité de la correction, nécessitant une nouvelle période d'adaptation.

Des inobservances prolongées ou fréquentes augmentent également le risque de réversibilité complète de la correction.

Les patients travaillant de nuit ou suivant des rythmes de sommeil irréguliers peuvent bénéficier d'une évaluation personnalisée. Il est parfois possible d'ajuster le port des lentilles pour correspondre aux horaires de sommeil décalés.

 

En conclusion nous préconisons de faire effectuer par un spécialiste une évaluation systématique de chaque porteur avant de se prononcer sur la compatibilité des lentilles avec les activités opérationnelles, et en prenant en compte un certain nombre de paramètres opérationnels et médicaux tels que :

-          Le régime de travail et/ou les possibilités d’interventions nocturnes ;

-          Les activités opérationnelles réelles du sapeur-pompier (SSUAP, DIV, INC, conduite, spécialités) et leurs enjeux (possibilités de restrictions et leur acceptabilité) ;

-          L’importance de la baisse de l’acuité visuelle ;

-          L’ancienneté du port et de la période d’adaptation ;

-          Les caractéristiques médicales de sa cornée d’après l’appréciation de l’ophtalmologue ;

-          L’observance et la compréhension de l’agent.

 

Une période test peut être utile comme aide la décision qui devra être conjointe et acceptée.

Il est fortement recommandé d’étudier cette situation avant sa mise en œuvre plutôt qu’après pour éviter toute difficulté imprévisible.

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À retenir

  • Les lentilles d’orthokératologie (ou lentilles de nuit) doivent être portées de manière assidue, pendant le sommeil pendant plusieurs heures consécutives.
  • Les SP doivent être sensibilisés à la nécessité de s’informer auprès de la SDS avant de s’engager dans une démarche d’orthokératologie pour en faire apprécier les impacts sur les activités de service.
  • L’aptitude médicale doit être conditionnée à :
  1. Un avis préalable par un ophtalmologue dûment informé des critères opérationnels et médicaux du SP.
  2. L’observance du SP vis-à-vis :

a)      des contraintes de port et d’hygiène et sécurité en conditions de service (mettre, enlever et ranger les lentilles) ;

b)      d’une visite régulière chez son ophtalmologue (ajustement des lentilles et surveillance de la santé oculaire).

 

Médecin Colonel Jean-Marie STEVE

Référent santé en service de l’ENSOSP

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Publié le 24/02/25 à 09:40