[Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 28/06/2023, 463457]
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A la suite d’une intervention des pompiers au domicile d’une personne âgée qui, a déclenché, par inadvertance son alarme de téléassistance, la société Vitaris, spécialisée dans les activités de téléassistance, a contesté l’avis de sommes à payer émis par le SDIS. Déboutée en première instance, la société requérante a eu gain de cause en appel. Le SDIS a donc formé un pourvoi contre l’arrêt qui a annulé le jugement de première instance.
La question est de savoir si une intervention survenue à la suite du déclenchement de l’alarme de téléassistance par inadvertance constitue une intervention se rattachant directement aux missions de service public définies à l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales ?
Cette question est cruciale pour les SIS dans la mesure qu’une intervention relevant des missions obligatoires de l’article L. 1424-2 (et dont figurent les secours d’urgence) ne peut faire l’objet d’une facturation. A l’inverse, une intervention ne relevant pas de cet article pourrait « donner lieu à une participation aux frais des personnes qui en sont bénéficiaires, dans les conditions déterminées par le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours ».
Pour répondre à cette question, encore faut-il s’entendre sur les missions définies à l’article L. 1424-2. Ce texte comprend le secours et le soin aux personnes ; il doit être combiné avec un autre article : l’article L. 742-1 du code de la sécurité intérieure définit les opérations de secours comme « un ensemble d'actions ou de décisions caractérisées par l'urgence qui visent à soustraire les personnes, les animaux, les biens et l'environnement aux effets dommageables d'accidents, de sinistres, de catastrophes, de détresses ou de menaces ». En somme, les missions obligatoires que sont les secours sont celles qui présentent un caractère urgent.
Or, à quel moment le caractère urgent ou non peut-il être caractérisé ? Le caractère urgent (ou pas) s’apprécie-t-il par rapport aux informations transmises lors de l’appel au SIS (a priori) ? Ou bien, le SIS a-t-il la possibilité de requalifier les faits en non urgent une fois que l’intervention a été accomplie (a posteriori) ?
Certains juges du fond s’étaient déjà positionnés. La Cour administrative d’appel de Nantes avait admis que le SDIS puisse « poursuivre le paiement des participations relatives aux prestations particulières fournies à des personnes privées dans leur intérêt propre ». Elle avait jugé que les interventions à la suite de « déclenchements intempestifs d’alarmes » parce qu’elles ne se rattachent pas « directement à l’exercice des missions de prévention des risques de sécurité civile, d’organisation des moyens de secours, de protection des personnes et de secours d’urgence aux accidentés dévolues aux SDIS par l’article L. 1424-2 du [CGCT] », le SDIS « était fondé […] à procéder à la facturation des prestations nécessitées par les interventions susmentionnées »[1]. Cette même juridiction avait donné raison à un autre SDIS qui avait « émis un titre exécutoire à l'encontre de la société Euro protection surveillance (EPS), d'un montant de 202 euros, en paiement de frais afférents à une intervention qu'il a effectuée le 28 août 2018, au motif que celle-ci ne relevait pas de l'exercice des missions de service public qui lui sont dévolues »[2]. Mais peu de temps après[3], la Cour administrative d’appel de Versailles avait rendu une décision totalement inverse.
Face aux divergences de points de vue, la décision du Conseil d’Etat était fortement attendue et créera, sans doute, des déceptions. En effet, la Haute juridiction de l’ordre administratif a jugé que « c'est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel, après avoir relevé les circonstances rappelées ci-dessus, a jugé, d'une part, qu'au moment de lancer cette intervention, le SDIS […] avait agi au titre de la mission de service public de secours aux personnes, au sens de l'article L. 1424-2 du [CGCT] et, d'autre part, que la circonstance que cette intervention s'était finalement révélée inutile ne permettait pas de la regarder, a posteriori, comme ne relevant pas de cette mission et par suite facturable à la personne secourue ».
Néanmoins, à cette affirmation de principe, elle a tenu à apporter une limite. Cette non-facturation ne vaut que pour la société de téléassistance qui a sollicité l'intervention du SDIS en ayant accompli les diligences lui incombant pour éviter une intervention inutile. A l’inverse, s’il s’avérait que la société en question n’ait pas accompli de telles diligences, l’intervention des sapeurs-pompiers « devrait être regardée comme ayant été sollicitée par cette société à son profit », et en conséquence, elle pourrait faire l’objet d’une facturation.
En l’espèce, les diligences ont été correctement accomplies par la société : « le 15 juillet 2019, le dispositif personnel d'alarme d'une cliente de la société Vitaris a émis un signal d'alerte auprès de cette société, que celle-ci, après avoir tenté, sans succès, de contacter à plusieurs reprises sa cliente ainsi que les proches qu'elle avait désignés, a alerté la régulation médicale d'urgence, que cette dernière a décidé de faire intervenir le SDIS […] au domicile de cette personne, […] ».
Le Conseil d’Etat a donc rejeté le pourvoi en cassation et conforté l’arrêt de la cour administrative d’appel.
Cette décision, pour être comprise, mérite d'être rapprochée auprès d’une autre rendue récemment par le Conseil d’Etat. La question est similaire : est-ce que le conseil d’administration du SIS peut « facturer au centre hospitalier universitaire de Nice chaque intervention réalisée à la demande du centre de réception et de régulation des appels (" centre 15 ") de son service d'aide médicale urgente pour des missions ne se rattachant pas aux missions de service public des services d'incendie et de secours définies à l'article L. 1424-2 du [CGCT] »[4] ?
Le Conseil d’Etat a indiqué que « les interventions ne relevant pas de l'article L. 1424-2 du CGCT qui sont effectuées par les services départementaux d'incendie et de secours à la demande du centre 15, lorsque celui-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés, sont décidées, sous sa responsabilité, par le médecin régulateur du service d'aide médicale urgente, qui les a estimées médicalement justifiées compte tenu des informations dont il disposait sur l'état du patient ». Dans cette hypothèse, et par application des dispositions de l’article L. 1424-42 du CGCT, « elles font l'objet d'une prise en charge financière par l'établissement de santé siège des services d'aide médicale d'urgence, dans des conditions fixées par une convention - distincte de celle que prévoit l'article D. 6124-12 du code de la santé publique en cas de mise à disposition de certains moyens - conclue entre le service départemental d'incendie et de secours et l'établissement de santé et selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de la sécurité sociale ».
En application des textes, le Conseil d’Etat a validé le raisonnement des juges du fond qui ont considéré que seules les interventions liées à des « carences ambulancières » pouvaient faire l’objet d’une facturation. En effet, pour accomplir ses missions, le SAMU dispose d’une marge de manœuvre pour décider via son centre de réception et de régulation des appels, dit " centre 15 ", de la réponse la mieux adaptée à la nature des appels à savoir le recours à une entreprise privée de transport sanitaire ou à un SIS. S’il estime que le recours au SIS est plus adapté, ce dernier, ne disposant pas de la possibilité de requalifier l’intervention en secours non-urgent, ne peut ensuite demander le paiement du service au centre hospitalier. C’est la raison pour laquelle la juridiction suprême a rejeté le pourvoi en cassation.
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[1] CAA de NANTES, 4ème chambre, 24/05/2017, 16NT00781, Inédit au recueil Lebon
[2] CAA de NANTES, 4ème chambre, 17/07/2020, 20NT00468, Inédit au recueil Lebon
[3] CAA de VERSAILLES, 2ème chambre, 24/02/2022, 21VE02056
[4] Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 18/03/2020, 425990
Alexia Touache