Le 16 septembre 2024, l’ENSOSP a organisé le colloque RESCOM de SIS. Cette journée d’échanges et de réflexion s’est focalisée autour d’un sujet qui avait déjà été abordé lors d’une conférence Nocturne organisée à l’Ensosp : le Nudge.
Crédits photo : ENSOSP
Le concept de « nudge », popularisé par Richard Thaler et Cass Sunstein dans leur ouvrage « Nudge: Improving Decisions About Health, Wealth, and Happiness » (2008), désigne une approche incitative douce et peu coûteuse qui modifie les comportements humains sans contraindre les individus. Utilisé initialement dans des domaines tels que l'économie comportementale et la santé publique, le nudge trouve aujourd’hui un écho dans la sécurité civile, où l'amélioration des comportements en matière de prévention et de réponse aux crises est cruciale. En optimisant l'architecture des choix, les nudges peuvent contribuer à des actions plus sûres et plus efficaces dans la gestion des risques et des catastrophes. Ils aident à mettre en place une communication émotionnelle destinée à suggérer, puis à impulser, de manière subliminale et sans obligation, un petit changement désirable pour la collectivité, avec une solution simple et concrète.
Le nudge utilise les émotions pour aider à passer de l’intention ainsi créée à l’acte en attirant l’attention grâce à un stimulus attractif, imaginatif, pertinent. Ils suscitent des habitudes par la répétition ou la présence constante du message et incitent au conformisme social du fait de l’habitude prise par la plupart.
L'une des principales difficultés lors des situations d'urgence, telles qu'un incendie ou une inondation, est la mauvaise compréhension ou l’hésitation des individus face aux actions à entreprendre. Ces dernières peuvent se révéler chaotiques ou retardées en raison du stress ou de la confusion.
La signalétique joue un rôle clé dans la sécurité des espaces publics. Pourtant, dans certaines situations d'urgence, les signaux existants ne sont pas toujours suffisamment clairs ou adaptés. Le nudge permet de rendre ces panneaux plus intuitifs en tenant compte des biais cognitifs des individus, par exemple en utilisant des couleurs plus vives ou des pictogrammes familiers qui appellent à l'action immédiate. Des études ont montré que les panneaux visuellement percutants (avec des images d'actions immédiates comme "courez", "protégez-vous") peuvent susciter des réactions plus rapides et plus efficaces. L’ajout de messages directs tels que “Agissez maintenant!” ou “Suivez ce chemin” augmente le sentiment d’urgence et peut pousser à une action immédiate, de même que l’utilisation des marquages au sol lumineux ou des pictogrammes dynamiques montrant clairement la direction à suivre lors d'une évacuation.
Les nudges peuvent être visuels, comme par exemple des lumières au sol qui changent de couleur ou se déplacent en fonction de l’urgence et ainsi inciter les personnes à suivre un chemin sécurisé, des bandes au sol d’un passage piéton, en relief trompe-l’œil pour pousser les automobilistes à ralentir, des photos anxiogènes de tumeurs cancéreuses sur les paquets de cigarette, de fausses dents peintes acérées et menaçantes sur les deux bords des portes d’un wagon pour dissuader les voyageurs retardataires de s’y précipiter au dernier moment.
Les nudges peuvent aussi être sonores, comme par exemple, une musique angoissante signalant un danger ou des bandes sonores le long du bord de la chaussée pour alerter le conducteur qui roule dessus.
Ils peuvent également être olfactifs, comme la diffusion d’une odeur citronnée dans les couloirs d’un hôpital pour inciter les visiteurs à se laver les mains au distributeur de gel hydro alcoolique.
Les individus sont influencés par les comportements des autres. Exploiter ce biais constitue un puissant levier pour encourager certains comportements. On peut citer, par exemple, l’information en retour permettant de situer ses pratiques par rapport à une norme sociale environnementale et/ou à celles de son voisinage (consommation eau, gaz, électricité, poids déchets ménagers…) sous forme d’une appréciation qui va de « très bien » à « Peut mieux faire » et une possible gratification en fonction du résultat. Des incitations financières sont parfois mises en place pour encourager les comportements préventifs.
Des applications mobiles qui envoient des notifications en cas de danger imminent (comme des alertes météo ou des avis de catastrophe naturelle) et fournissent des conseils sur les actions à entreprendre, ont été développées.
On trouve aussi des affichages de messages de prévention dans les lieux publics, comme les gares, les aéroports ou les centres commerciaux, pour rappeler aux gens les gestes de premiers secours ou les numéros d'urgence.
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Du nudge à l’hypernudge
À la différence du nudge qui s'adresse uniformément à tout le monde, l'hypernudge s'adapte à la personne. Sa personnalité, son humeur mais aussi le contexte dans lequel elle se trouve sont utilisés en temps réel pour lui présenter l'information de la meilleure façon possible.
L'hypernudging est une forme avancée de nudge qui utilise les données massives (big data), les algorithmes et l'intelligence artificielle pour influencer de manière plus précise et personnalisée les comportements individuels. Alors que le nudge traditionnel vise à modifier les comportements par des incitations douces sans restriction de choix, l'hypernudging va plus loin en combinant plusieurs types de données et d'interventions pour créer des environnements numériques adaptatifs, capables de s'ajuster aux comportements en temps réel. Ils sont principalement utilisés dans des environnements numériques, comme les plateformes de réseaux sociaux, les applications mobiles ou les sites de commerce en ligne. Ce processus vise à garder les utilisateurs engagés plus longtemps en leur proposant du contenu adapté à leurs préférences.
Ce système repose sur des technologies de collecte de données qui surveillent en permanence les comportements des utilisateurs. Les algorithmes permettent d’ajuster les nudges en fonction des actions prises par l'utilisateur, rendant les incitations beaucoup plus réactives et dynamiques.
Tout comme le nudge classique, l'hypernudge tire parti des biais cognitifs humains, comme le biais de confirmation ou l'inertie, mais de manière plus sophistiquée. Par exemple, en présentant des choix dans un ordre particulier ou en renforçant certains types d'interactions, les algorithmes peuvent orienter plus finement les décisions.
Il permet d'adapter les incitations à chaque individu en fonction de ses données personnelles (historique de navigation, préférences, géolocalisation, interactions sur les réseaux sociaux, etc.). Par exemple, des plateformes en ligne peuvent ajuster l'interface ou les recommandations en fonction des habitudes d'un utilisateur pour l'inciter à adopter un comportement particulier (comme acheter un produit ou cliquer sur un lien). Des applications de suivi de la santé peuvent utiliser des données de comportement (comme les habitudes d'exercice ou de sommeil) pour envoyer des notifications personnalisées et inciter les utilisateurs à adopter des comportements plus sains, comme faire plus d'exercice ou améliorer leur alimentation.
En étant plus ciblé et basé sur des données personnelles, l'hypernudging peut être très efficace pour encourager des comportements positifs (comme la réduction de la consommation d'énergie ou l'adoption d'habitudes saines). Il permet de mieux répondre aux besoins individuels, en ajustant les recommandations et les incitations en fonction des préférences spécifiques de chacun.
L’un des principaux reproches fait à l’hypernudging est la collecte massive de données personnelles, qui peut poser des problèmes de confidentialité et d'éthique. Les utilisateurs peuvent ne pas être pleinement conscients de la façon dont leurs données sont utilisées pour les influencer. En exploitant les failles cognitives humaines, il peut être perçu comme une forme de manipulation, tout comme les nudges, réduisant l’autonomie des individus en les guidant de manière invisible vers certains choix plutôt que de leur laisser une liberté totale de décision.
Vous trouverez ci-dessous, une bibliographie sur ce thème faite par le Centre de Ressources documentaires de l'ENSOSP, si vous souhaitez approfondir le sujet.
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