L’approche du retour d’expérience telle qu’elle est développée dans ce document est fondée sur la gestion des risques dans des entreprises industrielles à travers une approche orientée sur les facteurs humains et organisationnels. Ce document nous renseigne sur la manière dont le facteur humain doit être analysé pour la production d’enseignements sur la base des comportements observés. Les auteurs alertent le lecteur sur le besoin qu’ont les analystes du retour d’expérience de détenir des compétences en sciences sociales (sociologie, ergonomie, psychologie, gestion). Les entreprises industrielles sont majoritairement composées d’ingénieurs et de managers n’ayant pas été formés à l’analyse du facteur humain dans le cadre de son activité. Ces éléments mettent en avant l’importance d’une approche du retour d’expérience fondée sur l’observation des situations réelles et l’analyse du discours des acteurs afin de prendre en compte le vécu de leur situation et de définir le sens donné à leurs actions.
Le statut de l’erreur est abordé dans ce document puisqu’il relève directement de l’analyse du facteur humain au cours de son activité. Le groupe de travail a relevé certaines défaillances dans la manière dont les analyses peuvent être conduites sur le facteur humain par des analystes ne s’inspirant pas des situations réelles ou n’étant pas suffisamment expérimentés dans l’activité pour en percevoir toute la complexité. Les auteurs relèvent un manque de formation dans l’appréhension du facteur humain au sein des organisations. La mise en œuvre du retour d’expérience nécessite des compétences singulières pour lequel l’agent chargé de conduire les analyses doit être formé, de la collecte des données à chaud et à froid en passant par des outils d’analyses jusqu'à la production de résultats (enseignements).
Une proposition est faite pour aborder la pratique du retour d’expérience dans le cadre d’une approche systémique afin de ne pas focaliser l’attention sur les seules interactions hommes-machines conduisant pratiquement et inévitablement à la considération que la défaillance est strictement d’origine humaine. Le besoin d’une approche globale de l’organisation et de son mode de fonctionnement est une condition importante. Au sein des armées, le concept de « big picture » se traduit par une représentation globale de la situation sous des formes schématiques et synthétiques afin de comprendre l’interdépendance des actions humaines et de bénéficier d’une bonne conscience de situation partagée par tous les acteurs. Le rôle du retour d’expérience est de construire cette vision commune des situations afin de comprendre ce qui s’est passé et d’en tirer des enseignements.
Le concept de « culture juste », fondé sur la confiance au sein de l’organisation et des mesures de non sanction, apparaît ici comme une condition essentielle à la conduite du retour d’expérience. A ce titre, le document évoque le retour d’expérience positif par sa complémentarité avec le retour d’expérience classique mais aussi ses limites quant à la capacité des individus à pouvoir identifier les bonnes pratiques et/ou les mécanismes de régulation de l’erreur adoptés par les agents. Sans culture du signalement, il semble difficile pour un agent de partager une situation pour laquelle il aurait délibérément violé les règles ne sachant pas si cette violation relève d’une bonne action ou non sous la menace d’un risque de sanction. Pour rappel, une violation correspond à un écart par rapport à la règle pour des raisons de sécurité (contexte particulier) ou pour la finalité de la mission (la dérogation aux règles permet d’atteindre les objectifs). Une recommandation est faite quant à l’implication même des agents dans la démarche RETEX pour les rendre acteurs par la formulation de propositions mais aussi par le besoin de comprendre le déroulement des situations a posteriori (concept de responsabilisation positive).
Une certaine importance est donnée à la contextualisation des situations de travail, à l’exploitation des enseignements du retour d’expérience sous la forme de formations, de réunions de présentation, de création de fiches favorisant l’appropriation des connaissances. Les auteurs indiquent que le remplissage des bases de données ne suffit pas à la production d’enseignements, tout comme celui de tableaux de bord. Ces outils ne favorisent pas un traitement en profondeur des problèmes identifiés dans le déroulement de l’activité et plus généralement la mise en œuvre d’une démarche d’amélioration continue. Une organisation ne peut apprendre sans identification des écarts. C’est la raison pour laquelle les auteurs proposent de s’intéresser à des concepts scientifiques tels que l’apprentissage organisationnel développé par ARGYRIS et SCHON en 1978.
Ainsi, ce document valorise une approche du retour d’expérience sous la forme d’une connaissance scientifique en sciences sociales. Si cette conception nous semble effectivement la plus adaptée pour une analyse systémique sur un évènement complexe, elle impose aux agents chargés de mener la mission de retour d’expérience dans leurs organisations de se former à ces concepts scientifiques et à une approche relevant des sciences humaines pour intégrer des connaissances qu’ils ne possèdent pas par leur formation d’origine. Lorsque la pratique du retour d'expérience intègre le concept d'apprentissage organisationnel, la pratique du RETEX relève d'une expertise scientifique à laquelle le praticien doit être associé pour y apporter sa connaissance du milieu opérationnel et de l’activité car le concept d’apprentissage organisationnel n’est pas simple à opérationnaliser. La démarche de retour d'expérience doit alors être co-construite entre le chercheur et le praticien. Pour se faire une idée, il suffit de consulter les travaux conduits par le groupe REXAO de l'Ecole des MinesParistech piloté par Jean-Luc WYBO ou notre travail de thèse sur les modalités de mise en œuvre du retour d'expérience dans une perspective d'apprentissage organisationnel (Gautier, 2010).