Cette devise est celle de notre République depuis 1848. Au-delà de cet énoncé, nous nous apercevons que bien peu en connaissent quelque chose et il convient donc d’en travailler le sens profond et son histoire ; ce qui constituera la trame de ce travail. En effet, cette devise qui va de soi, semble-t-il, n’en reste pas moins le fruit de combats de nos ancêtres révolutionnaires.
Mais peut-être avant toute chose, convient-il de se pencher sur ce qu’est une devise et en quoi sa fonction n’est pas si anodine que cela. Dans sa définition, une devise est une sentence brève qui est rattachée à quelque chose ou quelqu’un et qui en définit les valeurs. Ce n’est généralement pas quelque chose qui s’impose mais bien souvent le fruit d’une histoire, voire d’une lutte existentielle qui s’inscrit dans le temps long. En tout état de cause, elle est connue par tous, elle est partagée, elle est défendue par le groupe car elle participe à la définition d’un espace symbolique commun et qui réunit. Pour la République française, nous pouvons retrouver dans cet espace symbolique commun d’autres éléments comme : notre drapeau, notre hymne national, Marianne et bien sûr la devise.
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Comme tous les éléments de cet espace symbolique, la devise a un rôle, je dirais même plus, un double rôle. Un rôle tout d’abord pour tous les membres du groupe, une sorte de point de reconnaissance et de rassemblement autour de valeurs communes, autour d’un élément d’identité commun. Il s’agit donc d’un point d’ancrage symbolique, puissant qui rassemble et qui rassure. Après les attentats de 2015 à Charlie Hebdo, 4 millions de français se rassemblaient en chantant la Marseillaise. Les drapeaux tricolores ont réinvesti l’espace public dont ils avaient peu ou prou disparu depuis 30 ans. Ce besoin d’une fraternité vécu au nom de la liberté (d’expression) en danger fut nécessaire pour un grand nombre d’entre nous qui souhaitions nous retrouver ensemble dans un espace commun porteur de sens où, au-delà des slogans, nos revendications de ce que nous étions étaient affichées au monde. Car, en plus les devises (et c’est leur second rôle), comme tous les éléments de cet espace symbolique particulier, sont des affirmations, des revendications, des appels, bref toute manière d’exprimer aux autres quelque chose de fort. Lorsque des pays affichent des devises comme, par exemple, « Dieu, la Patrie, le Roi » l’affichage et ce que ces pays souhaitent renvoyer aux autres pays n’a évidemment rien à voir avec une devise comme « Liberté, Égalité, Fraternité ».
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Cette devise et les mots qui la composent ont une histoire. Et cette histoire a son originalité qui explique le sens donné à ces mots. Mais allons plus dans le détail des choses.
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Commençons donc par la Liberté. Cette valeur est d‘une grande complexité à appréhender. En effet, d’aucun adoptent pour la définir une formulation négative comme par exemple : « la liberté est une absence de soumission, de servitude ou de contrainte par d’autre individus ou par l’état ». D’autres utiliseront une formulation positive comme par exemple : « la liberté est l’autonomie et la spontanéité de l’être rationnel ». Enfin, une autre manière de la définir est d’adopter une formulation plutôt relative comme celle de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen : « la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ou pouvoir faire tout ce qui n’est pas interdit comme ne point faire ce qui n’est point obligatoire ». Nous voyons donc s’imposer progressivement un rapport intime entre cette valeur de liberté et le droit. Nous voyons bien, avec le temps et les évolutions sociétales, que la somme des interdits ne cesse de s’agrandir ou d’évoluer, au rythme affolant d’une réglementation galopante et pléthorique, et cela avec la seule justification du « mieux vivre ensemble ».
Mais au-delà du simple vivre ensemble, la liberté ou plutôt des représentations de la liberté s’affrontent également sur le champ politique. C’est ainsi que la liberté dite positive : comme les libertés d’expression, de mouvement ou de conscience que Marx qualifiait de droit bourgeois parce qu’il impose une puissance d’état minimaliste, s’oppose à la liberté dite négative cette fois-ci : comme le droit au travail, l’assistance sociale, le droit à la santé, au logement, à la culture qui impose à l’inverse un état providence.
Dès lors, le constat est clair que sur cette définition de la liberté, une multitude de portes s’ouvrent dont il faut avoir conscience afin de mieux appréhender le monde qui s’ouvre à nous.
Afin maintenant de glisser de la liberté à l’égalité, la transition est toute trouvée dès lors que l’on revient sur la 1ère partie de la définition de la liberté qui dit que « la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Dès lors, nous voyons bien qu’autrui jouirait d’un droit à la liberté égal à moi et que donc la liberté est complètement liée à l’égalité car, comme le dit très bien Mona Ozoux « des êtres pareillement libres sont obligatoirement égaux ».
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L’égalité donc, dont on s’aperçoit vite qu’elle demeure un objectif, une sorte d’inaccessible étoile qui s’éloigne dès que l’on s’en approche parce que sans cesse de nouvelles inégalités apparaissent : biologiques, sociales, culturelles, ethniques, d’âge ou de genres … tant d’inégalités contre lesquelles il nous faut combattre en remettant constamment l’ouvrage sur le métier. Mais dont on n’ignore pas non plus qu’elles explosent au moment des crises tant les plus avantagés parviennent à mieux s’en sortir. Alors devant tant de difficultés, c’est encore le législateur qui apporte l’ultime définition tellement réductrice : « Le mot égalité signifie que la loi doit être la même pour tous, sans distinction de naissance ou de condition. L’égalité est un principe de droit qui fait que le législateur a le devoir d’assurer l’égalité des droits entre citoyen ». Et c’est ainsi que nous voyons fleurir avec bonheur d’ailleurs des textes qui formalisent outre l’égalité devant la loi, l’égalité sociale, l’égalité des chances ou encore la lutte contre les discriminations… |
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Mais très vite les limites de l’égalité se trouvent confrontées à celle de la liberté. Comment, par exemple, prêcher pour une égalité complète en abolissant les héritages ou la propriété sans remettre en cause la liberté d’entreprendre ou de s’enrichir ? La liberté et l’égalité s’insèrent donc dans un diptyque indissociable qui ne peut être stabilisé que par la loi et la recherche constante de cette stabilité entre ces deux valeurs, telle doit-être la ligne de front de notre République. En fait, « Nous sommes libres à la fois parce que nous sommes tous égaux et parce qu’en obéissant à la loi, qui est notre œuvre commune, nous n’obéissons qu’à nous-même. »
Mais parlons maintenant de la fraternité !... Mais de quelle fraternité parlons-nous ? En effet, trois formes de fraternité ont existé au long de notre complexe histoire pour parvenir à une sorte de consensus qui ressort complètement dans notre devise républicaine.
La première forme de fraternité presque bi millénaire est celle de la fraternité chrétienne. Celle du troupeau qui suit son berger. Celle de la masse anonyme qui est guidée sur un seul chemin vers la lumière et l’éternité, et ou le singulier et le particulier s’effacent dans cette fraternité derrière l’Un, l’Unique… Dieu ! Et gare aux éventuels moutons noirs refusant de se perdre dans l’unité imposée, gare également aux autres troupeaux qui, par malheur, décideraient de suivre un autre guide ! Et gare, enfin, aux boucs émissaires de toute nature qui viendraient à croiser le chemin du troupeau car ils ne manqueraient pas d’être sacrifiés sur l’hôtel de l’unité ! L’histoire du monde est malheureusement remplie d’exemples de conflits ou de massacres de ce type. Cette fraternité, vous l’aurez compris, est souvent exclusive, non négociable, et surtout d’une grande férocité, comme l’histoire nous l’a montré, et continue d’ailleurs à nous le montrer.
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La deuxième forme de fraternité est celle de nos révolutionnaires de la première République, celle qui a conduit à une fraternité de terreur ! « Sois mon frère ou je te tue » disait Chamfort ! ou encore Barrère qui affirmait : « la fraternité doit être concentrée pendant la révolution entre les patriotes qu’un intérêt commun réunit. Les aristocrates n’ont point ici de patrie, et nos ennemis ne peuvent être nos frères. » Et Robespierre de conclure : « Que les aristocrates fraternisent entre eux et les patriotes avec les patriotes. Jamais la fraternité ne peut exister que pour les amis de la vertu. » Nous sommes ici devant une autre fraternité exclusive, celle du même, du semblable, de la patrie. Rejetant ainsi l’autre dans sa différence et dans son opposition. Ce radicalisme symbolisé par la devise complétée ainsi : « Liberté, Égalité, Fraternité ou la Mort » que l’on trouvera inscrit sur de très nombreux monuments publics à cette période, expliquera le rejet pendant presque 30 ans de la devise républicaine après la révolution portant trop sur elle l’image d’une terreur que l’on ne souhaitait plus croiser.
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Jusqu’à l’arrivée, lors des Trois Glorieuses, d’une 3ème forme de fraternité qui sera celle que l’on connait aujourd’hui est qui fut solidifiée par nos révolutionnaires de 1848 qui surent dépasser les exclusives de la terreur pour faire de l’altérité avec ses différences la vraie richesse de la fraternité. C’est-à-dire accepter l’autre non pas en tant que ce qu’il me ressemble mais en tant qu’il est différent de moi, dans ses idées, dans son histoire, dans sa position sociale etc… C’est la fraternité, non plus de la patrie, mais celle de la nation au sens ou la définissait Ernest RENAN. Celle qui réunit autour d’une idée qui rassemble et qui emporte, celle de cette fraternité sociale qui naquit sous la 3ème République, pour créer le modèle social français que nous défendons encore aujourd’hui avec tant d’âpreté ! Ce modèle social qui n’est ni plus ni moins que la mise en commun inscrite dans la loi, d’une fraternité collective réunissant la somme des fraternités individuelles.
En conclusion, je dirais que la naissance de notre devise républicaine est le fruit d’une histoire de presque 250 ans et que cette histoire a abouti à une stabilité de cette devise qui est maintenant inscrite dans notre Constitution. Pour autant, notre histoire nous montre également la fragilité de la pérennité d’un tel héritage. Cela doit donc nous inviter à la connaissance de ce dernier afin de faire de chacun d’entre nous des défenseurs respectueux, attentifs et militants.
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Colonel Hors Classe Bruno BEAUSSE, ENSOSP.