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Billet de vulgarisation de l'iA

L'IA Cognitive, un COS vraiment pas comme les autres ?

03/04/25

Dans son métier, le sapeur-pompier doit exploiter au mieux ses capacités cognitives. Lorsque celui-ci est en position de commandement, ses choix reposent sur une ambivalence toute particulière. D'un côté, le commandement requiert réflexion, analyse et déduction des données visuelles, auditives, olfactives, mais il dépend tout autant des réflexes et des intuitions acquises de manière empirique : c'est ce que l'on appelle l'expérience.

Mais le sapeur-pompier doit combattre les biais, notamment les biais cognitifs, qui pourraient altérer son appréciation de la situation. Ces biais sont nombreux, en voici une liste non exhaustive :

  • Biais de confirmation : tendance à rechercher, interpréter et se souvenir des informations de manière à confirmer ses croyances ou hypothèses préexistantes.
  • Biais d'ancrage : tendance à se fier trop fortement à la première information reçue (l’ancre) lors de la prise de décision.
  • Biais de disponibilité : tendance à juger la probabilité d'un événement en fonction de la facilité avec laquelle des exemples viennent à l'esprit.
  • Biais du statu quo : préférence pour que les choses auxquelles on est habitué restent inchangées plutôt que d’évoluer.
  • Biais d'optimisme : tendance à croire que nous sommes moins susceptibles de rencontrer des événements négatifs et plus susceptibles de rencontrer des événements positifs que les autres.

Ces biais sont si naturels, si humains, qu'à la lecture de cette liste, nous nous voyons en tant que commandant des opérations de secours ayant déjà été influencé par eux lors d'une intervention.

Or, nous avons vu dans les articles précédents que l’intelligence artificielle souffre aussi de biais qui l’entraînent à produire des hallucinations. Dans cet article, nous allons essayer de comprendre ce que signifie IA cognitive et si elle sera vraiment un meilleur COS que nous.

Commençons par la base : l'IA classique repose souvent sur des règles prédéfinies et des algorithmes fixes, alors que l’IA cognitive essaie de simuler un raisonnement humain, avec une certaine capacité d’autonomie et d’adaptation.

 

L'IA cognitive désigne donc une branche de l'intelligence artificielle qui cherche à imiter le processus de la pensée humaine, la manière dont nous apprenons et prenons des décisions. Elle s’inspire des sciences cognitives (psychologie, neurosciences, linguistique, etc.) et utilise des algorithmes avancés pour traiter l’information de façon similaire au cerveau humain. Si vous avez lu mon dernier article ICI, c'est donc une IA forte que l'on peut même qualifier d'Ultime.

 

Caractéristiques de l'IA cognitive :

  • Apprentissage et adaptation : Elle analyse des données, utilise son expérience et ajuste son comportement.
  • Compréhension du langage naturel : Elle interprète et peut générer du texte ou de la parole en langage humain.
  • Perception et reconnaissance : Elle identifie des images, des sons et d'autres stimuli sensoriels.
  • Raisonnement et prise de décision : Elle évalue différentes options et choisit la meilleure solution en fonction des informations disponibles.
  • Interaction homme-machine avancée : Elle facilite les échanges avec les humains via des chatbots, assistants vocaux, ou systèmes de recommandation.

 

Technologie utilisées par l'IA cognitive :

 

Apprentissage automatique (Machine Learning)

Permet à l’IA d’analyser des données, d’en tirer des modèles et de s’améliorer avec l’expérience.

Technologies utilisées :

 

Apprentissage profond (Deep Learning)

Est une ne sous-branche du Machine Learning utilisant des réseaux de neurones multicouches pour traiter des données complexes.

Technologies utilisées :

  • CNN (Convolutional Neural Networks) pour la vision par ordinateur
  • RNN (Recurrent Neural Networks) et LSTM pour le traitement du langage naturel
  • Transformers (ex: GPT, BERT) pour la compréhension et la génération de texte

 

Traitement du langage naturel (NLP - Natural Language Processing)

Permet à l’IA de comprendre, analyser et générer du langage humain.

Technologies utilisées :

  • Analyse syntaxique et sémantique
  • Reconnaissance d'entités nommées (NER)
  • Modèles de langage (ex: GPT, LLaMA, BERT, T5)
  • Chatbots et assistants vocaux (Siri, Alexa, ChatGPT, etc.)

 

Pour aller plus loin l'article sur l'IA générative : https://pnrs.ensosp.fr/Plateformes/Operationnel/Innovations-operationnelles/L-IA-generative-un-atout-pour-la-Securite-Civile/

 

Vision par ordinateur (Computer Vision) (voir l'article 1 : https://pnrs.ensosp.fr/Plateformes/Operationnel/Innovations-operationnelles/La-computer-vision-au-service-de-la-securite-civile-introduction-et-application-concretes)

 Indispensable pour analyser et d’interpréter des images et vidéos.

Technologies utilisées :

  • Reconnaissance faciale et d’objets
  • OCR (Reconnaissance de texte dans les images)
  • Segmentation d’images (ex: OpenCV, TensorFlow, YOLO, Detectron)

 

Reconnaissance et synthèse vocale

Convertit la parole en texte et inversement pour permettre des interactions vocales naturelles.

Technologies utilisées :

  • ASR (Automatic Speech Recognition) pour la reconnaissance vocale
  • TTS (Text-to-Speech) pour la synthèse vocale (ex: Google WaveNet, Amazon Polly)

 

Raisonnement automatique et prise de décision

Pour résoudre des problèmes et d’établir des stratégies (Voir le billet numéro 2 sur l'IA prédictive et analytique : https://pnrs.ensosp.fr/Plateformes/Operationnel/Innovations-operationnelles/IA-predictive-et-analytique-au-service-de-la-securite-civile/).

Technologies utilisées :

 

Interfaces homme-machine avancées

Améliorent l’interaction entre l’IA et les utilisateurs via des interfaces intuitives.

Technologies utilisées :

  • Réalité augmentée et réalité virtuelle (AR/VR)
  • Interfaces cerveau-machine (BCI - Brain-Computer Interface)
  • Analy se des émotions (Affective Computing)

 

Bases de données et Big Data

L’IA cognitive exploite d’énormes volumes de données pour apprendre et améliorer ses prédictions.

Technologies utilisées :

  • Bases de données NoSQL (MongoDB, Cassandra)
  • Data Lakes et entrepôts de données
  • Outils de traitement Big Data (Hadoop, Spark, Apache Flink)

 

Cloud computing et Edge computing

Fournit la puissance de calcul nécessaire aux modèles d’IA cognitive.

Technologies utilisées :

  • Cloud AI (Google Cloud AI, AWS AI, Microsoft Azure AI)
  • Calcul décentralisé (Edge Computing) pour traiter les données en local (ex: IoT, caméras intelligentes)

 

Une fois que les bases techniques sont posées, nous voyons l'immense complexité de mise en œuvre. L'IA cognitive n'est donc pas d'actualité. Il s'ouvre alors une dimension éthique de la réflexion, mais surtout philosophique.
La question est : une IA cognitive sera-t-elle forcément un meilleur commandant des opérations de secours que moi ? Cette introspection suppose d'avoir des définitions claires de ce que signifie commander et du potentiel de l'IA dans le futur.
Grâce à Clausewitz, nous en avons une idée assez claire sur la première :

L’art du commandement repose sur le génie militaire

  • Coup d'œil militaire ("der militärische Blick") et de l'intuition pour comprendre rapidement une situation et agir. Chez les sapeurs-pompiers nous appelons cela les actions réflex
  • Il oppose le simple savoir théorique au talent pratique de celui qui sait commander dans l’urgence et l’incertitude.

Le commandant face à la "friction" et à l'incertitude

  • La guerre est marquée par des éléments incontrôlables ("friction") qui compliquent l’exécution des ordres.  Nous, sapeurs-pompiers, ne faisons pas la guerre mais combattons des phénomènes naturels qui sont, par définition, entropiques.
  • Le bon commandant doit savoir s’adapter en fonction des circonstances et dans l’incertitude.

L'importance du moral et du caractère

  • La Force morale ("moralische Kräfte") et la volonté du commandant doivent être à la hauteur des exigences du combat.
  • Le commandement n'est pas seulement technique, il repose aussi sur le leadership, la confiance et la capacité à inspirer ses troupes.

La nécessité de prendre des risques calculés

  • Avoir toutes les informations avant de décider, est une situation utopique et irréaliste. Il doit donc décider en s’appuyant sur une analyse des probabilités et son intuition.
  • L'inaction par excès de prudence est souvent plus dangereuse que la prise de risque mesurée.

 

Maintenant que nous savons qu'est un "bon" commandant, comparons-le aux potentiels de l'IA :

L’art du commandement repose sur le génie militaire ? Non, l'IA ne peut pas, par essence même, disposer d’intuition, ce qui est le propre de l'homme car il est doué de conscience.

Le commandant face à la "friction" et à l'incertitude ?  Non, l'IA ne sera pas omnisciente et ne sera pas en mesure de contrecarrer la "friction". Elle pourra éventuellement s'adapter si l'on lui définit des marges d’erreur suffisantes pour décider en fonction des probabilités.

L’importance du moral et du caractère : Imaginez-vous un jour une IA disposant du charisme, l'audace et l’aura d’Alexandre le Grand, Marc-Antoine ou Napoléon ? Moi, non et le contraire me fait froid dans le dos.

La nécessité de prendre des risques calculés ? Oui, tout est une question de paramétrage et de puissance de calcul.

 

Je vous laisse donc vous faire votre propre idée de ce que serait une IA en position de COS, et de savoir si, oui ou non, vous suivriez aveuglément ce commandant.

 

Pour conclure, je vous partage une réflexion toute personnelle sur une qualité qu’un commandant doit posséder et que l'IA n'aura probablement jamais.

Commander, c'est être prudent tout en étant disruptif. Prudent, certes, mais pas dans le sens de ceux qui font légion parmi les prudents, c'est-à-dire les pusillanimes. Commander, c'est faire preuve d'une audace mesurée.

 

Ltn Ernest Werenfrid 

https://www.linkedin.com/in/ernest-werenfrid-6014b7158/

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Publié le 03/04/25 à 08:13