Nous avons évoqué dans le dernier article l’enjeu de la donnée et le travail nécessaire à son exploitation. Nous savons désormais que la mise en œuvre de l’intelligence artificielle dans un SDIS doit s’intégrer dans une stratégie globale de l’établissement, en particulier dans la politique de gestion des données. Mais quelles sont les perspectives opérationnelles applicables de l’intelligence artificielle ? Dans cet article, nous nous intéresserons à l’ergonomie, à la forme concrète que peut prendre l’IA pour qu’elle soit prise en main sur le terrain.
Comme beaucoup, avant d’endosser pour la première fois les fonctions de commandant des opérations de secours, je me suis confectionné des « doudous ». Documents travaillés, retravaillés, imprimés, plastifiés, classés : le starter pack du jeune chef de groupe. J’étais donc paré pour mes premières interventions. Mais lorsque le bip a sonné et que je me suis retrouvé en intervention, exit les doudous ; la seule page qui ne m’ait jamais vraiment été utile, c’est celle qui était vierge.
À ce stade, vous vous demandez : mais quel est le rapport entre mes doudous et l’enjeu de l’intelligence artificielle appliquée à l’opérationnel ? Eh bien, il est simple : dans mon cas, j’ai confondu expression du savoir – représentant un intérêt indéniable – et transcription en outil opérationnel applicable sur le terrain. C’est précisément ici qu’est l’enjeu : comment créer un outil utilisable et qui sera effectivement utilisé sur le terrain ?
Dans cet article, je tenterai l’exercice difficile de ne pas sombrer dans la fiction, mais d’imaginer des solutions concrètes qui pourraient voir le jour avec les technologies actuellement en développement ceci afin d'équiper notre commandant des opérations de secours "augmenté".
a. L’enjeu des IdO (internet of Object)
Avant de commencer à imaginer des solutions pragmatiques, faisons un focus technique sur les objets connectés. Les IdO désignent l’ensemble des objets physiques connectés à Internet, capables de collecter, transmettre et parfois traiter des données. Cette technologie est rendue possible par le développement de l’Internet très haut débit via la 5G et les évolutions en matière de miniaturisation. Cette révolution permet de transformer des objets du quotidien en capteurs interagissant intelligemment avec leur environnement.
Schéma de la fonction des objets connectés. (Sources : blog.octo.com)
Il existe différents protocoles réseau, dont le choix dépend étroitement de l’objectif opérationnel, du type de capteurs déployés et des contraintes du terrain (portée, autonomie, débit, fréquence de transmission). Chaque protocole présente des caractéristiques spécifiques en matière de consommation énergétique, de latence, de couverture ou encore de coût d’infrastructure.
L’utilisation de cette technologie doit cependant être faite en pleine conscience et en tenant compte des points de vigilance à prendre en considération :
Sécurité
Interopérabilité et standards
Gestion et exploitation des données
Vie privée et éthique
b. Anticiper : prédiction du risque opérationnel, une utilisation naturelle de l’IA
Commençons par le plus facile à imaginer. En matière stratégique, on entrevoit aisément les possibilités offertes par l’intelligence artificielle. Nous l’avons déjà évoqué, notamment dans l’article consacré à l’IA analytique.
Concrètement, l’IA d’anticipation opérationnelle prendrait la forme d’une application de type tableau de bord, interconnectée dans un cloud aux logiciels métiers de l’établissement (SGO, SIG, CRSS…), ainsi qu’aux plateformes des partenaires (ARS, Météo-France, etc.). L’apport des objets connectés en tant que capteurs environnementaux disséminé préventivement ou non, permet d’apporter de l’information et des paramètres supplémentaire aux modèle mathématiques mise en œuvre.
Cette application constituerait le socle du "système de systèmes", fédérant l’information et facilitant la prise de décision stratégique, noter que cette "fusion" des données est un enjeu à part entière.
c. Agir : l'IA dans le feu de l'action sur le terrain
Le COS utilisant l’IA reste avant tout un opérationnel, qui doit être connecté. Connecté à des émetteurs, à des effecteurs eux-mêmes interconnectés dans un cloud – un véritable « cloud de sécurité civile ».
Mais dans cette réflexion, une composante essentielle est encore absente : l’interface homme-machine.
Aujourd’hui, plusieurs technologies sont en cours de développement.
Tablettes connectées
L’arrivée de l’IA sur le terrain nécessite-t-elle systématiquement une rupture technologique ?
Les tablettes tactiles représentent pourtant l’étape la plus triviale de la numérisation des SDIS, et ne sont pas encore parvenues entre les mains de tous les commandants des opérations de secours. Leur intérêt est indéniable dans un second temps, une fois l’intervention « cadrée ».
Mais à mon sens, dans le feu de l’action, elles constituent le pendant numérique des doudous physiques, du moins dans la phase de montée en puissance de l’intervention.
Une fois la stabilisation acquise, elles retrouvent naturellement leur place indispensable au profit d’un poste de commandement connecté.
Les lunettes connectées
Déjà explorées avec les Google Glass ou les Ray-Ban Meta Smart, cette technologie n’est pas nouvelle, mais elle était probablement arrivée trop tôt lors de ses premières versions, il y a déjà une dizaine d’années.
Ces lunettes intelligentes permettraient d’afficher directement dans le champ de vision les informations pertinentes, en fonction du contexte :
Système de commande vocale et autres EPI intelligents
L’interaction avec ces lunettes se ferait via un système de commande vocale à intelligence artificielle embarquée pour le COS, permettant une interaction mains libres, rapide et contextuelle. Cette intégration peut aller de pair avec des EPI connectés (vêtements dotés de capteurs biométriques, balises de localisation ou capteurs de température ambiante), formant ainsi un écosystème opérationnel intelligent.
Nous avons pu imaginer ce que pourrait être l’esquisse d’un COS augmenté par l’intelligence artificielle. Le fait de disposer de moyens techniques et technologiques ne garantit en rien leur utilisation sur le terrain. L’outil doit être suffisamment ergonomique et apporter une réelle plus-value opérationnelle pour emporter l’adhésion.
L’utilisateur de terrain doit donc être impliqué dès la conception afin de favoriser l’adoption par le plus grand nombre. L’arrivée de l’IA en intervention reposera très probablement sur des objets connectés, alliant ergonomie, robustesse et capteurs embarqués au plus près du sinistre.
Ltn Ernest Werenfrid
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