M. Roland Courteau attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement sur son rapport n° 652 (Sénat) et n° 3589 (Assemblée Nationale) réalisé dans le cadre des travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et intitulé la Pollution de la Méditerranée : état et perspective à l'horizon 2030.
Il lui indique que le bilan que l'on peut esquisser de l'État de la pollution du bassin méditerranéen et des perspectives d'évolution de cette pollution à l'horizon 2030, n'incite pas l'optimisme.
Ainsi, au-delà de l'héritage des pollutions passées, dont l'ombre portée se manifeste sur les deux rives du bassin, ainsi que des pollutions présentes, un écart de plus en plus net se dessine entre le Nord et le Sud… entre les pays membres de l'Union européenne et les pays non membres.
Il lui fait remarquer qu'à terme le renforcement de ces différences de traitement de la pollution pourra poser de graves problèmes dans un espace marin commun clos et fragile. Faut-il en outre préciser que ce milieu qui constitue un réservoir important de la biodiversité mondiale risque de subir plus que d'autres, l'impact du changement climatique…, alors qu'à l'horizon d'une génération, il sera soumis à une pression de pollution d'origine anthropique de plus en plus forte.
Il lui précise que dix propositions de ce rapport s'efforcent de prendre acte de ce constat et d'en redresser les facteurs d'évolution, qu'il s'agisse de la nécessité de créer sur la base du volontariat, une agence de protection de l'environnement et de la promotion du développement durable en Méditerranée…, ou des propositions visant à activer, les coopérations de recherche sur les milieux méditerranéens… à apurer les pollutions héritées du passé…, à mieux prendre en compte les conséquences du changement climatique… à renforcer la lutte contre les rejets illicites d'hydrocarbures,… ou encore à réactiver la politique de création d'aires marines protégées… etc.
Il apparait donc particulièrement nécessaire que soient prises, dans les délais les plus courts, toutes initiatives dans le cadre de l'Union européenne et de l'Union pour la Méditerranée (UPM).
Il lui demande de bien vouloir lui faire connaître son sentiment sur le problème exposé ainsi que les initiatives susceptibles d'être prises en ce sens par la France.
M. Roland Courteau. J'ai rendu au printemps dernier les conclusions d'une étude menée pour le compte de l'OPECST, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sur l'état de pollution de la Méditerranée et ses perspectives d'évolution à l'horizon 2030.
Cette étude, qui se nourrit de l'audition de près de deux cents scientifiques et de plusieurs missions menées en France et à l'étranger, aboutit à dresser un tableau assez sombre.
Dans cet espace clos, dont les eaux se renouvellent en un siècle seulement et qui est l'un des réservoirs de biodiversité de la planète, la pression démographique, la course à l'urbanisation littorale, l'ombre portée des pollutions passées, le développement des activités terrestres et celui des transports maritimes entraînent des pollutions convergentes.
La Méditerranée est la victime de pressions diverses : contaminants chimiques, comme les métaux lourds et les pesticides, dont certaines molécules, quoiqu'elles soient interdites, résident dans le lit des fleuves et sont périodiquement relarguées à l'occasion des épisodes de crues ; apports réguliers de nitrates et de phosphates ; pollutions émergentes, en particulier celles qui proviennent des produits pharmaceutiques, dont la consommation a doublé entre 1970 et 2002 et qui sont très peu filtrés par les stations d'épuration ; développement des macro-déchets et, plus encore, des micro-déchets plastiques, qui font courir un risque de « polymérisation » au bassin méditerranéen ; enfin, poussées de phytotoxines, qui portent sur les biotopes fragiles des lagunes méditerranéennes.
Monsieur le ministre, à cet ensemble de menaces telluriques, il faut ajouter les rejets d'hydrocarbures dus à un trafic maritime en progression constante et le risque potentiel représenté par des plateformes d'exploitation pétrolière qui ne sont pas toujours récentes.
Certes, il faut nuancer cet état des lieux en notant que, sur la rive nord de la Méditerranée, le dispositif de la convention de Barcelone et, surtout, la création d'un droit de l'environnement européen, soumis au contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne, a marqué un progrès majeur dans la lutte contre certaines des pollutions que je viens d'évoquer. Toutefois, c'est aussi reconnaître en creux qu'un écart se creuse avec les pays de la rive sud, alors que les problèmes de pollution du bassin doivent être traités en commun.
Ce constat n'incite pas à l'optimisme pour l'avenir, à l'horizon d'une génération.
À la poursuite d'une pression de pollution anthropique de plus en plus forte s'ajouteront les conséquences du changement climatique qui, quoi que l'on fasse désormais, sont acquises pour 2030.
Si l'on peut dès à présent identifier les effets du réchauffement des eaux et de la baisse attendue de la pluviométrie, d'autres évolutions plus menaçantes ont été évoquées par les scientifiques que j'ai entendus : modification de la circulation des courants ; remontée, donc affaiblissement, des couches primaires de phytoplancton qui sont à la base de la chaîne alimentaire ; enfin, acidification du milieu marin, donc moindre calcification des espèces vivantes.
C'est pourquoi l'étude que j'ai menée était assortie de dix grandes catégories de recommandations, que j'ai personnellement adressées le 5 juillet dernier à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.
J'aimerais, monsieur le ministre, connaître votre sentiment sur ces propositions, dont l'unique objet est d'éviter un désastre écologique dans une vingtaine d'années.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Thierry Mariani, ministre auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports. Monsieur le sénateur, Nathalie Kosciusko-Morizet vous prie de bien vouloir excuser son absence : elle aurait aimé vous répondre, mais se trouve en ce moment à Calais, pour travailler sur le dossier SeaFrance, dont le traitement a été réparti entre plusieurs membres du Gouvernement. Elle m'a donc chargé de vous faire part de sa réponse.
Dans le domaine de la lutte contre la pollution en Méditerranée, la France combine l'approche régionale et l'approche bilatérale.
L'approche régionale est incontournable dans la mesure où les pollutions méconnaissent par nature les frontières. Ainsi, la France contribue à la protection de la mer Méditerranée via la convention sur la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée, dite « convention de Barcelone », via l'Union pour la Méditerranée, via la politique européenne à l'attention des pays du voisinage sud, via des accords bilatéraux, enfin.
Concernant le bassin méditerranéen, qui vous est cher, monsieur le sénateur, la France a donné une impulsion au partenariat entre les deux rives au travers de l'Union pour la Méditerranée, l'UPM, qui place la protection de cette mer au cœur des préoccupations des gouvernants et des peuples de la région euro-méditerranéenne. La lutte contre la dégradation de l'environnement, y compris la dépollution de la Méditerranée, fait en effet partie des objectifs inscrits dans les déclarations fondatrices de cette nouvelle union.
Par ailleurs, la France est un membre actif de la convention de Barcelone sur la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée, placée sous l'égide du Programme des Nations unies pour l'environnement. Elle en est le premier contributeur obligatoire, à hauteur de 38 % du budget de ce dispositif. Sur le plan technique, la France apporte une assistance méthodologique aux pays du sud, via l'un des centres d'activités régionaux du Plan d'action pour la Méditerranée, hébergé à Sophia Antipolis.
Enfin, la France entretient des relations de coopération bilatérale avec les pays du pourtour méditerranéen. L'AFD, l'Agence française de développement, et le FFEM, le Fonds français pour l'environnement mondial, un instrument dédié au financement de projets environnementaux, interviennent ainsi activement dans les pays de la rive sud, notamment au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Dans ces États, le lien entre l'eau et l'environnement constitue un axe important de leur intervention.
Cette action de la France est confortée par des accords bilatéraux ou à portée régionale, parmi lesquels je souhaite citer : l'accord RAMOGE, signé en 1976 et amendé en 2003 entre les gouvernements français, monégasque et italien afin de constituer une zone pilote de prévention et de lutte contre la pollution du milieu marin ; le Lion Plan qui organise la coopération en cas de pollution marine accidentelle entre la France et l'Espagne ; l'accord dit « Pélagos » de 1999 avec Monaco et l'Italie, relatif à la création en Méditerranée d'un sanctuaire pour les mammifères marins.
M. Roland Courteau. Je sais tout cela !
M. Thierry Mariani, ministre. Enfin, à l'échelle nationale, l'action de la France en faveur de la Méditerranée s'inscrit dans l'application de deux directives européennes : la directive-cadre « Stratégie pour le milieu marin », qui s'appuie notamment sur le travail mené au travers des conventions internationales précitées, et la directive-cadre sur l'eau, qui comprend un volet « eaux côtières ».
Des résultats très importants ont d'ores et déjà été enregistrés grâce à la mobilisation des services de l'État, de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée et Corse et des collectivités, en ce qui concerne la mise aux normes des stations d'épuration ayant un impact direct sur la Méditerranée.
Comme vous le voyez, monsieur le sénateur, la convergence des politiques de lutte contre la pollution menées en Europe et en Méditerranée constitue un objectif crucial de la France.
Telle est la réponse que Nathalie Kosciusko-Morizet eût aimé vous apporter.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Toutefois, vous n'avez pas réagi aux dix recommandations que j'ai formulées, je le rappelle, dans un rapport adressé à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet le 5 juillet dernier.
En fait, vous ne m'apprenez malheureusement rien ! Tous les éléments que vous venez d'indiquer figurent déjà dans le rapport dont je suis l'auteur.
Monsieur le président, sans trop excéder mon temps de parole, je voudrais revenir sur deux de mes propositions et insister sur la nécessaire réforme de la gouvernance politique de notre action.
En effet, cette réforme est essentielle, même si je n'en mésestime pas les difficultés. Elle passe par la création au sein de l'UPM, que vous avez citée, monsieur le ministre, d'une agence de protection de l'environnement et de promotion du développement durable en Méditerranée, avec une méthode originale.
L'UPM est actuellement encalminée du fait de la règle de l'unanimité et de la perpétuation d'un conflit qui dure au moins depuis soixante-trois ans et dont on ne voit pas la fin dans un avenir proche.
Il faudrait donc créer une UPM à deux vitesses et instituer une agence sur la base du volontariat et de règles de majorité qualifiée. Ce serait également l'occasion d'y affecter les moyens administratifs et financiers du Plan d'action pour la Méditerranée.
La gouvernance scientifique constitue un autre domaine d'action. Son amélioration, qui est sans doute plus immédiatement à notre portée, passe d'abord par un accroissement de la coopération entre les laboratoires français et exige donc une intervention de l'Agence nationale de la recherche. Toutefois, elle implique aussi que les laboratoires des principaux pays de la rive nord travaillent ensemble, en particulier dans la perspective de la préparation du huitième programme-cadre de recherche européen, ou PCRD, de l'Union européenne. Je rappelle que les pays de la Baltique ont procédé ainsi pour le septième PCRD et qu'ils ont pu disposer d'une enveloppe supplémentaire de 50 millions d'euros.
Monsieur le ministre, peut-être pourriez-vous jouer un rôle d'aiguillon auprès de Mme la ministre de l'écologie et de M. le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ? Je vous en remercie par avance.