M. Hervé Gillé attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur la prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles.
Depuis la vague MeToo en 2017, les plaintes pour violences sexistes et sexuelles sont en hausse. En 2021, l'augmentation était de 33 % pour les violences sexuelles.
Ce chiffre alarmant est pourtant en deçà de la réalité, puisque l'observatoire national des violences faites aux femmes estime que seulement 18 % des victimes portent plainte.
Pour autant, nous ne pouvons que nous réjouir de cette augmentation des plaintes puisqu'elle représente une prise de parole publique mais également une preuve que la victime cherche une reconnaissance et une protection de l'État et du pouvoir judiciaire.
Le parcours du combattant que vivent les femmes victimes de violences conjugales et sexuelles ne s'arrête pas à la prise de décision du dépôt de plainte.
Les préfectures et commissariats de police sont encore insuffisamment préparés et formés pour accueillir les victimes : manque d'effectif, de confidentialité, procès-verbaux trop courts, absence de recherche ou d'expertise médico-légal ; mais plus grave encore refus de prendre la plainte, moqueries, banalisation et culpabilisation. Ainsi, les organisations féministes considèrent après enquête que 66 % des plaignantes pour violences sexuelles ont vécu une mauvaise prise en charge de la part des forces de l'ordre.
Sur l'ensemble des plaintes, environ 80 % sont classées sans suite.
Pour le cas des plaintes pour viol ayant réussi à atteindre le tribunal, 80 % sont requalifiées en agression ou en atteintes sexuelles. Cette déqualification est une pratique judiciaire prévue par la loi du 9 mars 2004 pour désengorger les cours d'assises, elle permet notamment aux accusés d'être jugés par un tribunal correctionnel plutôt qu'une cour d'assises. Aujourd'hui, ce procédé semble souvent inefficace, mais également offensant pour les victimes, puisque les peines encourues sont moindres quand les faits sont correctionnalisés.
Déclarée grande cause du quinquennat, l'égalité femmes-hommes ne peut exister que si les violences sexistes et sexuelles sont combattues et prévenues. L'institution judiciaire semble avoir du progrès à faire sur la question.
Ainsi, il lui demande quelles mesures il envisage pour améliorer le système judiciaire. Il lui demande également s'il compte créer des brigades judiciaires et tribunaux spécialisés dans les violences sexistes et sexuelles afin de recevoir correctement les plaintes et désengorger efficacement les tribunaux tout en accompagnant au mieux les victimes.
Transmise au Ministère de la justice
La lutte contre les violences sexuelles et sexistes et contre les violences conjugales est une des priorités d'action du Gouvernement et constitue une priorité de politique pénale du ministère de la justice. Un arsenal législatif complet permet d'assurer la répression d'un panel étendu de comportements sexuels, sexistes, et la répression des violences conjugales. Une attention particulière est portée à l'accueil réservé aux plaignants, tant par les forces de l'ordre, lors du dépôt de plainte, que par l'ensemble du personnel se trouvant en juridiction, tout au long de la procédure pénale. A ce titre, la gendarmerie nationale a notamment érigé en priorité la prise en charge des violences intrafamiliales, qu'elles soient sexuelles, sexistes ou conjugales, déclinée à travers plusieurs dispositifs. La formation des gendarmes a ainsi été remaniée afin de permettre au centre national de formation à la police judiciaire de leur dispenser une formation d'expertise des mécanismes des violences intrafamiliales. Par ailleurs, des trames d'audition spécifiques des victimes de violences, ainsi que des grilles d'évaluation du danger, ont été mises en place. Enfin, s'il n'y a pas à ce jour d'unité dédiée à ce type de violences, il importe de souligner le rôle de la brigade numérique qui réceptionne les signalements de la plateforme numérique de signalement des atteintes aux personnes et d'accompagnement des victimes, la mise en œuvre de la prise de plainte hors les murs grâce au dispositif Ubiquity, le rôle des 99 maisons de protection des familles ainsi que des 451 intervenants sociaux en commissariats et gendarmerie qui œuvrent au quotidien pour lutter contre ces violences. La direction centrale de la sécurité publique a, quant à elle, diffusé une note le 5 février 2020 évoquant la formation spécifique des policiers amenés à traiter ce type d'affaires. Le ministère de la justice a quant à lui diffusé, le 21 avril 2022, un référentiel visant à renforcer la qualité de l'accueil et de l'accompagnement des victimes en juridiction. Il se décline sous la forme d'engagements à mettre en œuvre tout au long du parcours de la victime dans une juridiction pour l'accueillir, l'informer, l'accompagner, l'orienter. Si ce référentiel a vocation à améliorer l'accueil réservé à toutes les victimes, quelle que soit l'infraction dont elles se prévalent, il comporte une partie spécifique relative aux victimes dites particulièrement vulnérables, incluant les victimes de violences conjugales. Si l'accueil des victimes de violences sexistes, sexuelles, ou de violences conjugales, constitue une priorité du ministère de la justice, le jugement des affaires dans un délai raisonnable l'est tout autant. Si certaines affaires, initialement diligentées du chef de viol, peuvent faire l'objet d'une correctionnalisation, ces requalifications résultent soit de l'impossibilité de caractériser l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction de viol nécessaires à la saisine d'une cour d'assises, soit de décision en opportunité, à l'issue d'une instruction, afin de permettre un jugement de l'affaire dans un délai raisonnable et d'éviter à la victime, qui le demande ou en convient, un procès aux assises pouvant s'avérer, pour certaines d'entre elles, plus complexe à vivre qu'une audience correctionnelle. Toutefois, afin notamment de favoriser le jugement de ces crimes sous leur exacte qualification pénale, la loi du 22 décembre 2021 a généralisé, à compter du 1er janvier 2023, les cours criminelles départementales à tous les départements, à l'exception du département de Mayotte. L'engagement du ministère de la justice est ancien et constant dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et dans la lutte contre les violences conjugales. Les efforts déployés depuis le début du Grenelle doivent se poursuivre autour de trois axes : la formation de tous les acteurs judiciaires, une organisation spécifique des juridictions avec la création de filières d'urgence (déjà effectives dans 123 juridictions) et la coordination de tous professionnels. Grâce à ces efforts les dispositifs de protection judiciaire des victimes se développent avec efficacité : En 2021, 5.921 demandes d'ordonnance de protection devant les juges aux affaires familiales contre 3.131 en 2017. Cette augmentation se combine avec une hausse du taux d'acceptation des demandes d'ordonnance de protection (résultat des actions de formations de tous acteurs) passant de 61,8% en 2018 à 72% au premier trimestre 2022, ainsi qu'avec une réduction des délais de procédure : entre 2013 et 2021 on est passé de 42.2 jours à seulement 7 jours en moyenne. Au pénal : les juridictions se sont emparées des outils de protection grâce à la coordination des partenaires et la proximité des acteurs auprès des victimes : Le téléphone grave danger une augmentation constante depuis 2019 (300 TGD seulement en 2019). : Aujourd'hui 4318 terminaux déployés en juridiction et déjà 3214 attribués. En 2021, 1179 alarmes déclenchées ayant permis une intervention des forces de l'ordre (en 2018 : 420, en 2019 : 727, en 2020 : 1185). Le dispositif BAR, Bracelet anti-rapprochement crée récemment en 2019 et généralisé en 2021 a permis 1046 demandes d'intervention des forces de sécurité intérieure suite au déclenchement d'alarmes. Au 26 janvier 2023, 1001 BAR étaient actifs. L'accroissement de l'activité des juridictions depuis 2017, prolongement de l'augmentation des dépôts de plainte (alors qu'on dénombrait environ 81 200 personnes dans les affaires de violence conjugales terminées en 2017, elles étaient 108 000 en 2020 (+33%) et 138 000 en 2021, ce qui représente une hausse de 70% par rapport à 2017) s'est accompagné d'une augmentation des moyens dédiés à l'aide aux victimes : Alors que le budget de l'aide aux victimes a augmenté de 115% de 2016 à 2023, la part du budget estimée pour les violences intrafamiliales a évolué sur la même période de 286%. La création de juridiction spécialisée comporte des risques pour les justiciables en leur offrant une organisation judiciaire plus complexe et plus éloignée si notamment elle se limitait à l'échelon départemental ou régional. L'éloignement entre les juridictions et leurs partenaires (associations, barreaux, collectivités) est également un risque majeur pour la prise en charge efficace des victimes et des auteurs. D'autres obstacles constitutionnels ont été soulevés à l'occasion des débats parlementaires lors de l'examen en première lecture de la proposition de loi de Monsieur Pradié à l'Assemblée Nationale. Pour éviter ces écueils, la Première ministre a souhaité qu'une mission parlementaire soit conduite. Confiée à Madame VERIEN, sénatrice, et Madame CHANDLER, députée, cette mission, qui bénéficie également de l'assistance de l'Inspection générale de la justice, a pour objectif, non seulement d'évaluer l'action judiciaire consacrée à la lutte contre les violences conjugales, mais également de formuler les préconisations utiles, permettant de concilier l'exigence de spécialisation des acteurs de la justice avec la nécessaire agilité des organisations liée à la diversité des ressorts judiciaires. Les conclusions de cette mission sont attendues au premier trimestre 2023.