M. Louis Nègre. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, le terrorisme islamiste a causé, le 13 novembre dernier, un massacre sans précédent dans notre pays. C'est la France, pour ce qu'elle est, pour son mode de vie, pour son goût pour la liberté et pour sa jeunesse, qui a été attaquée.
Parmi les islamistes qui ont participé au massacre du Bataclan, il y avait Samy Amimour, jeune Français originaire de Drancy et ancien chauffeur de bus à la RATP. Après un premier départ raté pour le Yémen, il avait été mis en examen, en 2012, et placé sous contrôle judiciaire. Ses papiers lui avaient été retirés ; il semblerait néanmoins qu'il ait pu en obtenir à nouveau. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous éclairer sur ce point précis ?
Par ailleurs – nouvelle faille –, à l'heure des attaques, cela faisait plus de deux ans qu'il ne s'était pas soumis au contrôle strict auquel il était pourtant astreint. Il était parti en Syrie et, malheureusement, il a pu en revenir sans aucune difficulté pour commettre le massacre du 13 novembre à Paris. Comment tout cela a-t-il été possible ?
Monsieur le Premier ministre, comment expliquez-vous de tels dysfonctionnements dans les services de l'État ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le sénateur, toutes les questions sont légitimes, qu'elles soient posées par les observateurs et commentateurs, par la représentation nationale...
M. Charles Revet. Heureusement !
M. Manuel Valls, Premier ministre. ... ou, surtout, par les familles des victimes. Tous les Français, ces familles les premières, nous interrogent chaque fois que survient un événement de ce type. Ce n'est pas, malheureusement, la première fois.
Comme beaucoup d'entre vous, sans doute, j'ai assisté à des obsèques, ce matin, en compagnie de parlementaires de Paris ; le fils d'amis avait été tué sur la terrasse d'un café parisien. L'émotion, la dignité, l'incompréhension et la colère y dominaient ; tels sont les sentiments de nos compatriotes.
Aujourd'hui - je vous réponds le plus franchement possible, monsieur le sénateur -, l'action du Gouvernement est tournée résolument vers un seul but : en finir avec Daech.
Cela doit se faire, tout d'abord, en Syrie et en Irak ; le Parlement en discutait hier et Laurent Fabius a présenté ici même la position du Gouvernement. Je veux d'ailleurs saluer le vote plus que large du Sénat, comme de l'Assemblée nationale, en faveur de la poursuite de notre intervention en Syrie, car il représente un signe important.
Le second volet de notre action est la traque des terroristes, en France, mais aussi par une coopération très étroite avec les autres pays européens, notamment la Belgique. Nous avons la volonté très forte de développer encore davantage cette coopération dans le domaine tant de la police que du renseignement. Bernard Cazeneuve a pu rendre compte ici même, la semaine dernière, des avancées qui doivent encore être concrétisées par le Conseil Justice et affaires intérieures dans plusieurs domaines : le PNR - le passenger name record -, le contrôle aux frontières et la lutte acharnée contre le trafic d'armes.
Je veux en outre saluer l'ensemble des initiatives du Président de la République, qui rencontre ce soir le président Poutine à Moscou. Ces initiatives ont pour objectif non seulement de créer cette coalition internationale, mais aussi d'accroître les moyens de lutte contre le terrorisme.
Par ailleurs, en ces moments, vous n'entendrez de ma part aucune parole qui puisse mettre en cause l'action des forces de l'ordre - la police comme la gendarmerie -, qui se sont comportées d'une manière tout à fait extraordinaire au Bataclan ou, voilà quelques jours, à Saint-Denis.
Je ne mettrai pas en cause non plus les services de renseignement, qui sont engagés - les Français le savent - dans une tâche extrêmement difficile. En effet, nous faisons face depuis des mois à près de 1 800 individus déterminés à nous faire la guerre. Et je ne compte que les Français ou les résidents en France, et non ceux qui frappent ailleurs en Europe ou en Afrique du Nord.
Ce phénomène est inédit : nous devons combattre une hydre à deux têtes, qui sévit tant à l'extérieur - en Syrie et en Irak, mais aussi en Libye, ne l'oublions pas - que sur notre territoire. Ces individus sont déterminés et n'ont aucun sens de la vie : ils veulent frapper les Français, notre jeunesse, notre art de vivre et notre culture. Ils nous font la guerre. C'est pourquoi nous la leur faisons.
Toutes les questions qui ont été posées, parmi lesquelles les vôtres, monsieur le sénateur, trouveront sans nul doute une réponse dans le travail que le Parlement sera amené à faire ; c'est à lui d'en décider. Par ailleurs, M. François Molins, procureur de la République de Paris, rend régulièrement compte des avancées de l'enquête.
Dès lors, avant de parler de failles ou d'erreurs, attendons de connaître tous les éléments. À cet égard, je vous ai trouvé bien trop catégorique, monsieur le sénateur.
Aujourd'hui, je vous le dis clairement, la tâche du Gouvernement et de l'État est de rendre coup pour coup, de répondre à l'attaque que nous avons connue, d'écraser Daech et de mettre hors d'état de nuire les terroristes. Pour autant, je n'ai cessé de dire depuis le mois de janvier que nous courions un risque, et la vérité oblige à dire aux Français que ce risque est durable. En effet, quand on mène une guerre, il faut s'attendre à ce que l'ennemi cherche de nouveau à nous atteindre.
Je vous adresse donc, mesdames, messieurs les sénateurs, un appel au rassemblement, à la vigilance, au sérieux, au sang-froid et à la dignité. Au-delà, je l'adresse aux Français, qui doivent pouvoir compter non seulement sur la détermination du Gouvernement, mais aussi sur l'engagement de la représentation nationale dans ce qui est une guerre. Cette guerre, ensemble, nous la gagnerons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Louis Nègre, pour la réplique.
M. Louis Nègre. Monsieur le Premier ministre, nous serons au moins d'accord sur un point : la lutte contre Daech.
Néanmoins, la représentation nationale est en droit de demander au Premier ministre pourquoi un individu qui était fiché et qui, justement, se moquait sur internet des « contrôles passoires » a pu passer à travers les mailles du filet.
Certes, nous approuvons votre appel au rassemblement. Toutefois, si un nouvel acte terroriste a lieu demain matin, que dirons-nous aux parents des victimes s'ils déposent plainte ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Louis Nègre. Ce n'est pas une nouvelle Constitution qu'il faut : ce sont des actes et des résultats. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)