M. Michel Doublet attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur la lutte contre les offres anormalement basses. Malgré les dispositions du code des marchés publics qui retient le principe de l'offre économiquement la plus avantageuse, force est de constater qu'une place prépondérante est accordée au critère de prix, parfois au détriment de la qualité de la prestation. Les phénomènes conjugués de la concurrence des entreprises de l'union européenne, voire étrangères et du recours à l'étranger, par certaines entreprises françaises, de main-d'œuvre, prennent depuis quelques mois une dimension inquiétante par le niveau des prix pratiqués, entraînant de facto une dégradation de la rentabilité des entreprises, et à court terme, des licenciements économiques incontournables. En conséquence, il lui demande quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière.
Le code des marchés publics prévoit que les acheteurs publics doivent choisir l'offre économiquement la plus avantageuse, et non l'offre la plus basse ou la moins disante. Leur attention est régulièrement rappelée sur ce point. Pour identifier une telle offre, ils sont libres de choisir les critères de sélection à appliquer, sous le contrôle du juge. Le choix d'un seul critère, qui sera alors obligatoirement le prix, doit toutefois rester exceptionnel et être justifié par l'objet du marché. Exceptés les achats de fournitures ou de services standardisés, le fait de ne retenir que le seul critère du prix peut être contraire aux dispositions de l'article 53 du code des marchés publics (CE, 6 avril 2007, département de l'Isère, n° 298584). Il est ainsi recommandé aux acheteurs de choisir plusieurs critères de sélection des offres (point 15.1.1.1 de la circulaire du 14 février 2012 relative au guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics). Conformément aux dispositions de l'article L. 410-2 du code du commerce, les prix des biens, produits et services sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. Le droit de la concurrence n'interdit pas que, pour pénétrer des marchés nouveaux, des entreprises consentent des efforts, parfois importants, en matière de prix et de services, éventuellement jusqu'à une marge nulle, voire négative, et répartissent les pertes et les profits qu'elles retirent de leur activité entre les différents marchés qu'elles obtiennent (avis du conseil de la concurrence n° 96-A-08 du 2 juillet 1996). En conséquence, il ne peut être envisagé de fixer un mécanisme d'exclusion automatique de ces offres sur la base de critères objectifs de référence. Un tel dispositif pourrait en effet conduire l'acheteur public à écarter une offre concurrentielle établie dans des conditions particulièrement favorables, selon des procédés nouveaux ou originaux. Une offre peut être moins élevée que celles des autres candidats simplement parce qu'elle est réellement concurrentielle ou plus innovante. Plusieurs raisons peuvent l'expliquer, tenant à la compétitivité de l'entreprise qui l'a établie, à la structure de ses coûts, à sa productivité, à sa compétence technique ou sa santé financière. Toutefois, la pratique des prix de prédation par certains opérateurs économiques, qui visent à éliminer leurs concurrents en proposant des fournitures à des prix inférieurs à leurs coûts moyens variables ou à les empêcher d'accéder au marché, est condamnée par les juridictions nationales et européennes. Ces prix peuvent être qualifiés d'anormalement ou abusivement bas, et de telles offres peuvent traduire un dysfonctionnement du libre jeu de la concurrence. Le code des marchés publics comporte un dispositif spécifique, permettant de protéger l'acheteur public d'offres financièrement attractives mais susceptibles de compromettre la bonne exécution de ses marchés. Son article 55 lui permet ainsi de rejeter, par décision motivée, une telle offre « après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et vérifié les justifications fournies ». En l'absence de définition de l'offre anormalement basse, il appartient aux acheteurs d'apprécier la réalité économique des offres reçues, afin de différencier une telle offre d'une offre concurrentielle. Une offre peut être qualifiée d'anormalement basse si son prix ne correspond pas à une réalité économique. Il relève de la responsabilité des pouvoirs adjudicateurs de procéder à une analyse détaillée de l'ensemble des offres remises et des circonstances dans lesquelles celles-ci ont été présentées. Les acheteurs publics apprécient la dimension économique des offres à partir de plusieurs référentiels. Peuvent notamment être relevés comme indices : la sous-évaluation financière des prestations, un écart significatif entre le prix proposé par un candidat et celui de ses concurrents, la prise en compte par le soumissionnaire de ses obligations sociales dans son offre, une différence conséquente entre le prix de l'offre d'un candidat et l'estimation de la personne publique. Tout mécanisme d'exclusion automatique des offres anormalement basses sur la base d'un critère mathématique est en revanche illégal (CJCE, 22 juin 1989, Société Fratelli SPA c/ commune de Milan, aff. 103-88), mais une formule mathématique peut être utilisée afin de déterminer un seuil d'anomalie, en-deçà duquel les offres sont qualifiées d'anormalement basses. L'analyse des offres reçues, au vu de ces différents éléments, permet aux acheteurs de relever certains indices qui ne suffisent pas pour qualifier l'offre anormalement basse, mais qui justifient le déclenchement du dispositif prévu à l'article 55 du code des marchés publics. Après avoir identifié les offres susceptibles d'être anormalement basses, les pouvoirs adjudicateurs ont l'obligation de demander des explications à leurs auteurs et d'en apprécier la pertinence, afin de prendre une décision d'admission ou de rejet. Cette procédure contradictoire ne relève pas d'une simple faculté, mais constitue une obligation (CJUE, 29 mars 2012, SAG ELV Slovensko, aff. C-599/10 ; CE, Ass. , 5 mars 1999, Président de l'Assemblée nationale, n° 163328) qui peut, le cas échéant, être sanctionnée par le juge. La procédure de l'article 55 permet aux acheteurs de s'assurer que les prix proposés sont économiquement viables et que le candidat a pris en compte l'ensemble des exigences formulées dans le dossier de consultation. Ils doivent procéder à un examen attentif des informations fournies par l'entreprise pour justifier son prix. Le candidat doit pouvoir faire valoir son point de vue et démontrer le sérieux de son offre. Si les explications demandées ne permettent pas d'établir le caractère économiquement viable de l'offre anormalement basse, eu égard aux capacités économiques, techniques et financières de l'entreprise, le pouvoir adjudicateur est tenu de la rejeter par décision motivée. Cette obligation repose sur l'objectif d'efficacité de la commande publique fixé par l'article 1er du code des marchés publics (TA Lille, 25 janvier 2011, Société nouvelle SAEE, n° 0800408). Le dispositif prévu par le code des marchés publics permet de ne pas sanctionner l'offre basse mais l'offre anormale qui nuit à la compétition loyale entre les candidats et qui, si elle était retenue, risquerait de mettre en péril la bonne exécution du marché. Les acheteurs publics doivent veiller à détecter les offres anormalement basses, pour assurer l'efficacité économique de l'achat public et la bonne utilisation des deniers publics. À cet effet, ils sont sensibilisés aux nombreux risques liés aux offres anormalement basses, qu'il s'agisse de risques opérationnels (demandes de rémunération complémentaires, défaillance du titulaire, prestations de mauvaise qualité, recours illégal au travail dissimulé) ou de risques juridiques. De nombreux conseils sont mis à leur disposition pour faire face à des offres financièrement séduisantes mais dont la robustesse pourrait ne pas être assurée, dans le guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics (point 15.2) ou la fiche technique sur « L'offre anormalement basse » accessibles sur la page Marchés publics du portail de l'Économie et des Finances : http ://www. economie. gouv. fr/daj/marches-publics).