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Rapport Jospin : «une nouvelle étape de la vie politique de notre pays» – Interviem par la Gazette de Jean Gicquel (Université Paris I)

Chapo
Jean Gicquel, professeur émérite de l’Université Paris et déontologue de l’Assemblée nationale de 2011 à 2012 livre à la Gazette son analyse du rapport Jospin, remis au Président de la République vendredi 9 novembre 2012 et qui balaie un champ large de réformes institutionnelles.
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Comment qualifieriez-vous ce rapport ?

Ce rapport est très riche, dense. Il s’inscrit parfaitement dans la perspective du discours de Dijon du 3 mars 2012 du candidat Hollande. La Commission Jospin est restée fidèle à la lettre de mission du Chef de l’Etat. Elle se permet juste un écart à propos de la présence au Conseil constitutionnel des anciens Présidents de la République pour laquelle la Commission demande sa suppression.

Il faut noter surtout que ce rapport présente des propositions volontaristes, radicales et s’il devenait réalité, la face de notre démocratie en serait, je crois, profondément modifié. Cela changerait tout d’abord, ce qui concerne le statut du Chef de l’Etat avec la fin de l’immunité pour les actes qu’il a commis antérieurement à sa fonction.
Ensuite, ce qui serait très novateur, c’est la fin du régime du cumul des mandats. Cette singularité française met le parlementaire dans une situation de juge et partie : il incarne à la fois l’intérêt général et les intérêts locaux dans la mesure où il exerce également un mandat exécutif local. La Commission Jospin, sur ce point, va très loin et aligne la situation des parlementaires sur celle aujourd’hui réservée aux membres du Gouvernement. On touche ici un sujet extrême sensible car l’interdiction des cumuls changera profondément le profil, la sociologie des parlementaires.

Enfin, autre changement important : la prise en compte de la déontologie, la science des devoirs. C’est effectivement une nouvelle étape de la vie politique de notre pays, l’étape de sa moralisation car on ne peut pas à la fois incarner l’intérêt général et dépendre par soi-même ou par ses proches, d’intérêts particuliers.
Comme le code de la déontologie adopté à l’Assemblée nationale l’indique, le rapport Jospin veut raffermir la confiance des citoyens dans leurs représentants. En clair, la déontologie n’est pas contre les parlementaires, mais pour leur plus grand profit. C’est pourquoi le rapport propose la création d’une autorité de déontologie de la vie publique qui absorberait l’actuelle commission pour la transparence financière de la vie politique avec un système « d’alerte éthique ».

Ne faut-il pas craindre une déterritorialisation des parlementaires du fait de la proposition d’interdire le cumul des mandats?

Il est vrai qu’en ne permettant plus à un parlementaire d’exercer un mandat local à caractère exécutif, c’est lui ôter ses racines locales. Il sera moins informé, coupé de lien avec son territoire car le parlementaire reçoit et entend ses administrés quand il revient dans sa circonscription. Mais le rapport Jospin compense cette déterritorialisation en conservant le scrutin majoritaire même s’il propose de lui instiller 10% de représentation proportionnelle.
Le scrutin majoritaire est un scrutin territorial. On sait que le député est attaché à sa circonscription. Alors que la représentation proportionnelle distance le lien entre le député et le territoire. Le scrutin majoritaire parce qu’il nécessite de « labourer sa circonscription », permettra de maintenir cet ancrage territorial.

Justement, que penser de cette dose homéopathique de proportionnelle pour les élections législatives ?

Le rapport Jospin est très clair sur ce point : le scrutin majoritaire a la vertu de dégager une majorité au gouvernement. Cependant, il induit également un fort bipartisme où certains courants de la vie politique sont minorés. Le scrutin à la proportionnelle permettrait cette représentation. Le rapport propose 10% des députés, soit 58 d’entre eux avec à la clé un redécoupage des circonscriptions électorales. Mais il ne faudrait pas aller au-delà afin de préserver la stabilité gouvernementale.

Que pensez-vous du remplacement du parrainage actuel des maires aux candidats aux élections présidentielles par un parrainage citoyen ?

Personnellement, je suis favorable à cette idée parce qu’il y a incontestablement une pression très forte qui pèse sur les maires, notamment sur les maires des petites communes. C’est une très bonne chose et cela irait dans le sens de responsabiliser encore davantage les citoyens ayant la qualité juridique d’électeur.

Toutefois, je m’interroge sur le fait que la Commission Jospin ne prévoit pas que le nom de ces parrains-citoyens soit publié. C’est étonnant. En effet, la décision du 21 février 2012 (QPC n°2012-233), le Conseil constitutionnel a été amené à préciser que « la présentation de candidats par les citoyens élus habilités ne saurait être assimilée à l’expression d’un suffrage» pour justifier que le nom des 500 parrains était rendu public. Par suite, je ne vois pas pourquoi on dirait cette fois-ci que cette démarche resterait secrète. Etre citoyen, c’est s’engager dans la vie publique et quoi de plus naturel de dire publiquement qu’on soutient tel ou tel candidat. L’anonymat n’est donc pas une nécessité voire même il serait à l’origine une inconstitutionnalité.

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