L’assemblée du contentieux du Conseil d’État, dans un arrêt du 4 avril 2014, a bouleversé les règles de contestation des contrats administratifs par des tiers. La voie du recours contre les actes détachables ne sera plus ouverte que dans des cas limités.
Désormais, donc, et « indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ». Cette action est également ouverte aux membres de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivité et au préfet dans le cadre du contrôle de légalité et peut être assortie d’une demande de suspension. En l’espèce, l’assemblée était saisie par le département du Tarn-et-Garonne d’un pourvoi contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux annulant, à la demande d’un conseiller général, la délibération autorisant son président à signer un marché.
Le recours « doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ».
Mettant fin à la vénérable jurisprudence Martin (CE 4 août 1905, n° 14220, Lebon p. 749 ), l’assemblée indique « que la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer ne peut être contestée qu’à l’occasion du recours ainsi défini ». Toutefois, « dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l’État dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l’excès de pouvoir jusqu’à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet ».
L’objectif principal de la nouvelle jurisprudence est, selon le rapporteur public, de limiter la « période d’incertitude » pendant laquelle un contrat peut être remis en cause, via l’annulation d’un acte détachable, suivi d’une demande d’exécution et, éventuellement, d’une saisine du juge du contrat. Toutefois, bien que la décision ne le précise pas, ce schéma long devrait persister s’agissant des contrats de droit privé. Selon les conclusions de Bertrand Dacosta, les tiers devraient demeurer recevables à attaquer les actes détachables d’un contrat de droit privé puisque le recours ainsi créé par le juge administratif ne peut pas être exercé devant le juge judiciaire. La jurisprudence Époux Lopez (CE, sect., 7 oct. 1994, n° 124244, Epoux Lopez, au Lebon avec les conclusions ; AJDA 1994. 914 ; ibid. 867, chron. L. Touvet et J.-H. Stahl ; RDI 1995. 93, obs. J.-B. Auby et C. Maugüé ; RFDA 1994. 1090, concl. R. Schwartz ; ibid. 1098, note D. Pouyaud ) subsisterait donc.
Comme le préconisait également, Bertrand Dacosta, le Conseil d’État encadre les moyens que peuvent soulever les personnes auxquelles est désormais ouvert le recours contre le contrat. Si le préfet et les membres de l’organe délibérant peuvent présenter tout moyen, les autres tiers « ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office ».
L’assemblée précise que le juge du contrat saisi du recours d’un tiers « ordinaire » doit vérifier que celui-ci « se prévaut d’un intérêt susceptible d’être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu’il critique sont de celles qu’il peut utilement invoquer ». Il appartient ensuite au juge, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, « d’en apprécier l’importance et les conséquences ». Ainsi, il lui revient, « soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat ». Si les irrégularités ne peuvent être régularisées et ne permettent pas la poursuite du contrat, le juge doit prononcer, « le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci ». Le juge peut, enfin, « s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés ».
Comme le Conseil d’État en a pris l’habitude, il règle également les questions d’application dans le temps de ces nouvelles règles jurisprudentielles qui, affirme-t-il, « prises dans leur ensemble, n’apportent pas de limitation au droit fondamental qu’est le droit au recours ». L’assemblée indique, tout d’abord, que, « eu égard à l’impératif de sécurité juridique tenant à ce qu’il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours, le recours ci-dessus défini ne pourra être exercé par les tiers qui n’en bénéficiaient pas et selon les modalités précitées qu’à l’encontre des contrats signés à compter de la lecture de la présente décision ». Elle précise, ensuite, « que l’existence d’un recours contre le contrat, qui, hormis le déféré préfectoral, n’était ouvert avant la présente décision qu’aux seuls concurrents évincés, ne prive pas d’objet les recours pour excès de pouvoir déposés par d’autres tiers contre les actes détachables de contrats signés jusqu’à la date de lecture de la présente décision ».
Par conséquent, le Conseil d’État examine la légalité de l’acte détachable que constitue la délibération du département du Tarn-et-Garonne. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux est annulé car le juge estime que l’irrégularité relevée (absence de la rubrique « procédures de recours » dans l’avis d’appel à la concurrence) n’a pas été, « dans les circonstances de l’espèce, susceptible d’exercer une influence sur le sens de la délibération contestée ou de priver des concurrents évincés d’une garantie, la société attributaire ayant été, d’ailleurs, la seule candidate ».
par Marie-Christine de Montecler