Deux maisons d’arrêt présentent des défaillances, qui affectent gravement leur sécurité incendie. En réalité elles seraient une douzaine, documentées par l’Observatoire internationale des prisons (OIP), mais seuls les cas d’Ajaccio et de Tours sont présentés devant le Conseil d’État. C’était hier, mardi 20 décembre, à l’occasion d’un référé-liberté en appel, dans une salle perchée au dernier étage de la Haute juridiction.
Dès le début de l’audience, la juge unique a prévenu : la jurisprudence de Nîmes pose très clairement le cadre de l’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, qui doit être considérée comme remplie en l’espèce. Reste à savoir si le trouble généré par les défaillances en matière de sécurité incendie porte une atteinte « grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale », en l’espèce la sécurité des détenus, et suppose que le Conseil d’État enjoigne l’administration à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour faire cesser cette atteinte.
La maison d’arrêt corse est modeste (68 détenus, 128,3 % de taux d’occupation), très ancienne (le bâtiment est de 1870), très vétuste et la sous-commission départementale de sécurité incendie a déclaré, le 25 juin 2014, son niveau de sécurité « extrêmement insatisfaisant ». L’établissement fonctionne toujours et l’administration a engagé pour 470 000 € de travaux, qui devront être exécutés « courant 2017 ».
L’OIP se préoccupe du manque de visibilité dans la réalisation des travaux nécessaires à la sécurité des détenus et personnels en cas de sinistre. Nicolas Ferran, juriste à l’OIP, explique que « le plan annoncé par l’administration pénitentiaire ne reprend pas les recommandations de la sous-commission, et surtout il n’impose pas de calendrier ». Les travaux devraient débuter en avril 2017 et se terminer à la fin de l’année. « Et pendant ce temps, les risques en cas d’incendie perdurent », explique Me Patrice Spinosi. Et le flou demeure : il est en effet très difficile de savoir quelles préconisations de la sous-commission incendie ont été réalisées depuis deux ans et demi, et la juge comme l’OIP cherchent à s’informer.
La sous-commission avait fait trente préconisations. Par exemple : le bannissement des branchements en multiprises et, globalement, la mise aux normes de l’installation électrique ; installer plus de blocs d’éclairage autonomes pour trouver son chemin dans la fumée en cas de coupure de courant ; créer une colonne sèche en extérieur ; prodiguer une formation rigoureuse et régulière des personnels en matière de sécurité incendie ; apposer des trappes de désenfumages ; rétablir le confinement du feu et le cloisonnement par la mise en place de parois coupe feu. La présidente, qui trouve que « la sécurité incendie, c’est très complexe », reste dans le concret. Elle demande à l’administration : « Est-ce que l’escalier extérieur permettant de rejoindre deux zones sécurisés dans la cour a été crée, comme cela a été suggéré par la commission ? » Le représentant explique que non : « la proposition en tant que telle n’a pas eu de suite, car les travaux engagés sont plus globaux », d’une toute autre envergure que les modestes préconisations non appliquées de 2014.
La juge fait un effort non feint pour s’imaginer le cadre architectural : « Si je comprends bien, c’est comme au Conseil d’État : il y a un escalier d’honneur et deux couloirs en haut, où sont les cellules (pas au Conseil d’État, NDLR) », illustre-t-elle. Il faut que les couloirs et les coursives soient parfaitement désenfumés. En outre, le confinement inhérent à un tel établissement laisse peu d’échappatoires et impose une discipline très stricte, un plan à toute épreuve en cas d’évacuation. « Est-ce que c’est comme chez nous, une sirène qui se déclenche et personne qui ne bouge ? » ironise la présidente, en référence à l’incendie qui embrasa les combles du Conseil d’État le 29 novembre dernier. Elle se reprend : « Il faudrait simuler des évacuations, pas forcément avec de vrais détenus, mais tout de même – Je ne suis pas sûr qu’ils en fassent, compte tenu des contraintes qui pèsent sur l’établissement », répond le représentant de l’administration. L’OIP s’enquiert : « Est-ce qu’il y a au moins un plan d’évacuation qui existe ? » Oui, il y en a un, remis aux intervenants extérieurs. Mais celui de la prison étant classé secret défense, le représentant de la Chancellerie doit se contenter de décrire à l’audience les zones de sécurité et la situation des bornes anti-incendie, des extincteurs, les « robinets incendie armés » (RIA). La clôture de l’instruction est reportée à vendredi, le temps que l’administration fournisse les preuves de l’état du réseau électrique.
Vient l’examen de la maison d’arrêt de Tours : plus imposante, plus récente (1934) et plus surpeuplée : 231 personnes détenues, soit un taux d’occupation de 159,3 %. Là aussi, le sous-équipement en lutte contre l’incendie pèche, comme l’a noté le rapport de la sous-commission départementale, le 25 juin 2016. Mais la principale préoccupation, c’est le sous-sol. Le rapport note une « présence de stockage particulièrement important de combustibles (bois, palettes, mobilier usagé, matelas en mousse) dans un sous-sol non recoupé couvrant la totalité de la surface des bâtiments hébergeant les détenus ». En claire, une immense cave non compartimentée sert à stocker des archives papier et du matériel hautement inflammable, et aucune sécurité de permettrait de confiner l’incendie à ce niveau. L’OIP estime que la réponse donnée par l’administration est insuffisante : « Le sous-sol devrait être vidé depuis longtemps, et ce n’est toujours pas fini », rapporte Nicolas Ferran. « C’est vraiment un très grand sous-sol », enchérit Me Spinosi. La partie défenderesse s’explique : « C’est pas un vide-grenier, il y a un tri qui doit se faire dans un cadre contraignant. Des bennes de 10 m3 qu’il faut faire entrer, fouiller, sécuriser, pour éviter que les détenus ne profitent de l’occasion pour s’évader. » Il explique que l’opération est répétée deux fois par semaine. La présidente s’interroge : « Ce sous-sol, c’est le tonneau des danaïdes ? Plus on le vide, plus il se remplit ? » L’administration l’assure : il sera vidé fin décembre, début janvier, et débuteront alors les travaux de sécurisation.
D’autres détails taraudent l’association requérante. Il n’y a aucun élément pour savoir si le système de désenfumage a été réalisé, ainsi que le dégraissage des hottes de cuisine (car la graisse favorise la propagation de l’incendie), comme préconisé par la commission. L’administration s’agace : « Plus on apporte d’éléments, plus la partie requérante cherche dans le détail pour voir ce qui ne va pas. » Le dégraissage a été fait le 15 septembre. Pour le reste : « C’est encore à l’étude, nous n’avons pas encore de devis ». Les travaux devraient débuter dans six mois.
Face à ce constat, la présidente est un peu déconcertée : les travaux indéniablement sont engagés, mais quand seront-ils réalisés ? L’éventuelle bonne volonté de l’administation est-elle un gage suffisant ? Surtout, que pourrait ordonner le juge des référés, dans l’urgence qui est la sienne, afin d’obliger l’administration pénitentiaire à réaliser ces travaux nécessaires ? Me Spinosi souligne l’urgence et le danger : « Nous sommes face à des établissements qui accueillent du public et qui ne sont pas aux normes. N’importe quel autre établissement serait fermé. » L’OIP veut que l’État donne une garantie sérieuse de la réalisation des travaux, qu’elle « s’engage autour d’un calendrier ».
L’ordonnance sera rendue vendredi dans la journée.
par Julien Mucchielli le 21 décembre 2016, pour DALLOZ ACTUALITES