En vertu des dispositions des articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, lorsqu’un accident du travail est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit peuvent obtenir une indemnisation complémentaire caractérisée, d’une part, par la réparation de préjudices supplémentaires et, d’autre part, par une majoration des rentes versées par la caisse primaire d’assurance maladie. Une faute pénale non intentionnelle de l’employeur peut également être à l’origine de cet accident. Dans cette hypothèse, deux juridictions pourront alors être saisies par le salarié, d’un côté, la juridiction pénale et de l’autre, la juridiction de sécurité sociale.
La jurisprudence avait posé le principe d’identité des fautes civiles et pénales d’imprudence qui avait pour conséquence d’écarter la faute civile de l’employeur dans l’hypothèse où sa faute pénale n’avait pas été reconnue (S. 1914. 1. 249, note R. Morel ; D. 1915. 1. 17; Gaz. Pal. 1913. 1. 107 ; J. Pradel et A. Varinard, GADPG, 4e éd., Dalloz 2003, comm. n° 40, p. 511).
La loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 a mis un terme à cette identité des fautes en consacrant le principe d’autonomie des fautes pénales non intentionnelles et des fautes civiles (P. Bonfils, Consécration de la dualité des fautes civile et pénale non intentionnelles, D. 2004. Jur. 721 ; J. Siro, obs. ss. Civ. 2e, 15 mars 2012, Dalloz actualité, 4 avr. 2012 ; N. Rias, Retour sur la portée de la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, D. 2012. Jur. 1316 ). L’article 4-1 du code de procédure pénale, issu de cette loi, prévoit ainsi que l’absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à l’exercice par le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle d’une action en reconnaissance de faute inexcusable devant la juridiction de la sécurité sociale.
En l’espèce, un salarié est victime d’un accident du travail mortel pris en charge au titre de la législation professionnelle. Les ayants droit du salarié engagent une action pénale contre la société et ses dirigeants. Une décision de relaxe est rendue du chef d’homicide involontaire et une condamnation est prononcée du chef d’omission d’établissement d’un protocole de sécurité. Postérieurement à cette décision, les ayants droit saisissent le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Le TASS et la cour d’appel reconnaissent la faute inexcusable de l’employeur.
Au soutien de son pourvoi, l’employeur se fondait sur la décision rendue par la juridiction pénale pour considérer que l’absence de lien de causalité entre la faute et le dommage constaté par le juge pénal s’imposait au juge civil en application du principe de l’autorité de la chose jugée.
La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que « la déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance par la juridiction de sécurité sociale d’une faute inexcusable de l’employeur au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ».
Cette décision s’inscrit dans la continuité des décisions de la Cour de cassation (dans le même sens, Soc. 12 juill. 2001, Bull. civ. V, n° 267 ; D. 2001. Jur. 3390, note Y. Saint-Jours ; RDSS 2001. 791, obs. P.-Y. Verkindt ; RJS 2001, n° 1198 ; 28 mars 2002, Bull. civ. V, n° 110).
Une cour d’appel peut donc, sans méconnaître l’autorité de la chose précédemment jugée, décider que l’employeur, relaxé du chef d’homicide involontaire, a commis une faute inexcusable (Civ. 2e, 16 sept. 2003, n° 01-16.715, Bull. civ. II, n° 263 ; 3 mai 2006, n° 04-30.601, Dalloz jurisprudence) sous réserve qu’il soit démontré que « l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver » (V. C. Lecœur, Vers un durcissement des conditions relatives à la faute inexcusable de l’employeur dans le contentieux de l’amiante ?» RDT 2009. 91 ).
Par ailleurs, la Cour de cassation confirme également, dans son attendu, l’importance donnée à l’absence de conclusion d’un protocole de sécurité dans le cadre de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur (V. art. R. 4515-4 s. c. trav.).
Selon un auteur, il convient de relever que « la jurisprudence sociale admet de façon très large l’existence de la faute inexcusable de l’employeur, tout particulièrement en présence d’un manquement délibéré aux règles de sécurité des travailleurs » (P. Jourdain, La relaxe d’un employeur pour absence de faute pénale non intentionnelle n’empêche pas le juge civil de retenir la faute inexcusable, D. 2002. Chron. 1311 ).
Ainsi, la Cour de cassation confirme une solution favorable à l’indemnisation des victimes.
par Anne Seguin pour Dalloz actualités