Des médecins ne peuvent être pénalement condamnés pour homicide involontaire s'il n'est pas établi un lien de causalité certain entre les agissements qui leurs sont reprochés et la mort de leur patiente, ce que ne peut suffire à démontrer la seule existence de la perte d'une chance de survie. Pour autant, cette circonstance ne fait pas obstacle à la possibilité, pour la partie civile, d'obtenir réparation en application de l'article 470-1 du code de procédure pénale.
L'article 221-6 du code pénal, qui définit le délit d'homicide involontaire, nécessite pour son application que la faute à l'origine du dommage soit en lien de causalité certain avec ce dernier. C'est qu'en effet, si l'article 121-3 du même code admet que puisse engager la responsabilité pénale d'une personne physique un comportement ayant engendré directement ou indirectement un dommage, la nature directe ou indirecte du lien de causalité ayant alors une incidence sur la gravité de la faute à retenir, il n'en demeure pas moins qu'un tel lien de causalité doit, en tout état de cause, présenter un caractère de certitude : la faute doit être l'une des conditions sine qua non du dommage. La jurisprudence n'a pas manqué de le rappeler à plusieurs reprises : « les juges saisis d'une poursuite pour homicide et blessures involontaires ne sauraient retenir cette infraction à la charge du prévenu qu'à la condition que l'accident survenu se rattache de façon certaine, même indirectement, par une relation de cause à effet avec la faute reprochée au prévenu » (Crim. 11 déc. 1957, Bull. crim. n° 829 ; JCP. 1958. II. 10423) ; de même, « dans l'incertitude sur l'existence d'un lien de causalité entre les fautes reprochées au prévenu et le dommage, les manquements de ceux-ci ne peuvent être incriminés » (Crim. 18 juin 2003, Bull. crim. n° 127 ; D. 2004. Jur. 1620, note D. Rebut ; ibid. Somm. 2751, obs. S. Mirabail ; ibid. 2005. Jur. 195, note A. Prothais ; RSC 2003. 781, obs. Y. Mayaud ; JCP 2003. II. 10121, note Rassat ; Dr. pénal 2003. Comm. 97, obs. Véron).
C'est cette notion de certitude du lien de causalité que vient préciser, à l'image d'une jurisprudence déjà bien fournie, l'arrêt rendu par la chambre criminelle le 3 novembre 2010. En l'espèce, une femme est admise dans une clinique en vue de son accouchement, mais y décède en raison du développement d'un syndrome rare, dont la prise en charge avait été effectuée avec retard. Les médecins sont alors déclarés coupables d'homicide involontaire par le tribunal correctionnel. Mais la cour d'appel infirme le jugement, au motif que le lien de causalité entre les agissements reprochés et le décès de la patiente n'était pas certain, les juges n'ayant pu caractériser que la perte d'une chance de survie, et non la perte de toute chance de survie, du fait des fautes en cause. De ce fait, la cour d'appel prononce la relaxe des prévenus et déboute la partie civile des demandes indemnitaires présentées par cette dernière sur le fondement de l'article 470-1 du code de procédure pénale.
S'agissant de la relaxe, la Cour de cassation approuve l'arrêt d'appel, considérant à son tour qu'il n'existe pas de relation certaine de causalité entre les agissements reprochés aux prévenus et le décès de leur patiente, la perte de toute chance de survie n'étant pas rapportée, et la perte d'une seule chance de survie n'étant pas suffisante pour engager la responsabilité pénale d'un individu. Ce faisant, elle se fonde sur une distinction déjà rencontrée en jurisprudence : le lien de causalité n'est certain que lorsque la faute du médecin fait perdre au patient toute chance de survie. C'est ce qu'il ressort, par exemple, d'un arrêt rendu en 1977, où un médecin avait été déclaré coupable d'homicide involontaire pour avoir, par sa faute lourde, privé son patient de toute possibilité de survie (Crim. 9 juin 1977, Bull. crim. n° 212), ou encore d'un arrêt rendu en 2003, où la même infraction avait été retenue à l'encontre d'un interne de garde pour les mêmes raisons (Crim. 1 avr. 2003, n° 02-81.872, Dalloz jurisprudence). En revanche, si la même faute ne fait perdre à ce dernier qu'une chance de survie, la certitude du lien de causalité n'est plus caractérisée et la relaxe s'impose. Ainsi, justifie sa décision la cour d'appel qui « énonçant qu'une patiente ayant seulement été privée d'une chance de survie, conclut qu'il n'existait pas de relation certaine de causalité entre son décès et les anomalies médicales constatées, d'où il résulte que le délit d'homicide involontaire n'est pas constitué » (Crim. 22 mars 2005, Dr. pénal 2005. Comm. 103, obs. Véron). La solution est réitérée en 2008 (Crim. 4 mars 2008, AJDA 2008. 1455 ; D. 2008. AJ 991 ; ibid. 2009. Chron. 123, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; AJ pénal 2008. 237, obs. M.-E. C. ; RSC 2008. 901, obs. Y. Mayaud).
Pour autant, la relaxe des prévenus sur un tel fondement n'est pas de nature à exclure toute possibilité d'indemnisation demandée par la partie civile au titre de l'article 470-1 du code de procédure pénale. En effet, la jurisprudence a déjà jugé qu'une décision de relaxe fondée sur l'absence de causalité entre la faute médicale et le décès ne pouvait faire obstacle à une condamnation civile fondée sur la causalité entre la faute et la perte d'une chance de survie (Crim. 20 mars 1996, Bull. crim. n° 119 ; RTD civ. 1996. 912, obs. P. Jourdain ; JCP 1996. I. 3985, n° 22, obs. Viney).
C'est pour avoir méconnu ce principe que la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel le 3 novembre 2010, considérant que les retards dans la prise en charge de la patiente ont probablement fait perdre à celle-ci une chance de survie, dès lors que la disparition de la probabilité d'un événement favorable constitue une perte de chance. Ce faisant, elle reprend à son compte la jurisprudence civile ayant considéré que « constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable » (Civ. 1re, 21 nov. 2006, Bull. civ. I, n° 498 ; D. 2006. IR 3013, et les obs. ; JCP 2007. II. 10181, note Ferrière ; ibid. I. 115, n° 2, obs. Stoffel-Munck ; RDC 2007. 266, obs. Mazeaud). Cette perte de chance ne peut donc suffire à caractériser l'homicide involontaire, mais elle permet d'obtenir réparation de son préjudice".
M. Bombled