Une législation nationale peut prévoir qu’un travailleur puisse se prévaloir de la garantie salariale de l’institution nationale, conformément au droit de cet État membre, à titre complémentaire ou substitutif par rapport à celle offerte par l’institution désignée comme étant compétente en application de la directive n° 80/987, pour autant, toutefois, que cette garantie donne lieu à un niveau supérieur de protection du travailleur.
Aux termes de l’article L. 3253-6 du code du travail, « tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l’étranger ou expatriés (…), contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ». Bien que le texte précise explicitement que l’obligation d’assurance dont l’employeur est débiteur concerne les salariés détachés ou expatriés, la question se pose, s’agissant de cette catégorie spécifique de salariés, de l’institution débitrice de la garantie des salaires, étant donné la pluralité de rattachement que suppose leur situation particulière. L’article 8 bis de la directive n° 80/987 du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, telle que modifiée par la directive n° 2002/74 du 23 septembre 2002 livre une réponse à cette question. Celui-ci dispose en effet que « lorsqu’une entreprise ayant des activités sur le territoire d’au moins deux États membres se trouve en état d’insolvabilité, l’institution compétente pour le paiement des créances impayées des travailleurs est celle de l’État membre sur le territoire duquel ils exercent ou exerçaient habituellement leur travail », l’étendue des droits des salariés étant alors déterminée par la loi nationale régissant l’institution compétente.
Saisie de la situation d’un salarié employé par une société française mais occupé sur une chantier en Belgique et ayant, après son licenciement survenu à la suite du placement en liquidation judiciaire de la société française qui l’employait, demandé la garantie de l’AGS à titre principal et celle du Fonds de fermeture des entreprises de l’Office national de l’emploi en Belgique à titre accessoire, la chambre sociale, a par un arrêt du 18 novembre 2009, saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’un renvoi préjudiciel en interprétation (Soc. 18 nov. 2009, n° 08-41.512, Dalloz jurisprudence). La question posée par le juge français portait sur le point de savoir si la compétence d’une institution étrangère par application de l’article 8 bis de la directive doit être entendue comme excluant celle de l’institution auprès de laquelle l’employeur s’assure et cotise en application du droit national, ou si, lorsque la garantie due par cette dernière est plus favorable, le salarié conserve le droit de s’en prévaloir, comme la clause de protection nationale renforcée inscrite à l’article 9 de la directive paraissait l’autoriser (Sur cette notion, V. N. Moizard, Droit du travail communautaire et protection nationale renforcée. L’exemple du droit du travail français, t. 1, (Préf. P. Rodière), PUAM, Aix-en Provence, 2000).
La Cour de justice de l’Union européenne a répondu à cette question tout en modifiant quelque peu ces termes (CJUE 10 mars 2011, Defossez, aff. C 477/09). Cette modification a trait à une correction qu’effectue la Cour de justice s’agissant du droit applicable rationae temporis. Selon le juge de l’Union, en effet, la directive n° 2002/74 n’était pas applicable dans cette espèce étant donné que le jugement ordonnant la liquidation judiciaire était intervenu le 1er juin 2004 et que le délai de transposition de cette directive courrait jusqu’au 8 octobre 2005, ce qui conduit le juge de l’Union européenne à aborder l’affaire sous l’angle de la directive du 20 octobre 1980 dans sa version antérieure à la modification intervenue en 2002. Comme le note la Cour de justice elle-même, cela a des incidences car la directive n° 2002/74 « établit un nouveau critère pour l’identification de l’institution de garantie compétente » (CJUE, 16 oct. 2008, Holmqvist, C 310/07, Rec. p. I-7871, pts 20 et ss.) ce dont il résulte que « l’appréciation juridique d’une situation telle que celle de l’affaire au principal n’aboutit pas nécessairement au même résultat lorsqu’elle est effectuée conformément aux dispositions de la directive n° 80/987 dans sa version initiale ou à celles de cette même directive, telle que modifiée par la directive 2002 ».
Sur le terrain de la directive 80/987, la Cour de justice a dit pour droit que pour le paiement des créances impayées d’un travailleur, qui a habituellement exercé son activité salariée dans un État membre autre que celui où se trouve le siège de son employeur, déclaré insolvable avant le 8 octobre 2005, lorsque cet employeur n’est pas établi dans cet autre État membre et remplit son obligation de contribution au financement de l’institution de garantie dans l’État membre de son siège, c’est cette institution qui est responsable de la garantie des salaires. Et la Cour de justice de préciser que la même directive ne s’oppose pas à ce qu’une législation nationale prévoie qu’un travailleur puisse se prévaloir de la garantie salariale de l’institution nationale, conformément au droit de cet État membre, à titre complémentaire ou substitutif, par rapport à celle offerte par l’institution désignée comme étant compétente en application de cette directive, pour autant, toutefois, que ladite garantie donne lieu à un niveau supérieur de protection du travailleur.
Il est bien connu que les décisions rendues à titre préjudiciel par le juge de l’Union bénéficient de l’autorité de la chose jugée en ce sens que leur dispositif s’impose à la juridiction ayant procédé au renvoi qui devra trancher le différend selon l’interprétation donnée par la Cour de justice (CJCE, ord. 5 mars 1986, Handelsgesellschaft, aff. C-69/85, Rec. 947, § 13). Dont acte ! La chambre sociale reprend dans les motifs de cet arrêt rendu le 21 septembre 2011 le dispositif de la décision de la Cour de justice, ce qui la conduit à casser pour violation de la loi la décision des juges du fond qui bien qu’ayant constaté que le salarié avait exercé habituellement son activité en Belgique et que la société employeur n’y était pas établi et cotisait auprès de l’AGS avait mis l’institution française hors de cause alors qu’il résulte de l’interprétation délivrée par la Cour de justice que c’est cette dernière qui devait garantir les créances du salarié fixées au passif de l’employeur. L’arrêt présente pour l’essentiel un intérêt historique étant donné les modifications introduites par la directive de 2002. On retiendra toutefois que la Cour de cassation reprend dans les motifs de la décision, la faculté ouverte à la législation nationale de prévoir la possibilité pour le salarié de saisir l’une ou l’autre des institutions en fonction de leur niveau de protection et ce alors que la résolution du litige ne commandait pas directement cette précision. Il y a lieu de penser, que ce faisant, la haute juridiction entend indiquer sa volonté de consacrer une telle option au bénéfice du salarié détaché.
par L. Perrin