Le 17 décembre 2014, la chambre criminelle a rendu un arrêt relatif au contrôle de légalité des actes administratifs par le juge pénal. Dans l’affaire qui lui était soumise, quatre agriculteurs avaient importé d’Espagne des médicaments vétérinaires bénéficiant, dans ce pays mais pas en France, d’une autorisation de mise sur le marché et dont la composition et les effets les rapprochaient de produits autorisés sur le territoire national. Poursuivis pour importations de médicaments vétérinaires sans autorisation et importation sans déclaration de marchandises prohibées, ils sont condamnés en première instance à des peines d’amendes.
Devant les juges du fond, les prévenus soulevaient toutefois l’exception d’illégalité du décret n° 2005-558 du 27 mai 2005 relatif aux importations de médicaments vétérinaires, dont les dispositions (codifiées dans le code de la santé publique) étaient ici applicables. Au soutien de ce moyen, ils invoquaient notamment le fait que certaines dispositions du décret méconnaissaient, par des restrictions injustifiées à l’importation, les objectifs d’une directive européenne du 6 novembre 2001. L’exception d’illégalité invoquée est accueillie en première instance et les prévenus sont relaxés. La cour d’appel de Poitiers, dans un arrêt du 13 septembre 2013, rejette néanmoins l’exception d’illégalité soulevée par les prévenus au motif qu’un arrêt du Conseil d’État du 6 décembre 2006 s’était déjà prononcé sur le décret du 27 mai 2005 et n’en avait annulé qu’un article, le reste du texte ayant été maintenu au visa du traité instituant une communauté européenne (devenu depuis le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Dès lors, la cour d’appel considère que le décret de 2005 est opposable aux prévenus et retient leur culpabilité pour les faits qui leur sont reprochés. Ces derniers forment un pourvoi contre cette décision, arguant, d’une part, que l’article 111-5 du code pénal fait obligation au juge judiciaire d’examiner le bien-fondé d’une exception d’illégalité soulevée devant lui et, d’autre part, qu’en vertu de l’article 593 du code de procédure pénale, l’insuffisance de motivation équivalant à son absence, il revenait à la cour d’appel de motiver son refus d’examiner le bien-fondé de l’exception d’illégalité soulevée par les prévenus.
La chambre criminelle retient, en effet, qu’en vertu de l’article 111-5 du code pénal, il revenait à la cour d’appel d’examiner le bien-fondé de l’exception d’illégalité du décret du 27 mai 2005, fondement des poursuites. La haute juridiction ajoute que les juges du second degré ne pouvaient, sans violer l’article 593 du code de procédure pénale, laisser sans réponse les demandes de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne formulées par les prévenus. Elle casse et annule donc l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers dans toutes ses dispositions et renvoie la cause devant la cour d’appel de Bordeaux.
L’article 111-5 du code pénal prévoit, au profit des juridictions pénales, la compétence d’interpréter les actes administratifs pour en apprécier la légalité, lorsque de cet examen dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis. Dans cette optique, il est de jurisprudence constante qu’elles ne disposent pas du pouvoir d’annuler l’acte administratif qu’elles jugeraient illégal, compétence exclusive du juge administratif, mais seulement de celui d’en écarter l’application. La question qui se posait dans l’arrêt commenté prenait le problème en sens inverse : un acte déjà examiné par le juge administratif, dans le cadre d’un recours en annulation antérieur au procès pénal, peut-il faire de nouveau l’objet d’une exception d’illégalité devant le juge pénal et celui-ci est-il tenu d’examiner cette exception ? La cour d’appel ne semblait pas acquise à cette conception et refuser d’examiner l’exception d’illégalité soulevée en l’espèce par les prévenus. Pourtant, la chambre criminelle avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce point et avait jugé qu’il revenait au juge pénal d’examiner le bien-fondé de l’exception d’illégalité alors même que le juge administratif avait, antérieurement, rejeté l’illégalité de l’acte en question (Crim. 4 mars 1986, Bull. crim. n° 89). Et c’est bien ce que confirme ici la haute cour. Au demeurant, cette solution est d’autant plus logique que les moyens d’illégalité soulevés par les requérants à l’encontre du décret du 27 mai 2005 étaient différents de ceux soulevés par l’auteur du recours pour excès de pouvoir qui avait été examiné par le Conseil d’État dans son arrêt du 6 décembre 2006. La cour d’appel pouvait ainsi difficilement se fonder sur cette décision pour refuser l’examen de l’exception d’illégalité.
Par ailleurs, la chambre criminelle précise que la cour d’appel, en ne motivant pas son refus de renvoyer les questions préjudicielles posées par les requérants quant à l’interprétation des textes européens applicables à l’espèce, a privé sa décision de motivation au regard de l’article 593 du code de procédure pénale. Il est, en effet, de jurisprudence constante qu’il revient aux juges du fond de répondre aux conclusions des parties (V. par ex. Crim. 26 déc. 1960, Bull. crim. n° 612). En l’espèce, il s’agissait de trois questions préjudicielles portant sur l’interprétation du Traité sur le fonctionnement du droit de l’Union européenne et le droit dérivé. La chambre criminelle s’en tient donc à sa ligne jurisprudentielle en désapprouvant le silence des juges de la cour d’appel sur ces questions. Le fait qu’il s’agisse de questions préjudicielles à destination de la Cour de justice des Communautés européenne ne change rien à l’issue du problème. En effet, s’il est vrai qu’il n’est pas dans les habitudes de la chambre criminelle de transmettre de telles questions (trois seulement l’ont été depuis 1957, V. J. Boré, La chambre criminelle et le droit de l’Union : si loin, si proche, in S. Guinchard, J. Buisson (dir.), Les transformations de la justice pénale. Cycle de conférences 2013 à la Cour de cassation, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2013, p. 93, nos 3 s.), il n’en reste pas moins que les juridictions doivent motiver un tel refus de transmission, ce qui n’avait pas été fait en l’espèce par la cour d’appel.
par Sofian Anane le 5 février 2015 pour Dalloz actualités