En théorie, et pour mémoire, le service public d’incendie et de secours est gratuit, signifiant ainsi que les usagers du service public bénéficient de prestations sans contrepartie directe, puisque, de façon indirecte, ils y participent par le biais de l’impôt en tant que contribuable. Ainsi, lorsque des interventions des sapeurs-pompiers relèvent de l’urgence et que celles-ci sont effectuées dans le cadre des missions définies à l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), aucune contribution financière ne peut en principe être réclamée à leurs bénéficiaires. A cet égard, les dispositions de l’article L. 742-11 du code de la sécurité intérieure sont sans équivoque : « Les dépenses directement imputables aux opérations de secours au sens des dispositions de l’article L. 1424-2 du CGCT sont prises en charge par le SDIS. » Par ailleurs, la gratuité des secours a été rappelée par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 novembre 2007. Dans cette affaire, il a été jugé que les dépenses liées à l’intervention du SDIS pour éteindre un incendie – d’origine volontaire - dans une habitation privée devaient être prises en charge par le SDIS, car directement imputables à cette intervention effectuée dans le cadre des missions définies à l’article L. 1424-2 du CGCT. Enfin et pour être complet, l’extinction d’un incendie ne peut être considérée comme une activité non urgente au sens des dispositions de l’article L. 1424-42 du CGCT, et en principe, le SDIS ne peut demander une participation aux frais, étant précisé que celle-ci d’ailleurs ne pourrait être formulée qu’aux seules personnes bénéficiaires de l’intervention.
Par conséquent, la décision du Tribunal correctionnel de Versailles du 16 janvier 2014 peut paraître surprenante car, de prime abord, en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de Cassation et le principe de gratuité des secours. Cependant, dans un contexte où l’économie de moyens est désormais une réalité que les citoyens se doivent d’intégrer dans le but de préserver ledit principe, le Tribunal a accepté de faire œuvre prétorienne en recevant le SDIS des Yvelines dans sa constitution de partie civile et en consacrant le préjudice tiré de « la sollicitation abusive des secours » Il est à noter que le SDIS n’a pas déposé plainte, car celle-ci aurait été dénuée de fondement juridique, mais s’est simplement constitué partie civile, comme le permettent les dispositions des articles 418 et suivants du code de procédure pénale, dans le cadre des poursuites judiciaires engagées pour « Destruction du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes ».
A titre liminaire, le SDIS a rappelé dans ses conclusions de partie civile, et sans qu’un quelconque préjudice ne soit invoqué sur ce fondement, la dangerosité inhérente aux actions liées à l’extinction de l’incendie, ce type d’intervention comportant toujours un risque d’explosion du fait des composants et des fluides présents dans un véhicule. Ce rappel avait pour but d’accentuer le risque supplémentaire et injustifié ainsi généré pour les sapeurs-pompiers du fait de l’auteur d’un incendie volontaire. C’est ainsi le caractère volontaire de l’incendie, que l’on pourrait assimiler à une mise en danger volontaire de l’équipe de secours, qui rend ce risque inacceptable, et notamment par la collectivité.
Sur le préjudice proprement dit, le SDIS a fait valoir que celui-ci était purement financier et a procédé à la démonstration suivante. Le prévenu, par le caractère volontaire et délibéré de ses actes, a créé une situation d’urgence, caractérisant ainsi la « sollicitation abusive des secours », formule créée par le SDIS et qu’il a demandé expressément au Tribunal de retenir pour caractériser son préjudice. La sollicitation abusive des secours doit être différenciée de la sollicitation inutile des secours. En effet, la sollicitation inutile des secours désigne une infraction, visée et réprimée par l’article 322-14 du code pénal, qui consiste à divulguer une information fausse de nature à déclencher inutilement les moyens de secours. Pour sa part, la sollicitation abusive des secours désigne le préjudice financier du SDIS, résultant d’une intervention déclenchée volontairement par la commission d’une infraction, en l’espèce la destruction d’un bien par incendie.
Ce principe a le mérite d’opérer une prise de conscience devenue indispensable dans un contexte de crise économique où les deniers publics se font rares. Il faut comprendre, sur ce point, qu’il va dans le sens d’un renforcement du principe de gratuité car limiter les abus de sollicitation des secours revient à pérenniser et à garantir la mission de service public.
En outre, il est conforme au principe régissant la responsabilité délictuelle en vertu duquel toute personne causant à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le SDIS a ainsi fait valoir que, dès lors qu’il présente un caractère personnel, direct et certain, son préjudice doit pouvoir être réparé. En l’espèce, le préjudice du SDIS résultant des actes du prévenu, et non contestable, est le coût financier de l’intervention des sapeurs-pompiers. Afin de déterminer le montant de son préjudice et donner une base objective et quantifiable à sa prétention, le SDIS s’est référé au mode de calcul ainsi qu’au coût horaire d’un sapeur-pompier, tel qu’arrêtés par une délibération du Conseil d’administration du SDIS pour la facturation des interventions distinctes de l’urgence et de la nécessité publique en application des dispositions de l’article L. 1424-42 du CGCT. Il doit être précisé, et ceci afin d’éviter toute confusion, que le SDIS n’a pas fait application de cette délibération, dont les conditions de mise en œuvre ne s’appliquent pas au cas de l’espèce – l’extinction de l’incendie relève bien de l’urgence et de la nécessité publique -, mais n’a fait que transposer le dispositif de calcul pour chiffrer son préjudice en reprenant le coût horaire d’un sapeur-pompier, juridiquement et annuellement fixé par délibération de son Conseil d’administration. Ainsi le SDIS a produit au Tribunal, dans le cadre de sa constitution de partie civile, une facture d’un montant de 333 euros correspondant au montant de l’intervention des sapeurs-pompiers, avec un coût horaire d’un sapeur-pompier fixé à 55,50 euros au moment des faits de l’espèce.
Afin de garantir sa pérennité et le concilier avec le principe de la gratuité des secours, il est recommandé de cantonner ce dispositif aux seuls incendies volontaires, la prévention, la protection et la lutte contre les incendies constituant la mission première et exclusive des SDIS aux termes de l’article
L. 1424-2 du CGCT en son alinéa 1er.
Sur la participation aux frais d’intervention, des précédents existent. L’article 2-7 du code de procédure pénale prévoit qu’en cas de poursuites pénales pour incendie volontaire commis dans les bois, forêts, landes, maquis, garrigues, plantations ou reboisements, les personnes morales de droit public peuvent se constituer partie civile devant la juridiction de jugement en vue d’obtenir le remboursement, par le condamné, des frais qu’elles ont exposées pour lutter contre l’incendie. A la lecture des dispositions de cet article rapportées aux faits de l’espèce, le SDIS des Yvelines a demandé, de fait, l’extension de l’application de cet article à tout type d’incendie volontaire, dès lors que le préjudice est caractérisé au sens du droit civil. Selon le montant réclamé, le juge pénal devrait apprécier au cas par cas, en fonction des capacités financières du prévenu et de la proportionnalité des moyens engagés,
s’il accorde tout ou partie des dommages et intérêts au SDIS, partie civile.