Le très attendu jugement relatif au décès par noyade de 29 habitants de la commune de la Faute-Sur-Mer après le passage de la tempête Xynthia dans la nuit du 27 au 28 février 2010 a été rendu le 12 décembre dernier par le Tribunal des Sables-d’Olonne. Les lignes qui suivent n’ont certainement pas la prétention de commenter de manière exhaustive et technique les 314 pages dudit jugement, mais de permettre au lecteur de recueillir quelques clés de compréhension de cette sentence.
Deux élus ont été condamnés à des peines d’emprisonnement sans sursis : le maire de l’époque et son ancienne adjointe à l’urbanisme ont été condamnés respectivement à quatre et deux ans de prison ferme. Le fils de ladite adjointe, président de l’association propriétaire de la digue Est qui a cédé lors du passage de la tempête, a été condamné à 18 mois d’emprisonnement ferme également. La SARL Technique d’Aujourd’hui (TDA), a, quant à elle été condamnée, en tant que personne morale, à une peine d’amende de 30 000 euros.
L’homicide involontaire (article 221-6 du code pénal) et la mise en danger de la personne d’autrui (article 121-3 du code pénal) sont les deux infractions non intentionnelles qui ont conduit à ces condamnations.
Les conclusions générales du Tribunal correctionnel des Sables-d’Olonne (pp. 178-181 du jugement) donnent une idée des cinq semaines d’audience qui ont conduit à ces condamnations dont on sent, de la part du juge pénal, l’intention à la fois dissuasive à l’égard des premiers magistrats de nos communes que sont les maires, et compassionnelle à l’égard des victimes, (sur le courant victimaire et compassionnel de la justice v. notamment D. Salas, La volonté de punir, éd. Fayard/Pluriel, 2010 ; C. Eliacheff et D. Soulez-Larivière, Le temps des victimes, éc. Albin Michel, 2007).
Sur le plan de la réparation des préjudices subis, les fautes commises par le maire, son adjointe et son fils ont été considérées par le juge pénal comme détachables du service. Il a ainsi reconnu sa compétence (et non celle du tribunal administratif) pour statuer sur la réparation des préjudices découlant des infractions retenues. La plupart des constitutions de partie civile ont été déclarées recevables. Le Tribunal correctionnel a ainsi condamné les prévenus à réparer au civil les préjudices subis par deux associations de victimes, treize familles de victimes décédées et vingt-deux familles de victimes mises en danger, soit près de 120 personnes.
1. De l’emprisonnement ferme
Jamais jusqu’à ce jugement correctionnel, un maire n’avait, à notre connaissance, été condamné à de la prison ferme. Le sursis et les peines d’amendes sont généralement privilégiés notamment concernant les cas de délit d’avantage injustifié, infraction qui est venue compléter l'arsenal répressif applicable en matière de dévolution de marchés publics.
La peine prononcée contre l'ex-maire est supérieure à celle demandée par le procureur de la République qui avait notamment requis quatre ans d’emprisonnement dont trois ferme et 30 000 euros d’amende contre le maire, et trois ans dont deux ferme et 50 000 euros d’amende contre l’adjointe.
Ces peines, sévères, interpellent. Il ne s’agira pas ici d’expliquer le pourquoi de ces sanctions mais de montrer comment le juge a procédé pour répondre à la question : les prévenus auraient-ils pu éviter ce drame ?
Longtemps à vocation agricole, le territoire de la Faute-sur-Mer s’est progressivement urbanisé à partir des années 1970 avec le développement du tourisme balnéaire. La digue Est, dont l’altimétrie n’était pas homogène, est la propriété de l’association syndicale des Chaveau chargée d’en assurer la surveillance. La Plan de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI) élaboré en 2002 par un bureau d’études à la demande des services de l’Etat avait relevé un double scénario identifié et circonscrit : la rupture mais aussi la surverse de la digue en secteur Sud.
Les prévenus ont été poursuivis pour des manquements à l’occasion du passage de la tempête, c’est-à-dire pendant la gestion de crise elle-même.
Celui-ci a été relaxé.
Un arrêté préfectoral du 7 juillet 2005 a ainsi classé la digue Est comme intéressant la sécurité civile dont le risque d’inondation concernait de larges zones occupées par des habitations derrière celle-ci. Il a rendu obligatoire dans le délai d’un an un diagnostic approfondi de l’ouvrage permettant d’en apprécier les défauts et de définir les travaux nécessaires. Le diagnostic réalisé en juillet 2006 était alarmant. Les diagnostics qui se sont succédés depuis l’ont été tout autant. Les travaux de rehaussement, coûteux, posaient des problèmes d’emprise sur des propriétés privées d’un côté et le refus de la préfecture d’un empiètement sur le domaine public de l’autre. Finalement, seule une partie des travaux a été autorisée, laquelle a commencé le 4 février 2010, soit deux semaines avant le passage de la tempête.
Le Tribunal correctionnel a rappelé en outre que, dès le décret du 11 octobre 1990 relatif à l’exercice du droit à l’information sur les risques majeurs, le citoyen s’est vu reconnaitre le droit et donc la possibilité d’être renseigné sur les risques naturels et technologiques susceptibles de se développer sur les lieux de vie , de travail et de vacances. L’article L. 125-2 du code de l’environnement étend l’information aux mesures de sauvegarde à mettre en œuvre. Par plusieurs courriers, en 2007 et en 2008, le préfet a rappelé au maire de la Faute-Sur-Mer, son obligation d’information notamment au travers du Dossier d’Information Communal sur les Risques Majeurs (DICRIM). Des plaquettes grand public d’information sur les fragilités des digues, conçues et reproduites par l’Etat ont même été adressées au maire qui ne les a pas faites distribuer. Il n’a pas non plus organisé de réunion publique d’information, comme la loi « Bachelot » du 30 juillet 2003 l’obligeait à le faire.
Si le maire n’avait pas d’obligation légale d’établir un Plan Communal de Sauvegarde puisque sa commune n’était pas dotée d’un PPRI approuvé à l’époque (loi du 13 août 2004), l’intérêt opérationnel que présente ce dispositif a été avancé par les services de l’Etat à plusieurs reprises auprès du maire. Toutefois le maire n’a pas élaboré ce PCS et cela a été retenu par le juge pénal.
Enfin, un diagnostic de vulnérabilité a été proposé par la préfecture à la mairie en novembre 2007, dont le coût devait être financé pour moitié par l’Etat. La mairie n’a pas engagé les procédures nécessaires pour l’appel d’offre et en 2009 la DDE rappelait au maire que les crédits de subvention obtenus demeuraient toujours inutilisés dans ses services.
L’inaction générale du maire, élus alors depuis trois mandats successifs, en pleine connaissance des risques encourus par les habitants de la sa commune, est relevée à plusieurs reprises dans la décision.
Initialement le procureur a proposé de qualifier ces faits de violations d’obligations particulières de sécurité prévues par la loi et le règlement. Le Tribunal correctionnel a requalifié ces faits en fautes caractérisées exposant autrui à un risque que le prévenu ne pouvait pas ignorer s’agissant :
- des défauts d’information générale des habitants depuis le 29 novembre 2001 sur le risque d’inondation
- du défaut d’information sur le risque d’inondation et sur l’alerte météorologique le 27 février 2010,
- de l’absence d’établissement de diagnostic de vulnérabilité,
- des défauts de plan de de secours et de plan communal de sauvegarde
Cette requalification montre bien que le maire, dont on a attiré l’attention sur la gravité du danger pour sa population avant que la catastrophe n’ait eu lieu, ne pouvait – et ne devait – pas ignorer ce risque. Il n’ignorait pas non plus les défauts d’information et d’organisation des secours et de sauvegarde énumérés ci-dessus (et que l’on trouve en synthèse dans le dispositif du jugement). Au vu de ces circonstances et de ses fonctions, son abstention face au danger a été alors considérée comme grave et constitutive d’une faute caractérisée.
Le juge a ainsi reconnu l’ex-maire coupable des faits de :
- mise en danger d’autrui (risque immédiat de mort ou d’infirmité) par violation manifestement délibérée d’une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence du 27 au 28 février 2010 à la Faute-Sur-Mer.
- homicide involontaire et homicide involontaire par violations manifestement délibérées d’une obligation de sécurité ou de prudence commis dans la nuit du 27 au 28 février 2010.
Le maire a été condamné à 4 ans d’emprisonnement. Il a fait appel de ce jugement.
Premièrement, le défaut de surveillance efficace permanent de la digue Est. Les faiblesses de la digue étaient avérées depuis 2001. En 2004, la SARL immobilière dont le gérant n’est autre que le président de l’association des Chaveau, fait réaliser un diagnostic géotechnique de la digue Est pour construire le lotissement « les Voiliers » à proximité de la digue. Cette étude a conclu à la nécessité de rehausser la digue eu égard à l’urbanisation envisagée et de surveiller régulièrement cet ouvrage. Le programme de surveillance régulière proposé par un bureau d’étude n’a pas été correctement respecté, le président de l’ASA des Chaveau ayant reconnu qu’il avait sous-estimé l’ampleur de la tempête.
Deuxièmement, il lui est reproché d’avoir commis une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, en n'ayant pas organisé de dispositif de surveillance efficace permanent de la digue malgré la connaissance du peu de fiabilité de celle-ci qu'il avait, en violation des articles R.214-122, R.214-123, R.214-125, R.214-141 et suivants du Code de l'environnement.
Le président de l’ASA des Chaveau a été reconnu coupable pour les faits de :
- mise en danger d’autrui (risque immédiat de mort ou d’infirmité) par violation manifestement délibérée d’une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence du 27 au 28 février 2010 à la Faute-Sur-Mer.
- mise en danger d’autrui (risque immédiat de mort ou d’infirmité) par violation manifestement délibérée d’une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence du 27 au 28 février 2010 à la Faute-Sur-Mer.
Il a été condamné à 18 mois de prison ferme et a fait appel de ce jugement.
En plus des premiers, deux autres prévenus ont été poursuivis pour des manquements concernant la prévention des risques d’inondation, soit sur les permis de construire et la construction même d’habitations qui ont été inondées.
Les permis de construire accordés par le maire et son adjointe « dans la zone endeuillée, à partir du moment où le risque de submersion a été connu, sont à l'origine de neuf décès. Les vingt autres morts sont des personnes habitant dans ce secteur depuis quelquefois des décennies, bien avant qu'on ne parle de PPRI, de SDAGE, ou d'Atlas de submersion marine », peut-on relever dans le jugement.
Un problème au niveau de la cote altimétrique du plancher de l’étage habitable de deux lotissements qui ont été inondés a été relevé par les services instructeur de la DDE. Ils ont préconisé l’utilisation de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme dans le cadre de l’instruction des permis de construire : « Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ». Il n’est pas contesté que cette cote était connue du maire et de son adjointe à l’urbanisme depuis une réunion de mars 2003. Si des erreurs ont été commises par les services de l’Etat, elles ont également été portées à la connaissance du maire et de son adjointe qui ont autorisé la construction d’habitations en zone rouge. Le pouvoir de décision que les élus détiennent au titre de leurs pouvoirs de police engage leur responsabilité. Ainsi l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction a retenu que les manquements des services instructeurs auraient pu revêtir une qualification pénale si ceux-ci avaient eu un pouvoir de décision dans la délivrance de quinze permis de construire, ce qui n’est pas le cas. En outre, les fonctionnaires de ces services n’ayant jamais participé aux négociations sur le PPRI, n’avaient pas eu à leur disposition les documents sur l’altimétrie des lotissements et n’avaient pas reçu, « même si cela était regrettable », relève le Tribunal, de formation sur ces sujets.
Il lui a également été reproché d’avoir donné en location une maison située en zone rouge, en violation de la prescription de sécurité figurant dans le permis de construire (dont elle n’avait pas été signataire dans ce cas) et ainsi, d’avoir commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque qu’elle ne pouvait pas ignorer.
Première adjointe au maire durant trois mandats, au conseil municipal depuis 1989, en charge d'une manière exclusive des questions d'urbanisme en sa qualité de présidente de la commission ad hoc, elle a été associée à plusieurs réunions sur le thème du risque naturel. En outre, elle était propriétaire avec ses fils de plusieurs terrains constructibles dans cette zone dangereuse, et lotisseur avec eux de ces mêmes parcelles, ce qui a accentué encore sa connaissance du risque à l'occasion de ces projets. Divers éléments tirés du dossier rendent incontestable cette connaissance.
Elle a été déclarée coupable des faits qui lui étaient reprochés et a été condamnée à deux ans de prison et 75 000 euros d’amende. Elle a fait appel de ce jugement.
Ø La SARL Technique d'Aujourd'hui (TDA) et la SARL Les Constructions d'Aujourd'hui (CDA) (sous-traitante de la première société) se sont vues reprocher le fait de n’avoir pas suffisamment poussé leurs recherches pour connaître la cote nécessaire à la construction du premier étage d’une habitation qui a été inondée. Ainsi la prescription de sécurité du permis de construire obtenu le 21 décembre 2007 n'a pas été respectée par la société TDA, chargée par le propriétaire de concevoir les plans de la maison, de déposer la demande de permis de construire, et d'exécuter la totalité des travaux de construction. Malgré ses appels à la mairie de La Faute-sur-Mer et à la DDE, la société TDA n'ayant pas obtenu de réponse, avait alors convenu avec son sous-traitant, qu'à défaut, ils déposeraient les demandes de permis comme à l'accoutumée, et que la DDE saurait bien décider de la conformité ou non du projet aux règles d'urbanisme et au PPRI. Le tribunal correctionnel a considéré que le respect de la prescription contenue dans le permis de construire du 21 décembre 2007, en admettant que le propriétaire ait persisté dans son projet d'installation à cet endroit une fois informé de la difficulté, l'aurait conduit à faire surélever son habitation, dont le premier étage de vie serait resté hors d'eau le 28 février 2010. Le lien de causalité entre la négligence de la société TDA et le décès des quatre membres de la famille habitant cette maison est, selon le juge, certain.
En application de l'article 121-3 du Code pénal, toute faute simple est susceptible d'entraîner la responsabilité pénale des personnes morales lorsque celle-ci est à l'origine d'un homicide involontaire, même dans l'hypothèse où cette faute a seulement créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage. Cette faute est seulement le fait de la société TDA, constructeur, qui a réalisé les plans, déposé la demande de permis de construire, dirigé les travaux, et connaissait la nature de la prescription de sécurité.
La société CDA, simple exécutant, a été en conséquence relaxée.
La société TDA a été reconnue coupable pour les faits de :
- mise en danger d’autrui (risque immédiat de mort ou d’infirmité) par violation manifestement délibérée d’une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence du 27 au 28 février 2010 à la Faute-Sur-Mer.
- mise en danger d’autrui (risque immédiat de mort ou d’infirmité) par violation manifestement délibérée d’une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence du 27 au 28 février 2010 à la Faute-Sur-Mer.
La société TDA a été condamnée à 30 000 euros d’amende.
Au final, l’ex-maire a été reconnu coupable de 19 homicides involontaires et d’avoir mis en danger 26 familles ; l’ex-adjointe à l’urbanisme a été reconnue coupable de 6 homicides involontaires et d’avoir mis en danger 11 familles ; son fils et président de l’ASA propriétaire de la digue a été reconnu coupable de 19 homicides involontaires et d’avoir mis en danger 26 familles et la SARL TDA a été reconnue coupable de 4 homicides involontaires et d’avoir mis en danger 1 famille.
2. La réparation au civil
Des demandes de réparation ad hominem
Le tribunal correctionnel s’est reconnu compétent pour connaître de la réparation des préjudices demandés par les parties civiles au maire et à son adjointe, ainsi qu’au président de l’ASA des Chaveau exerçant une mission de service public. Il a en effet qualifié leurs fautes de personnelles et non détachables du service en retenant que la rétention de l’information par le maire et son adjointe était notamment dolosive et que le président de l’ASA s’est soustrait volontairement à l'exécution loyale et entière des obligations de surveillance lui incombant.
Dans le cas où, comme en l'espèce, la faute a été commise par l'agent public à l'occasion de ses fonctions, il convient, pour déterminer si elle est de service ou personnelle, de considérer sa gravité et les mobiles ayant animé son auteur, les deux critères se combinant. Selon une jurisprudence convergente du Tribunal des conflits, de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat, une faute inexcusable ou d'une particulière gravité commise pour la satisfaction d'un intérêt personnel est sans nul doute une faute personnelle.
Il convient cependant de rappeler ici, que la circonstance qu’une faute soit constitutive d’une infraction pénale ne lui confère pas nécessairement un caractère de gravité tel qu’elle doive être automatiquement qualifiée de personnelle. La distinction entre répression pénale et faute personnelle a été dégagée par le Tribunal des conflits depuis un arrêt Thépaz de 1935, que l’infraction commise ait été non-intentionnelle (TC. 27 mai 1980, Bekkat) ou intentionnelle.
En pratique, lorsqu’un délit suppose un dol spécial (intention de nuire ou de porter une atteinte à un intérêt protégé), la qualification s’impose comme en cas de violence (par. Ex. TC 21 déc. 1987, Kessler), d’atteinte à la vie privée (Crim. 30 sept. 2008, B., n°197, aff. dite des écoutes de l’Elysée), faux et complicité d'escroquerie (Crim. 28 mai 2008, n° 06-80.203, faits commis par un agent municipal), détournement de fonds publics (Crim. 4 juin 2009, n° 08-86-116, faits commis par un maire), favoritisme (Crim. 7 nov. 2012, B. n° 243, ibid) ou encore de harcèlement moral (Crim. 28 janv. 2014, n° 12-81.328).
Cela dit, quand bien même la faute serait qualifiée de personnelle, la compétence du juge administratif n’est pas pour autant exclue. Ainsi, depuis les arrêts Lemonnier de 1918 et Mimeur de 1949, les juridictions administratives demeurent concurremment compétentes même en cas de faute personnelle, pour connaître de la demande de réparation dirigée contre la personne publique lorsque la faute n'est pas dépourvue de tout lien avec le service. Pour le juge civile ou pénal, cette question est indifférente car, pour apprécier la compétence de l'ordre judiciaire, il a uniquement à déterminer si la faute de l'agent est une faute personnelle détachable du service, peu important qu'elle soit ou non dépourvue de tout lien avec celui-ci ainsi que l'a rappelé la Chambre criminelle dans une formule de principe (Crim. 14 juin 2005, B. n° 178).
Dans la jurisprudence du Conseil d’État la notion de lien avec le service est entendue de manière très large en conformité avec la raison d’être de cette construction jurisprudentielle qui est de favoriser la mise en cause de l’administration pour que la victime de la faute personnelle d’un agent public puisse se retourner contre un débiteur solvable.
Ainsi, nombres d’affaires (faux et escroquerie aggravée par exemple : CE 6 juin 2012, Soc. Surcouf, n°342557) montrent que la gravité ne suffit pas à elle seule à établir l’absence de tout lien avec le service.
En somme, si les victimes de la Faute-sur Mer avaient introduit un recours en réparation par la commune de leur préjudice devant le tribunal administratif de Nantes, ce dernier l’aurait sans-doute jugé recevable. En outre, les demandes indemnitaires auraient peut-être été davantage satisfaites. Il reste à espérer pour les victimes que les condamnés soient bien assurés…
Des préjudices évalués relativement bas et des réparations quasi forfaitaires
A côté des préjudices matériels (concernant les associations de victimes), corporels (qui n’ont pas toujours été retenus), de la perte de gains professionnels actuels et futurs et de la perte de revenus, trois types de préjudices moraux ont été retenus par le Tribunal correctionnel : les souffrances morales dues à la perte d’un être cher et aux circonstances particulières du décès pouvant aggraver ce préjudice, le préjudice d’angoisse de mort et le préjudice moral en lien avec la mise en danger de la personne d’autrui. Les auteurs des infractions qui ont causé ces préjudices ont été condamnés de manière solidaire.
S’agissant des préjudices moraux liés aux homicides volontaires, le Tribunal correctionnel les a liquidés aux environs de 10 à 20% des montants demandés (de 60 000 à 400 000 euros) par les parties civiles et vont de 4 000 à 110 000 euros en fonction des liens de parentés et des circonstances des décès.
Concernant les préjudices moraux en lien avec la mise en danger de la personne d'autrui, les demandes ont été moindres et les liquidations aussi : elles vont de 8 à 15% environ des sollicitations. Le jugement indique que ce préjudice s'apprécie en fonction de la potentialité de réalisation du risque susceptible d'entraîner ou non le décès, ou de graves blessures sur les personnes. Afin d'apprécier cette potentialité de réalisation du risque, le juge a ainsi tenu compte du fait de savoir si ces personnes résidaient de manière permanente ou temporaire sur le territoire de la commune de La Faute-sur-Mer ainsi que du fait de savoir si ces personnes ont été présentes sur le territoire de la commune de La Faute-sur-Mer, lors du passage de la tempête Xynthia, et si elles ont été ou non sinistrées durant cette catastrophe.
Le préjudice d’angoisse de mort retiendra particulièrement l’attention. Le jugement explique qu’il s’agit de ce qu’a éprouvé la personne exposée à un risque vital, provoquant la conscience d'une mort imminente et inéluctable. Ce préjudice spécifique et exceptionnel ne peut se confondre avec le préjudice moral d'affection, dès lors qu'il est ressenti par la personne qui va mourir et non par ses ayants droit.
Le droit à réparation de ce préjudice – parfois appelé préjudice de vie abrégée, (Cass. crim., 23 oct. 2012, n° 11-83.770) – enduré par la victime, entre la survenue du fait dommageable et son décès, est né dans son patrimoine et se transmet, dès lors, à ses ayants droit au titre de leur vocation successorale et dont ils sont bien fondés à solliciter l'indemnisation. Ce droit à réparation se transmet donc aux héritiers. Ce genre nouveau de demande de réparation tend à se développer ces dernières années devant les tribunaux pénaux dans des affaires où se mêlent préjudice d'angoisse face à la mort, perte de chance de vie et perte d'espérance de vie (V. L. Bloch. comm. sous Cass. Crim., 26 mars 2013, n° 12-82.600).
Les rapports médico-légaux ont montré que la mort a été provoquée par un syndrome asphyxique compatible avec une noyade. Le préjudice d'angoisse de mort tient au piège qu'ont constitué les habitations dans lesquelles résidaient les victimes et dont elles ne pouvaient s'extraire. Surprises, pour la plupart d'entre elles, dans leur sommeil, elles n'ont pu que constater, impuissantes, la brusque montée des eaux dans leur habitation, dans l'obscurité, à très faible température, ce qui les a contraintes à prendre conscience de leur mort imminente et inéluctable.
Le Tribunal correctionnel a reconnu le caractère direct et certain de ce préjudice subi par l’ensemble des personnes disparues lors du passage de la tempête et a condamné les auteurs des infractions en cause, à payer aux héritiers de chacun des défunts la somme de 35 000 euros quelle que soit la somme demandée.