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Retour sur le remboursement des frais exposés par les SDIS en cas de pollution de l’eau

Nom de l'expert
FLAMENT
Prénom de l'expert
Benoît
Fonction de l'expert
Responsable Juridique SDIS 22
Chapo du commentaire
Note sous TA ROUEN 3 mai 2011 RG 1001337
Texte du commentaire

Les frais occasionnés par les opérations de dépollution sont souvent relativement importants. Ils sont en effet, par nature, consommateurs de matériels, de temps et de personnels.

 

L’inclinaison naturelle, face à de tels sinistres, est alors de tenter d’obtenir le remboursement des frais inhérents à l’intervention pour les SDIS.

 

Pour autant, la jurisprudence ne l’a pas toujours entendu de la sorte, tentant de concilier deux intérêts antagonistes : la gratuité des secours et le principe pollueur payeur.

 

Jusqu’à présent, le droit pour le SDIS de demander le remboursement des frais exposés était, dans ce type de procédure, encadré notamment par une décision de la CAA de NANTES du 17 février 2004.

 

A cette occasion, il avait été jugé que « le service départemental d’incendie et de secours doit supporter la charge de l’intervention des sapeurs-pompiers lors ces derniers exercent, dans l’intérêt général, les missions dont ils sont investis, en vue, notamment, de la protection des personnes, des biens et de l’environnement. En revanche, il est fondé à poursuivre le remboursement des frais exposés pour les prestations particulières qui ne relèvent pas de la nécessité publique ».

 

Les lois de Rolland l’emportaient ainsi sur le comportement irresponsable de certains dès lors que l’étendue de la pollution occasionnée dépassait leur seule propriété.

 

L’arrêt semblait ainsi interdire aux SDIS de recouvrer les sommes engagées pour réparer la légèreté blâmable de certains pollueurs. La seule exception ouverte par cet arrêt était que le SDIS soit intervenu hors de ses missions premières, à l’instar de ce que beaucoup font en matière d’hyménoptères. Il fallait donc, en matière de pollution, que l’intervention ait lieu chez le pollueur, sans risque de propagation à l’extérieur, avec des produits non toxiques pour les tiers… impossible !

 

Cette situation aboutissait à des circonstances relativement disparates. Alors que les SDIS pouvaient difficilement obtenir le remboursement de leurs dépenses à l’encontre du pollueur, la loi 2006-1772 modifiait l’article L.211-5 du Code de l’Environnement pour autoriser le recouvrement des sommes exposées par les personnes morales de droit public intervenues lors de pollutions de l’eau.

 

Une décision intervenue récemment semble infléchir ce principe.

 

 

Le 22 février 2010 les époux X vont solliciter l’intervention des sapeurs-pompiers afin de faire cesser la pollution d’une mare par du fuel provenant de leur propriété. Cette mare menaçait de s’écouler dans un ru situé en contrebas.

 

L’intervention dépassait le seul cadre privé et la jurisprudence alors connue laissait à la charge du SDIS les frais d’intervention.

 

Pour autant, ce dernier va émettre un titre exécutoire, presque immédiatement contesté devant le Tribunal Administratif par les époux X.

 

Le Tribunal, écartant l’un après l’autre les différents arguments des demandeurs, va faire évoluer la jurisprudence instaurée par la CAA de NANTES, s’y référant parfois, s’en éloignant ou la complétant dans d’autres cas.

 

 

A l’appui de leur contestation, les requérants demandaient tout d’abord l’annulation du titre exécutoire émis par le SDIS sur la base d’un vice du consentement.

 

Ils prétendaient ainsi que, dans la mesure où le SDIS n’était pas intervenu dans le cadre de ses missions de service public définies à l’article L.1424-2 du CGCT ceci aurait fait naitre entre les parties une relation contractuelle.

 

L’argument était osé et n’a pas été retenu par le Tribunal Administratif.

 

L’article L.1424-42 du CGCT n’a pas pour effet de faire naître un contrat entre les parties, sauf dans le cas particulier de ses alinéas 6 et 7.

 

Il confère uniquement aux SDIS le droit de demander une participation au frais de la part des bénéficiaires lorsqu’ils interviennent hors de leur cadre naturel (pour la notion de bénéficiaire voir Concl. SHMERBER sous CAA LYON 14 décembre 2010 AJDA 25 avril 2011 p. 850).

 

La participation aux frais a ainsi une vocation indemnitaire et non contractuelle.

 

Les époux X. contestaient ensuite la légalité du titre exécutoire en s’appuyant sur la jurisprudence de la CAA de NANTES.

 

Le Tribunal Administratif, loin d’oublier cette dernière, va rétablir un juste balancier entre la gratuité des secours et le principe pollueur-payeur.

 

Pour ce faire, le Tribunal va reprendre le principe énoncé dans l’arrêt précédant, et l’amender à la lumière des dispositions nouvelles de l’article L.211-5 du Code de l’Environnement.

 

Il est ainsi confirmé tout d’abord que :

 

« les services départementaux d'incendie et de secours doivent supporter la charge de l'intervention des sapeurs-pompiers lorsque ces derniers exercent, dans l'intérêt général, les missions dont ils sont investis en vue, notamment, de la protection des personnes, des biens et de l'environnement ; qu'en revanche, ils sont fondés à poursuivre le remboursement des frais exposés pour les prestations particulières qui ne relèvent pas de la nécessité publique »

 

Cette première partie de la motivation est presque la reprise littérale de la décision rendue par la Cour Administrative d’Appel de NANTES, et dont l’issue avait été défavorable aux SDIS.

 

S’il n’est en effet pas contestable qu’aux visas des articles L.1424-2, L.1424-42 et L.2212-2 du CGCT certaines opérations comme les désincarcérations d’ascenseurs sans personnes blessées servent un intérêt particulier (CAA LYON 14 décembre 2010 req. 09LY03001), rien ne permet de se positionner pour les pollutions de l’eau.

 

C’est donc empreint de sagesse que le Tribunal va également faire référence aux dispositions de l’article L.211-5 du Code de l’Environnement qui dispose, à propos des pollutions aquatiques, que « les personnes morales de droit public intervenues matériellement ou financièrement ont droit au remboursement, par la ou les personnes responsables à qui incombe la responsabilité de l'incident ou de l'accident, des frais exposés par elles ».

 

Ces dispositions ne s’opposent pas aux précédentes mais se complètent selon le Tribunal. Introduites en 2006 dans notre droit positif, la CAA de NANTES pouvait légitimement les ignorer lors de son délibéré mais pas le Tribunal Administratif de ROUEN.

 

C’est pourquoi il complète son considérant initial en rajoutant aux seules missions d’intérêt particulier un second type de possibilités pour le remboursement de frais : le recours contre les personnes responsables de sinistres ayant nécessité des interventions destinées à palier un risque de pollution de l’eau ou à lutter contre ses effets.

 

Loin d’être un revirement jurisprudentiel, cette décision complète en tous points celle précédemment rendues, tirant les conséquences des évolutions législatives.

 

Il semble d’ailleurs que l’article L.1424-42 du CGCT soit moins visé ici comme la base légale au recouvrement que comme le texte autorisant le SDIS à déroger au principe de gratuité de ses missions sous différentes conditions alternatives.

 

Tirant les conséquences de son analyse, le Tribunal Administratif de ROUEN a ainsi validé le titre exécutoire dans son principe.

 

Pour autant, le combat n’était pas encore fini.

 

 

Subsidiairement, les requérants demandaient au Tribunal une réduction du montant de la créance à la somme de 444,31 €.

 

A l’appui de cette demande, le requérant semblait invoquer l’engagement de moyens disproportionnés par le SDIS afin de traiter cette intervention.

 

Le Tribunal a logiquement rejeté cette demande après s’être livré à une évaluation des moyens.

 

Cette dernière motivation peut toutefois être regrettée dans la mesure où elle vient troubler la clarté de son analyse précédente.

 

Dans le cadre d’un recours exercé sur le fondement de l’article L.1424-42 du CGCT, visant à demander au bénéficiaire de l’opération une participation aux frais des secours, un contrôle de proportionnalité du Juge Administratif sur la créance du SDIS semblait logique.

 

Toutefois, l’article L.211-5 du Code de l’Environnement n’ouvre pas la possibilité à de telles modulations dans la mesure où ce dernier prévoit un principe non pas de participation mais de remboursement. Dès lors que les conditions d’ouverture de l’article L.211-5 du Code de l’Environnement étaient réunies, la prise en charge de la totalité des frais de secours s’imposait.

 

Cette décision a malgré tout le mérite de clore une période d’incertitude relative aux remboursements de frais exposés par les SDIS afin de lutter contre des pollutions de l’eau.

 

Malgré la clarté de ses considérants et la faiblesse des contentieux, il faut toutefois garder de présent à l’esprit que cette décision émane d’une juridiction de première instance. Compte tenu de son faible intérêt litigieux, il peut probable qu’elle fasse l’objet d’un recours.

 

Un point reste également en suspens.

 

L’application du principe pollueur-payeur, introduit dans notre droit positif par la Loi sur l’eau de 2006, a été depuis étendu à l’ensemble des pollutions y compris terrestres.

 

Les Tribunaux en resteront-ils à cette seule application ou, à l’avenir, incluront ils dans le champ des opérations payantes l’ensemble des opérations de lutte contre les pollutions.

 

Le principe général du pollueur-payeur désormais codifié à l’article L.110-1 I.3° du Code de l’Environnement semble y inviter les Tribunaux.

 

Encore faudra-t-il qu’ils aient à se prononcer sur des frais inhérents à des opérations de dépollution postérieures au 12 juillet 2010…

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