Présentation :
Il existe une variété de produits phytopharmaceutiques destinés à tuer certaines espèces végétales et animales ; les plus répandus sont les herbicides, les insecticides et les fongicides.
Les travaux scientifiques actuels ont démontré la nocivité de ces produits chimiques tant sur le plan de la santé que sur celui de l’environnement.
A ce titre, une réglementation à la fois nationale et européenne encadre l’usage des pesticides.
Récemment, plusieurs maires ont décidé d’aller plus loin en adoptant un arrêté dit « anti-pesticides » lequel vise à instaurer une distance minimale de sécurité à 100 mètres, voire 150 mètres entre les champs traités et les habitations.
Sans rentrer dans les débats de société, l’épandage de produits phytopharmaceutiques engendre un certain nombre de litiges avec des questions récurrentes : la légalité des arrêtés, la compétence du maire en matière de police générale, la responsabilité civile des particuliers qui ont recours à ces produits, le principe de précaution ou encore la reconnaissance d’une maladie professionnelle.
La sélection de jugements et d’arrêts visent à présenter l’état jurisprudentiel des juridictions administratives et judiciaires en la matière.
A travers ces décisions, une difficulté apparaît très clairement, celle pour la personne se disant victime des effets des pesticides d’établir la preuve du lien de causalité.
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LÉGALITÉ ADMINISTRATIVE
Acte administratif
Arrêté interministériel
Trois associations environnementales ont contesté devant le juge administratif la légalité de l’arrêté interministériel du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques au regard des normes européennes et nationales.
Le juge de l’excès de pouvoirs a jugé que l’arrêté attaqué était entaché de plusieurs irrégularités.
Le juge a tout d’abord constaté que l’arrêté ne prévoit aucun délai pour revenir sur une zone dénuée de végétation mais contaminée par l’utilisation de produits phytopharmaceutiques.
De même, aucune mesure n’a été organisée en vue de protéger la santé des travailleurs agricoles et de manière générale de toutes personnes ayant accès aux zones traitées.
Ensuite, le juge de l’excès de pouvoirs a remarqué que la restriction en matière d’application de produits phytopharmaceutiques par pulvérisation ou poudrage ne s’étendait pas à l’utilisation d’autres techniques telles que l’épandage de granulés ou poudrage alors que ces « méthodes sont susceptibles d’induire un risque de pollution des eaux de surface hors sites traités ».
Enfin, ni les dispositions législatives, ni les dispositions réglementaires ne permettent de prendre les « mesures précises d’interdiction ou de limitation de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques destinées à éviter ou réduire le risque de pollution par ruissellement en cas de forte pluviosité ».
Pour toutes ces raisons, le juge a considéré que le justiciable était fondé à contester la régularité de l’arrêté ; il a prononcé l’annulation dudit texte avec injonction d’en rédiger un nouveau dans le délai de six mois à compter de la notification de la décision.
Des associations environnementales ont saisi d’urgence le juge des référés du Conseil d’État afin d’obtenir la suspension de l’exécution de l’arrêté du 23 décembre 2013 des ministres des affaires sociales et de la santé, de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Cet arrêté autorisait des dérogations au principe de l’interdiction de l’épandage de produits phytopharmaceutiques par voie aérienne.
Le juge des référés a rappelé les dispositions en la matière. Ainsi, aux termes des dispositions de l’article 9 de la directive 2009/128/CE du Parlement et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable : « 1. Les États membres veillent à ce que la pulvérisation aérienne soit interdite. / 2. Par dérogation au paragraphe 1, la pulvérisation aérienne ne peut être autorisée que dans des cas particuliers, sous réserve que les conditions ci-après sont remplies: a) il ne doit pas y avoir d'autre solution viable, ou la pulvérisation aérienne doit présenter des avantages manifestes, du point de vue des incidences sur la santé humaine et l'environnement, par rapport à l'application terrestre des pesticides ; ».
Ce texte a été transposé en droit interne par l’article L.523-8 du code rural et de la pêche maritime lequel dispose que « Par dérogation [au principe d’interdiction de pulvérisation aérienne des produits phytopharmaceutiques], lorsqu'un danger menaçant les végétaux, les animaux ou la santé publique ne peut être maîtrisé par d'autres moyens ou si ce type d'épandage présente des avantages manifestes pour la santé et l'environnement par rapport à une application terrestre, la pulvérisation aérienne des produits phytopharmaceutiques peut être autorisée par l'autorité administrative pour une durée limitée, conformément aux conditions fixées par voie réglementaire après avis du comité visé à l'article L. 251-3 ».
Par conséquent, le législateur actuel autorise une dérogation à la double condition que ce mode d’épandage « présente des avantages manifestes pour la santé et l’environnement », ce qui n’est pas le cas de l’arrêté interministériel attaqué. Cet arrêté a donc été suspendu.
(CE 6 mai 2014, n° 376812, Associations ASFA, EnVie-Santé et AMAZONA c/ État)
Arrêté municipal
Le Préfet d’Ille-et-Vilaine a saisi le juge administratif sur le fondement de l’article L.521-1 du code de la justice administrative (procédure en référé d’urgence) tendant en la suspension de l’arrêté municipal du 18 mai 2019. Dans cet arrêté, le maire de Langouët a restreint les modalités d’utilisation des produits phytopharmaceutiques sur sa commune en instaurant une zone de sécurité minimale de 150 mètres entre les champs traités et les habitations. Pour le préfet, le maire ne disposait pas de la compétence.
Le Tribunal administratif de Rennes a pris le soin de rappeler que le maire en tant qu’élu local dispose d’un pouvoir de police générale sur sa commune en vertu des dispositions des articles L.2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales.
A côté des pouvoirs du maire, le législateur a instauré une police spéciale des produits phytopharmaceutiques qui relève de « la compétence des ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation ou de celle du préfet du département dans lequel ces produits sont utilisés ».
Par conséquent, le maire « ne saurait en aucun cas s’immiscer par l’édiction d’une réglementation locale, dans l’exercice d’une police spéciale que le législateur a organisée à l’échelon nationale et confiée à l’État ».
De plus, le principe de précaution dont dispose le maire « ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder son champ de compétence et d’intervention en dehors de ses domaines ».
Le juge des référés a ainsi suspendu l’arrêté municipal.
Cette solution n’est pas surprenante ; le Conseil d’État avait affirmé peu de temps avant qu’il « appartient à l’autorité administrative, sur le fondement du I de l’article L.253-7 du code rural et de la pêche […], de prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de prescription particulière, s’agissant de la mise sur le marché, de la délivrance, de l’utilisation et de la détention de produits phytopharmaceutiques, qui s’avère nécessaire à la protection de la santé publique et de l’environnement » (CE 26 juin 2019, n° 415426).
(
, n° 1904033, Préfet d’Ille-et-Vilaine c/ Mairie de Langouët)
RESPONSABILITE
Responsabilité civile
Deux sociétés agricoles exploitent respectivement une parcelle de terre : la première cultive des céréales et la seconde a planté des pommiers.
L’entreprise spécialisée dans la culture de fruits à pépin et à noyau a reproché à la première d’avoir recours sur sa parcelle à la pulvérisation d’un désherbant de type Mextra. Elle a donc assigné ce dernier ainsi que son assureur devant le Tribunal de grande instance de Digne-les-Bains afin d’obtenir leur condamnation en à lui payer une indemnité.
Par un jugement du 15 février 2017, le tribunal a rejeté la demande d’indemnisation fondée sur les anciens articles 1382 et 1384 alinéa 1er du Code civil [articles 1240 et 1242 du Code civil]. Pour invoquer cette responsabilité civile, le demandeur doit démontrer la réunion de trois conditions : une faute, un préjudice et un lien de causalité.
Si la présence de pesticides n’est pas contestée, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a considéré que les différents rapports rédigés à la demande du requérant ne permettaient pas d’établir ni l’existence de préjudices directs ou indirects, ni le lien de causalité.
Les juges d’appel ont confirmé le jugement de rejet.
(
, n° 17/07460, Groupement foncier agricole des quatre vents c/ EARL de la plaine de Bagatelle)
Deux propriétaires ont reproché à un exploitant agricole d’avoir abandonné en 2012 sur ses parcelles des résidus de pesticides qui ont causé des intoxications et blessures à leurs chevaux.
Par un jugement en date du 18 juillet 2016, le Tribunal d’instance de Nîmes a débouté les requérants de leur demande au motif qu’ils n’établissaient pas que « les intoxications de leurs chevaux ou la blessure de l’un d’eux soient en relation de causalité directe avec un fait imputable à [l’agriculteur] ou à l’un de ses employés ».
Les juges d’appel ont jugé au regard notamment du certificat médical établi par le vétérinaire qu’il « existe de présomptions qui permettent de conclure que les chevaux ont été intoxiqués par les produits phytosanitaires déversés sur les cerisiers (…) ».
En revanche, ils ont écarté la responsabilité de l’exploitant agricole quant à la blessure à l’épaule droite d’un des chevaux en raison justement d’absence de « mise en relation avec une faute commise par [ce dernier] ».
L’exploitant agricole a ainsi été condamné à verser une indemnisation à l’égard des demandeurs.
(
, n° 16/03660, Mme B… et M. S… c/ M. G…)
Il résulte d’un conflit de voisinage lié à l’usage de fongicides durant une période déterminée. Le demandeur à l’instance a reproché à son voisin d’avoir subi différents troubles en raison des épandages de pesticides pratiqués à trois reprises par son salarié.
Le demandeur a été débouté en première instance au motif que sa requête était fondée sur l’ancien article 1382 du Code civil [article 1240 du Code civil] ; il aurait dû démontrer l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. Or, les juges du fond ont considéré que les requérants n’avaient pas établi sur le plan médical le lien de causalité entre la faute et les préjudices.
La Cour d’appel de Bordeaux n’est pas du même avis et a infirmé le jugement.
Les juges d’appel ont constaté tout d’abord la présence d’une faute. En effet, le salarié du voisin n’a pas pris les précautions nécessaires lors de l’épandage des pesticides. La juridiction a rappelé qu’en dépit d’une bonne météo, « il appartient au viticulteur qui procède à l’épandage de produits autorisés (…) de s’assurer que son épandage, non ciblé et à deux jets, un de chaque côté du tracteur, ne nuit pas à son voisinage et de faire en sorte de ne pas procéder aux traitements lorsque les riverains sont présents dans leur jardin, et de s’interrompre lorsque ceux-ci souhaitent sortir de leur domicile ou du lieu où ils se trouvent ».
Ensuite, les juges ont estimé qu’au regard des pièces médicales, les troubles dont a souffert le requérant étaient bien en lien direct avec l’utilisation des pesticides.
(
, n° 16/03032, Christian C… c/ Pascal M…)
Maladie professionnelle
Un ancien adjoint technique principal de 2ème classe à la commune d’Aureilhan est décédé des suites d’un glioblastome. Face au refus de la commune de reconnaître la maladie de son époux imputable au service, la veuve a saisi le Tribunal administratif de Pau.
Par un jugement en date du 21 décembre 2017, les premiers juges ont rejeté la demande de la requérante tendant à l’annulation de l’arrêté municipal.
Les juges d’appel ont confirmé le jugement de rejet pour les motifs suivants.
D’une part, ils ont estimé, et ce par opposition à la demandeuse, que l’arrêté était suffisamment motivé. Cet arrêté s’est fondé sur l’avis de la commission de réforme qui explique que « la pathologie présentée par l’agent est indépendante de son activité habituelle ».
D’autre part, la requérante ne démontre pas le lien de causalité entre l’activité professionnelle et l’usage des pesticides.
En outre, « la présomption d’origine professionnelle pour toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles » telle que prévue à l’article L.461-1 du code de la sécurité sociale est inapplicable à l’égard des fonctionnaires territoriaux.
(
, n° 18BX00786, Mme AD… c/ Commune d’Aureilhan)
Principe de précaution
Une association environnementale a saisi le juge des référés afin qu’il ordonne la suspension de l’exécution de la décision de l’ANSES qui autorise la mise sur le marché français du produit phytopharmaceutique « Transform ». L’association s’est fondée sur le principe de précaution lequel est consacré tant sur le plan national que sur le plan européen dont les dispositions ont été rappelées par le juge des référés.
L’article 5 de la Charte de l’environnement prévoit que « lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
En outre, la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement repose également sur « les principes de précaution et d’action préventive » (article 191 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne).
De même, la Cour de justice de l’Union européenne a eu, à plusieurs reprises l’occasion de mettre en application ce texte et ce depuis 1998 (arrêt National Farmers’ Union et autres du 5 mai 1998, n° C-157/96).
En vertu de ce principe, le juge des référés a jugé que le produit contesté présentait des risques sur l’environnement et a donc ordonné la suspension de l’exécution de la décision.
(
, n° 1704690, Association Générations Futures c/ ANSES)