Présentation :
Le droit de l’environnement occupe une place de plus en plus importante comme le témoigne le nombre de décisions de justice rendues ces dernières semaines.
Elles concernent aussi bien les installations classées que les conséquences des catastrophes naturelles ou encore la légalité administrative.
De plus, le Conseil d’État poursuit ses précisions sur le principe directeur de non-régression.
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LA PRÉVENTION
Contrôle des installations classées
Le Préfet de l’Isère a accordé par un arrêté du 3 octobre 2014 à une société spécialisée dans les supports juridiques de programmes une autorisation en vue de la réalisation d’un centre de loisirs situé dans la commune de Roybon sur le fondement de l’article L.214-3 du code de l’environnement.
Ce texte dispose que « sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles ».
Le département de l’Isère a contesté la légalité de cet arrêté en vertu de l’article L.212-1 du code de l’environnement lequel précise que « les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l’eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux ».
Comme l’a rappelé le Conseil d’État, il revient aux juges du fond de « rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle de l’ensemble du territoire couvert, si l’autorisation ne contrarie pas les objectifs qu’impose le schéma, compte tenu des orientations adoptées et leur degré de précision, sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard chaque disposition ou objectif particulier ».
La Haute juridiction a reproché aux juges d’appel d’avoir déclaré le projet en question incompatible sur la base d’une seule disposition de ce schéma, soit l’article 6B-04 relatif à « une compensation minimale à hauteur de 100 % de la surface des zones humides détruites par le projet ».
Pour le Conseil, la juridiction administrative d’appel aurait dû confronter le projet au regard de « l’ensemble des orientations et objectifs fixés par le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 ».
Elle a donc commis une erreur de droit engendrant la cassation de l’arrêt.
(CE 21 novembre 2018, n° 408175, Union régionale fédération Rhône-Alpes de protection de la nature, Fédération de la Drôme pour la pêche et la protection du milieu aquatique, Union régionale des fédérations départementales des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique de Rhône-Alpes et association « Pour les Chambaran sans Center Parc » c/ arrêté préfectoral du 3 octobre 2014)
RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE
Inondation
Une riveraine de la commune de Daubeuf-Serville a subi sur sa propriété plusieurs inondations. La propriétaire a demandé à la communauté de communes Campagne de Caux de lui rembourser les frais de travaux qu’elle a engagés en 2001 et 2008 en vue de prévenir de nouvelles inondations.
Le Tribunal administratif de Rouen a refusé de donner droit à la requérante au motif que la dette résultant des travaux de 2001 de la commune était prescrite depuis le 31 décembre 2005. L’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 a instauré la prescription quadriennale.
Quant aux travaux de 2008, ils ont été réalisés « sans autorisation ni même information préalable du département ou de la communauté de communes ».
Les juridiction administrative d’appel ont acquiescé le raisonnement des premiers juges et a débouté la requérante.
(CAA Douai 24 septembre 2019, n° 17DA02366, Mme D… C… c/ Communauté des communes Capagne de Caux)
LÉGALITÉ ADMINISTRATIVE
Police administrative
Le Préfet de la Côte-d’Or a, par un arrêté du 14 juin 2013, abrogé l’arrêté préfectoral du 9 juin 1976 portant règlement d’eau du moulin du Bœuf sur le territoire de la commune de Bellenod-sur-Seine et a enjoint les propriétaires de remettre le site en état.
Saisi par ces derniers, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté leur demande tendant à l’annulation du dernier arrêté préfectoral.
Le Conseil d’État a repris l’ensemble des dispositions en la matière. Il a cité l’article L.211-1 du code de l’environnement qui impose « une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau » afin de prévenir notamment contre le risque d’inondations.
Les articles L.214-1 et L.214-6 du code de l’environnement sont également mentionnés lesquels précisent le cadre de « l’autorisation d’installations, ouvrages, travaux et activités présentant un caractère temporaire et sans effet important et durable sur le milieu naturel ».
De ces textes, les juges du Palais-Royal n’ont pas adhéré au raisonnement des juges d’appel qui ont confirmé le jugement.
Ils ont considéré que les travaux réalisés par les propriétaires du moulin « afin de retirer les végétaux, allusions, pierres et débris entravant le barrage et de nettoyer les chambres d’eau et la chute du moulin des pierres et débris qui les encombraient, permettant à l’eau d’y circuler librement » caractérisaient un « défaut d’entretien régulier des installations ».
De plus, la cour administrative d’appel a retenu une « méconnaissance de l’objectif de valorisation de l’eau comme ressource économique ».
Or, pour la Haute juridiction, il n’appartient pas aux juges du fond d’apprécier « le potentiel de production électrique d’une installation à l’échelle du bassin du cours d’eau concerné ».
Pour ces deux raisons, l’arrêt d’appel a été cassé.
(CE 11 avril 2019, n° 414211, M. C… et Mme B… c/ l’arrêté préfectoral du 14 juin 2013)
Un propriétaire d’un terrain cadastré situé en zone agricole s’est vu refusé, par un arrêté municipal du 21 juin 2016, sa déclaration préalable à la réalisation de travaux consistant à clôturer sa parcelle de terre.
Par un jugement du 27 février 2018, le Tribunal administratif de Nantes a donné raison au requérant.
La Cour administrative d’appel, saisie par la municipalité, a confirmé la décision de première instance au motif qu’il n’est pas contesté que le terrain du justiciable sert avant tout dans la culture maraichère.
Par conséquent, le projet du propriétaire de délimiter sa parcelle « doit être regardé comme nécessaire à son activité agricole ». Le maire de Saint-Julien-de-Concelles a fait une mauvaise application du plan local d’urbanisme (PLU) lequel dispose en son article A2 que : « […] Sont autorisées : / […] les affouillements et exhaussements du sol nécessaires à la réalisation d’une construction ou d’une opération autorisée dans la zone ou au fonctionnement d’une exploitation agricole ».
(CAA Nantes 4 octobre 2019, n° 18NT01700, M. A… E… c/ arrêté municipal du 21 juin 2016)
Circulation routière
Un maire d’Annoeullin a pris un arrêté du 17 février 2011 interdisant la circulation des piétons sur le chemin rural de Saint-Vaast. Il s’agissait d’une mesure de sécurité prises à l’égard des piétons.
Un gérant de tabac a contesté cet arrêté parce que cette mesure aboutirait, selon lui, à nuire à son commerce. Cette interdiction allait le priver de la possibilité de fournir le centre pénitentiaire d’Annoeullin.
Le Tribunal administratif de Lille a annulé la décision de refus du maire d’abroger l’arrêté au motif que « l’étroitesse du chemin et son caractère dangereux n’étaient pas caractérisés ».
La Cour administrative d’appel de Douai a d’abord rappelé les dispositions relatives aux pouvoirs de police du maire et le contrôle que doit effectuer le juge de l’exécution. Dans le cadre du contrôle de proportionnalité, le juge de l’exécution « examine successivement si la mesure en cause est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit ».
Les juges d’appel ont ensuite relevé plusieurs éléments. Le chemin en question était doté « de bonnes conditions de visibilité » et surtout n’était pas marqué par des accidents ou des incidents.
Pour ces raisons, les juges ont considéré que rien ne justifiait d’interdire ce passage aux randonneurs. Les juges du second degré ont jugé la mesure comme étant disproportionnée aux objectifs fixés par le maire.
(CAA Douai 1er octobre 2019, n° 17DA01048, M. D… c/ arrêté municipal du 17 février 2011)
ENVIRONNEMENT
Principe de non-régression
Le principe de non-régression a été introduit par la loi du 8 août 2016 lequel est défini de la manière suivante : « la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment » (article L.110-1 du code de l’environnement).
Il s’agit d’un principe directeur du droit de l’environnement au même titre que le principe de précaution. Cependant, ce principe n’a pas une portée générale, il n’a vocation à s’appliquer qu’aux décisions individuelles telles par exemple les autorisations d’exploiter des installations classées pour la protection de l’environnement (TA Réunion 14 décembre 2017, n° 1401324).
Deux associations environnementales ont saisi le juge de l’exécution pour contester la légalité du décret n° 2018-239 du 3 avril 2018 relatif à l’adaptation en Guyane des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets.
Selon elles, le décret contreviendrait aux dispositions de l’article R.122-2 du code de l’environnement qui prévoit que « les projets relevant d'une ou plusieurs rubriques énumérées dans le tableau annexé au présent article font l'objet d'une évaluation environnementale, de façon systématique ou après un examen au cas par cas, en application du II de l'article L. 122-1, en fonction des critères et des seuils précisés dans ce tableau ».
En effet, ce décret écarte toute évaluation environnementale sur les projets de déboisement alors qu’ils sont susceptibles d’avoir des incidences majeures sur l’environnement. De plus, ces projets sont situés dans des zones classées agricoles lesquelles sont encadrées par le plan local d’urbanisme qui est quant à lui soumis à évaluation environnementale.
Le Conseil d’État a estimé que le principe de non-régression n’est pas atteint « alors même qu’en l’état antérieur de la réglementation, ces catégories de projet faisaient l’objet d’une évaluation environnementale au cas par cas, dans la mesure où elles concernent des terrains qui ont fait l’objet d’un classement en zones agricoles par un plan local d’urbanisme ayant lui-même fait l’objet d’une évaluation environnementale ou dans le schéma d’aménagement régional qui détermine notamment la localisation préférentielles des extensions urbaines et des activités agricoles et forestières et qui lui-même soumise à évaluation environnementale ».
Par contre, les dispositions du décret attaqué qui exemptent de toute évaluation environnementale certains projets situés dans des zones non agricoles portent atteintes au principe de non-régression.
La Haute juridiction a jugé qu’une « telle modification est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, eu égard notamment à la biodiversité remarquable qu’abrite la forêt guyanaise, nonobstant l’étendue de la forêt en Guyane et la protection dont une grande partie fait l’objet par ailleurs ».
En conclusion, le Conseil a déclaré le décret irrégulier au regard de ce principe environnemental.
(CE 9 octobre 2019, n° 420804, Associations France nature environnement et Guyane nature environnement c/ Décret n° 2018-239 du 3 avril 2018 relatif à l’adaptation en Guyane des règles applicables à l’évaluation environnementales des projets)
Une association environnementale a demandé l’annulation du décret du 3 août 2018 modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et certaines dispositions du code de l’environnement.
Les dispositions contestées attribuent une double compétence à l’égard du préfet : celle de statuer sur la demande d’enregistrement produite au titre de la législation des ICPE et celle d’effectuer un examen des projets en question pour déterminer au cas par cas s’ils doivent faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences sur l’environnement.
Le Conseil d’État a rejeté la requête et a jugé que :
« Si les dispositions de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 citées au point 4 ont pour finalité de garantir que l'avis sur l'évaluation environnementale des plans et programmes susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement soit rendu, avant leur approbation ou leur autorisation afin de permettre la prise en compte de ces incidences, par une autorité compétente et objective en matière d'environnement, il résulte clairement de ces mêmes dispositions que cette autorité est distincte de celle mentionnée à l'article 4, chargée de procéder à la détermination de la nécessité d'une évaluation environnementale par un examen au cas par cas. Par ailleurs, aucune disposition de la directive ne fait obstacle à ce que l'autorité chargée de procéder à cet examen au cas par cas soit celle compétente pour statuer sur l'autorisation administrative requise pour le projet sous réserve qu'elle ne soit pas chargée de l'élaboration du projet ou en assure la maîtrise d'ouvrage. »
(CE 25 septembre 2019, n° 427145, Association France nature environnement c/ Décret n° 2018-704 du 3 août 2018 modifiant la nomenclature des installations classées)