Présentation :
La saisine du Conseil d’État ne faiblit pas. Il a été amené à se prononcer sur l’obligation de masques dans l’espace public par un maire sur sa population. Dans cet ordonnance, le juge des référés a apporté des précisions importantes quant au champ d’intervention du maire au titre de ses pouvoirs de police générale en parallèle avec la police spéciale instaurée par l’état d’urgence sanitaire.
Le maire ne peut agir concurremment à l’État uniquement s’il démontre l’existence de circonstances locales, condition admise que rarement par les juges administratifs.
Dans une ordonnance du 22 avril 2020, le Tribunal administratif de Nice a admis pour la première fois que cette condition était remplie et a donc rejeté la requête de l’association tendant à la suspension de l’arrêté municipal.
La Haute juridiction a rejeté, par ailleurs, la requête d’une association qui demandait de restreindre les épandages agricoles.
D’autres décisions concernent la responsabilité administrative d’une commune ou encore la contestation d’actes administratifs (permis de construire, interdiction de circulation des véhicules à moteur).
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LÉGALITÉ ADMINISTRATIVE
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Acte administratif
Nature et environnement
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Par un arrêté du 22 juin 2015, le maire de Bosmont-sur-Serre a interdit la circulation des véhicules à moteur sur le chemin rural dit du " Ravin-du-Bois-des-Pendants ", lequel dessert la parcelle cadastrée ZI d’une propriété privée, à l'exception des véhicules utilisés pour remplir une mission de service public, au motif que la circulation des véhicules motorisés est de nature à détériorer les espaces naturels et à compromettre la sécurité des usagers.
Le propriétaire a relevé appel du jugement qui a rejeté sa demande.
Il est soutenu que le chemin rural dit du " Ravin-du-Bois-des-Pendants " est un chemin rural pédestre qui « ne peut pas supporter le passage de véhicules terrestres à moteur et encore moins le passage de tracteurs agricoles, tant par son profil incurvé que par son inaptitude à supporter des charges et des efforts de traction ». Plusieurs documents corroborent cette position. En interdisant le passage des véhicules motorisés sur cette voie, le maire n’a pas fait un mauvais usage de ses pouvoirs de police.
En revanche, « la première partie du chemin rural, sur une distance de 140 mètres, depuis l'extrémité sud-ouest du chemin jusqu'au panneau d'interdiction de circuler, est constituée d'une chaussée en sol bloqué en milieu ouvert, sur une surface plane et régulière, qui peut supporter le passage d'engins agricoles lourds et encombrants, et est donc apte à supporter les efforts dus à la circulation terrestre à moteur ». Pour les juges du fond, l’élu local n’aurait pas dû appliquer cette interdiction sur cette portion de chemin ; il a entaché sa décision d’une erreur d’appréciation.
Enfin, « le moyen tiré de ce que la commune aurait manqué à son obligation, qui découlerait des dispositions de l'article L.161-5 du code rural et de la pêche maritime, d'assurer l'entretien du chemin rural ne peut qu'être écarté ».
Le jugement a donc été annulé.
(CAA Douai 2 avril 2020, n° 18DA01218, M. B. A…)
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LÉGALITÉ ADMINISTRATIVE
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Acte administratif
Permis de construire
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Le maire de Gignac a accordé à une société un permis de construire deux bâtiments accolés à un immeuble partiellement conservé, comportant trente-cinq logements, soit le bâtiment A de trois niveaux et le bâtiment B de quatre niveaux. Cette décision a été contestée par deux propriétaires laquelle a été partiellement accueillie par le Tribunal administratif de Montpellier. Ce dernier a partiellement annulé le permis de construire.
Aussi bien le requérant de première instance que la commune ont relevé appel du jugement.
Il est ressorti de l’instruction que le bâtiment B ne respectait pas les normes du plan local d’urbanisme (PLU) : « la distance comptée en tout point du bâtiment B, en façades Nord-Est et Sud-Est, jusqu'aux limites séparatives, comprise respectivement entre 4,45 mètres et 4,85 mètres et entre 4,30 mètres et 7,67 mètres est inférieure à celle de 5,85 mètres telle qu'exigée en application des dispositions de l'article UB 7 du règlement du PLU ».
De plus, le SDIS a émis un avis favorable sous réserve de prescriptions « relatives notamment à l'organisation d'une défense extérieure contre l'incendie et aux conditions d'accessibilité de engins de secours et de lutte contre l'incendie », prescriptions intégrées dans l’arrêté municipal. Dès lors, le requérant ne peut soutenir que « les services de secours ne pourraient accéder à l'arrière du terrain d'assiette du projet où n'est prévue aucune aire de retournement ».
Les juges administratifs ont relevé une méconnaissance des articles UB 7 et UB 10 du règlement du PLU qui est susceptible d'être régularisée.
Par conséquent, ils ont décidé de surseoir à statuer sur la légalité de l'arrêté du maire de Gignac du 2 juin 2017 jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt pour permettre à la société FDI Habitat de notifier à la cour un nouveau permis de construire régularisant les vices mentionnés aux points 5 et 14.
(CAA Marseille 24 mars 2020, n° 19MA01367-19MA01342, M. G… et commune de Gignac)
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Police administrative
Cumul de polices
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Les juges du fond de première instance comme d’appel ont suspendu l’arrêté municipal qui oblige les habitants à porter un masque dans l’espace public (cf. veille juridique n° 2020-15 : TA Cergy-Pontoise 9 avril 2020, n° 2003905, Ligue des droits de l’Homme).
La commune de Sceaux a formé un pourvoi en cassation.
Le juge des référés a relevé que « le législateur a institué une police spéciale donnant aux autorités de l’État [...] la compétence pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation ». Pour ce même juge, ce pouvoir de police spéciale fait obstacle empêche le maire d’agir au titre de ses pouvoirs de police générale dans le cadre de la crise sanitaire « à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État ». Par cette double condition, le Conseil d’État se montre encore plus restrictif que les juges du fond qui se contentaient d’exiger à l’égard du maire l’existence de circonstances locales particulières.
La commune de Sceaux a fait valoir que « sa population est plus âgée que la moyenne, avec 25 % de personnes de plus de 60 ans contre 19 % dans le reste de l’Île-de-France selon ses dernières écritures, que les espaces verts, qui représentent le tiers de la superficie communale, ont été fermés et que les commerces alimentaires qui demeurent ouverts sont concentrés dans une rue piétonne du centre-ville dont la largeur n’excède pas quatre mètres en certains endroits, entraînant une forte affluence à certaines heures de la journée et rendant ainsi difficile le strict respect des gestes de distanciation sociale ». Cette obligation imposée vise avant tout à protéger les personnes âgées tout en garantissant la libre circulation de ces dernières.
A l’instar des juges du fond, le juge des référés du Conseil d’État ne considère pas ces faits de nature à caractériser « des raisons impérieuses liées à des circonstances locales propres à celle-ci et qui exigeraient que soit prononcée sur son territoire, en vue de lutter contre l’épidémie de covid-19, une interdiction de se déplacer sans port d’un masque de protection ».
En outre, il estime que cette mesure « est susceptible de nuire à la cohérence des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes ». Sans compter qu’en « laissant entendre qu’une protection couvrant la bouche et le nez peut constituer une protection efficace, quel que soit le procédé utilisé, l’arrêté est de nature à induire en erreur les personnes concernées et à introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population par ces autorités ».
La requête de la commune de Sceaux est définitivement rejetée.
(CE 17 avril 2020, n° 44057, commune de Sceaux)
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La Ligue des droits de l’Homme a demandé au juge des référés de suspendre l’arrêté municipal qui a prolongé jusqu’au 11 mai 2020 l’instauration d’un couvre-feu entre 20 heures et 5 heures du matin sur certains secteur de la ville de Nice.
Le juge des référés a rappelé qu’il existe une police spéciale dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire au profit de l’État. Le maire n’est pas totalement démuni. Il « peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements mais aussi la circulation et les déplacements du public ».
Le juge administratif a ajouté qu’un maire peut restreinte la liberté de circulation qu’à « la double condition qu'elles soient justifiées par l'existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées et qu'elles soient adaptées par leur contenu à l'objectif de protection pris en compte ».
Il a retenu que l’arrêté municipal ne visait que 9 secteurs de la ville soit moins de 2 % de la voirie communale. Cette décision ne fait que compléter un arrêté préfectoral qui prévoyait un couvre-feu compris dans les horaires de 22 heures et 5 heures du matin. L’arrêté municipal ne fait que rajouter 2 heures de couvre-feu.
Le juge administratif a donc rejeté la requête au motif que « l’arrêté du maire de Nice pris en application de son pouvoir de police générale est d’une portée limitée dans le temps et l’espace et impose des restrictions justifiées par les circonstances locales ». En effet, il a été constaté sur ces zones un nombre élevé d’infractions aux règles du confinement.
Cette décision fera sans doute grand bruit car c’est la première fois qu’un arrêté municipal est maintenu, justifié par des circonstances locales. Il faut toutefois conserver à l’esprit que cette ordonnance n’est pas définitive et qu’elle peut dès lors être infirmée en appel. Affaire à suivre...
(TA 22 avril 2020, n° 2001782, Ligue des droits de l’Homme)
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RESPONSABILITÉ
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Responsabilité administrative
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Faute de la victime
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Un riverain a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la commune de Senlis à lui verser une indemnisation des préjudices subis à la suite de sa chute après avoir heurté le muret de la rampe d'accès pour les personnes à mobilité réduite menant à l'atelier de modélisme naval de la maison des associations (ouvrage public appartenant à la commune de Senlis).
Pour engager la responsabilité du maître de l'ouvrage, il repose sur la charge du requérant de démontrer l'existence d'un préjudice en lien direct avec l'ouvrage. Seuls le bon entretien de l'ouvrage et la faute de la victime peuvent exonérer le maître ouvrage de sa responsabilité.
Les juges administratifs ont considéré que le requérant a parfaitement établit son préjudice et le lien de causalité avec l'ouvrage. Par contre, ils ont estimé que « la commune ne démontre pas avoir normalement entretenu l'ouvrage public que constitue le chemin d'accès piétonnier de la maison des associations ». Pour eux, « cette faible hauteur de muret, et l'absence de dispositif de protection ou d'information relative au dénivelé important se trouvant derrière le muret et au risque de chute dans la rampe représentent, compte tenu de la faiblesse de l'éclairage, et malgré la présence d'une zone herbeuse entre le chemin piétonnier et la rampe d'accès des personnes à mobilité réduite, un danger pour les usagers ».
Pour autant, le requérant connaissait très bien la configuration des lieux. Le jour de l’accident, il avait été averti par un témoin qu’il « avait quitté le chemin piétonnier et marchait sur la zone herbeuse en direction du muret surplombant la rampe d'accès destinée aux personnes à mobilité réduite ». Les juges du fond ont relevé par ailleurs que, de part ses anciennes fonctions de sapeur-pompier et de responsable de sécurité d’un site industriel, il était « particulièrement sensibilisé à la nécessité de prendre toutes les précautions rendues nécessaires par les circonstances ». En somme, la victime a fait preuve d’une grande imprudence.
La Cour administrative d’appel a confirmé le jugement de rejet.
(CAA Douai 12 mars 2020, n° 18DA01400, M. A. D…)
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Référé-liberté
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Une association pour la protection de l’environnement a demandé au juge des référés du Conseil d’État d’une part, de constater la carence de l’État à réduire les épandages agricoles et les autres activités agricoles polluante et, d’autre part, d’enjoindre à ce dernier « de modifier les conditions d’application de l’arrêté du 7 avril 2016 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d’épisodes de pollution de l’air ambiant pour rendre obligatoire et d’application immédiate jusqu’à la cessation de l’état d’urgence sanitaire, les recommandations et dispositions réglementaires fixées dans son annexe ». L’association requérante s’est appuyée sur des études scientifiques.
Le juge des référés a constaté que l’étude chinoise concernait le SRAS (et non le covid-19) et la pollution générale (et non spécifique aux épandages agricoles). De même, si l’étude américaine porte bien sur le lien entre pollution de l’air et épandages agricoles, « elle se fonde sur une exposition de long terme, retenant des durées d’exposition de plusieurs années minimum et pouvant aller jusqu’à dix à quinze ans, ce qui n’est guère pertinent pour apprécier les conséquences d’une exposition limitée à quelques semaines seulement correspondant aux mesures urgentes et nécessairement provisoires que le juge des référés a le seul pouvoir d’ordonner ». Quant à l’étude italienne, qui n’a pas encore fait l’objet d’une publication par une revue scientifique, s’intéresse à la virulence du virus de covid-19 dans la région de Lombardie, région qui a connu des dépassements répétés du seuil de pollution.
Le juge a observé que durant cette période de confinement, il y avait moins de pics de pollution. Lorsqu’il y en avait les préfets ont continué « à prendre, conformément à l’arrêté du 7 avril 2016, les mesures nécessaires en cas de dépassement des seuils ».
Il invite toutefois l’administration « de faire preuve d’une vigilance particulière dans le contexte actuel d’état d’urgence sanitaire en veillant à ce que soit pris, au besoin préventivement en cas de menace avérée de franchissement des seuils, des mesures propres à éviter la survenue ou au moins à réduire la durée des épisodes de franchissement des seuils, notamment en limitant les pratiques agricoles polluantes, l’activité agricole demeurant, en raison de la très forte diminution des pollutions liées à l’industrie et aux transports, la principale source d’origine humaine d’émission de particules PM10 et PM2,5 avec celle provenant du secteur résidentiel, à plus forte raison dans la période actuelle d’épandage ».
La requête de l’association a ainsi été rejetée.