Un médecin régulateur libéral mis à disposition par l'Association de la médecine d'urgence auprès du SAMU est contacté à deux reprises par la mère d'un bébé de 9 mois qui présente les signes d'une gastro-entérite et d'une déshydratation sévère. L'enfant décède et le médecin régulateur se voit reprocher devant le juge pénal de n'avoir pas pris les mesures permettant d’éviter sa mort en permettant sa prise en charge et sa réhydratation en temps utile.
En première instance, le tribunal correctionnel condamne le médecin pour homicide involontaire et se déclare incompétent pour statuer sur les demandes de dommages-intérêts présentées par les parents. En appel, le juge requalifie les faits de non-assistance à personne en péril et le condamne à cinq mois d'emprisonnement avec sursis accompagnés d'intérêts civils. Le médecin se pourvoit alors en cassation et soutient deux moyens. Le premier vise à contester la qualification des faits qui lui sont imputables et ainsi la violation des articles 223-6, alinéa 2, du code pénal et 593 du code de procédure pénale. Le second, qui retiendra plus particulièrement notre attention, soulève notamment la violation des articles de la loi des 16 et 24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, car la cour d'appel ne s'est pas déclarée incompétente pour connaître des conséquences dommageables des faits reprochés au médecin.
Dans un premier temps, la chambre criminelle reprend l'ensemble des pièces du dossier et s'est assurée que l'arrêt attaqué par le médecin répondait, sans insuffisance ou contradiction, aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie. La cour d'appel a bien caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit de non-assistance à personne en danger dont elle a déclaré le prévenu coupable (cf. arrêt ci-dessous reproduit).
C’est, ensuite, favorablement que la Cour de cassation accueille le second moyen du requérant, et casse l'arrêt d'appel qui a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs.
Cet arrêt du 30 novembre 2010, rappelle la distinction essentielle qui demeure entre la faute pénale et la faute de service : "l’agent d’un service public n’est personnellement responsable, devant les juridictions répressives, des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il commet que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions".
Pour retenir la compétence du juge répressif afin de liquider le préjudice subi par les parents de la petite victime, la cour d’appel avait retenu que le médecin régulateur "employé par une association d’aide médicale d’urgence de droit privé mais participant en qualité d’agent au centre de réception et de régulation des appels médicaux du SAMU 78, service public, en application des dispositions de l’article L. 6112-5 du code de la santé publique dans sa rédaction applicable au moment des faits et du décret du 16 décembre 1987 relatif aux missions et à l’organisation des unités participant au SAMU, ne peut voir sa responsabilité mise en cause que si est établie l’existence d’une faute personnelle de sa part ".
Ces constatations sont bien conformes aux dispositions des articles 10 et 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III qui ont posé dans sa généralité le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Le Conseil constitutionnel le définit comme le principe fondamental reconnu par les lois de la République (C. const. n° 86-224 DC du 23 janvier 1987), selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle.
Le médecin libéral ayant agi au nom et pour le compte d'un service public hospitalier est donc bien considéré comme un agent public, dont seule la faute personnelle, détachable du service, aurait pour conséquence d'engager sa responsabilité civile devant le juge répressif.
Toutefois, la cour d’appel a considéré que le délit de non-assistance à personne en danger commis par le médecin, "en ne prenant pas en considération les nombreux signes de gravité qui étaient portés à sa connaissance par la mère du bébé en péril, en s’abstenant de poser les questions qui lui auraient permis de préciser l’état de celle-ci, puis en ne déclenchant pas les secours appropriés, constitue une faute personnelle détachable de ses fonctions dont les conséquences doivent être réparées par le juge répressif ".
La chambre criminelle souligne alors, que la faute, quelle que soit sa gravité, commise par un agent du service public, dans l’exercice de ses fonctions et avec les moyens du service, n’est pas détachable de ses fonctions. Ainsi, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a méconnu le principe énoncé ci-dessus et encourt la cassation.
Dans un arrêt antérieur, la chambre criminelle avait pourtant décidé, en infirmant un arrêt d'appel, d'une faute personnelle non détachable du service à l'encontre d'un médecin gynécologue-obstétricien qui, bien qu'assurant un service de garde, s'était abstenu de se déplacer de son domicile à l'établissement hospitalier pour assumer lui-même la situation d'une mère et de son enfant, compromettant ainsi la survie de l'enfant (cf. Crim., 13 février 2007, pourvoi n° 06-82.264, Bull. crim. 2007, n° 45).
Il semblerait alors que la détachabilité de la faute personnelle, résulte de moins en moins de la gravité de la faute. Les excès de comportement tels que le manquement volontaire et inexcusable à une obligation d'ordre professionnel et déontologique comme des violences volontaires (Crim. 16 nov. 2004, Bull. crim.ou Crim. 14 juin 2005, Bull. crim. n° 178) ou le manquement à la bonne foi traduisant une intention malveillante (Civ. 3°, 7 oct. 1988) restent des éléments traditionnels qui permettent de déterminer si la faute est détachable ou non du service.
Les services publics fonctionnent de plus en plus en "flux tendu". Les professionnels de l’urgence, dont les sapeurs-pompiers, volontaires ou professionnels, sont ainsi susceptibles de commettre des délits non-intentionnels en accomplissant de leurs missions ou en utilisant les moyens du service. C’est pourquoi, la reconnaissance juridictionnelle du caractère non détachable du service concernant les fautes personnelles qu’ils peuvent commettre contribue à une certaine sérénité de ces agents. Elle ménage également l'indemnisation des dommages subis par les victimes qui trouvent une meilleure solvabilité auprès du service.