Depuis son existence, la directive européenne concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail suscite des frictions quant à son application telle qu’interprétée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et ce pour plusieurs pays dont la France. Récemment, la Commission européenne a mis en ligne une communication interprétative de ce texte. Ce n’est pas la première fois que la Commission se livre à un tel exercice ; cette nouvelle communication « est une mise à jour de la communication interprétative de 2017 relative à la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail ». Cette communication a le mérite de synthétiser les 30 derniers arrêts et ordonnances prononcés par la CJUE sur le sujet. Il est rappelé que la CJUE dispose seule de l’autorité pour interpréter les textes européens. La Commission européenne ne peut se substituer à la CJUE. En conséquence, la directive européenne ne peut être comprise sans la mise en parallèle des décisions de la CJUE. Pour autant, toutes les décisions de la Cour n’ont pas la même importance, la Commission européenne retient quatre décisions majeures depuis 2017.
Tout d’abord, il y a l’arrêt Matzak de 2018. Dans cet arrêt, les magistrats européens ont fourni les critères pour qualifier le service d’astreinte tantôt de « temps de travail » tantôt de « période de repos ». Cela dépendra de « l’intensité des contraintes imposées au travailleur qui affectent la manière dont il peut utiliser le temps de garde ».
Ensuite, l’arrêt CCOO de 2019 est intéressant dans la mesure que « la Cour a jugé que les États membres doivent obliger les employeurs à établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ».
L’arrêt Academia de Studii Economice din Bucureşti de 2021 apporte une réponse « en cas de contrats de travail simultanés avec un ou plusieurs employeurs ». Sans surprise, « La Cour a estimé que la période minimale de repos journalier s’applique à ces contrats pris dans leur ensemble et non à chacun desdits contrats pris séparément ».
Enfin, l’arrêt Ministrstvo za obrambo de 2021 n’exclut pas totalement l’application de la directive européenne aux militaires. En effet, elle a admis que « certaines activités des membres des forces armées (missions opérationnelles) peuvent être exclues du champ d’application de la directive ».
Après avoir cité ces arrêts, la Commission européenne rappelle quelques dispositions de la directive. Cette directive a vocation à s’appliquer pour « tous les secteurs d’activité, y compris ceux qui doivent faire face à des événements qui, par définition, ne sont pas prévisibles, tels que les services de lutte contre les incendies ou de protection civile ». De par son interprétation stricte des dérogations, « la Cour a jugé que l’exception au champ d’application de la directive est strictement limitée à des événements exceptionnels tels que «[les] catastrophes naturelles ou technologiques, [les] attentats, [les] accidents majeurs ou d’autres événements de même nature» (…) ». Pour les événements exceptionnels, la dérogation s’applique. Néanmoins, les travailleurs doivent pouvoir bénéficier d’un repos compensateur équivalent ou une protection appropriée. En effet, dérogation ne signifie pas inapplication de la directive.
De même, les notions telles que « temps de travail », « période de repos » sont définies par la Cour selon ses propres critères. Ainsi, une garde est considérée comme du temps de travail dans son intégralité peu importe si le travailleur bénéficie de moments d’inactivités. L’astreinte si elle empêche le travailleur de vaquer à ses activités personnelles doit être assimilée à du temps de travail. La définition du « temps de travail » est primordiale puisqu’elle permet de terminer la durée du travail. Sur ce point, la directive est limpide : la durée de travail hebdomadaire maximale est de 48 heures. Cette donnée n’est qu’une « moyenne qui peut être calculée sur une période de référence pouvant aller jusqu’à quatre mois, même dans les cas où les dérogations ne sont pas applicables ».
Concernant les congés payés (minimum quatre semaines par an), il s’agit d’un droit fondamental pour les travailleurs, les Etats sont tenus d’ « accorder aux travailleurs un droit au report d’un congé annuel non pris lorsqu’ils n’ont pas eu l’occasion d’exercer ce droit, par exemple à cause d’un congé de maladie ». En revanche, « les périodes supplémentaires de congé annuel payé accordées par les États membres au-delà des quatre semaines requises par la directive peuvent être soumises à des conditions définies par le droit national ». De même, « La directive autorise le versement d’une indemnité financière pour remplacer un congé annuel payé auquel un travailleur avait droit à la date à laquelle l’emploi a pris fin et qui n’a pas été pris ».
La Commission ne reprend pas toutes les dérogations ; elle n'en mentionne que deux parmi lesquelles l’opt-out ou la faculté de renoncer individuellement à la limite hebdomadaire de 48 heures pour le temps de travail. Cette dérogation implique : d’une part, « le consentement doit être individuel et ne peut pas être remplacé par le consentement exprimé par des représentants syndicaux, par exemple dans le cadre d’une convention collective » ; et d’autre part, « que les travailleurs qui ne sont pas ou plus d’accord pour appliquer cet opt-out doivent être protégés contre tout préjudice, et pas seulement contre un licenciement ».
La Commission européenne revient longuement sur la notion de « travailleur » qui est un élément déterminant. La directive européenne s’applique aux travailleurs. La Cour a sa propre définition du travailleur laquelle coïncide avec celle du travailleur placé dans le contexte de la libre circulation du marché. Pour la Cour, « (…) la caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle reçoit une rémunération ». De ces critères qui se veulent objectifs, la CJUE a considéré qu’un sapeur-pompier volontaire belge devait être assimilé à un travailleur (arrêt Matzak).
Dans l’affaire CCOO, la CJUE s’était prononcée sur le cas de travailleurs ayant conclu plusieurs contrats de travail avec un employeur unique. En revanche, elle n’a pas eu l’occasion de trancher dans la même situation « avec différents employeurs ». Néanmoins, il ne fait nul doute pour la Commission européenne, que la directive européenne doit être appréciée en prenant en compte l’ensemble des contrats. La Commission estime que « les limites relatives au temps de travail hebdomadaire moyen et aux repos journaliers et hebdomadaires devraient s’appliquer autant que possible par travailleur ». Pour faire respecter au mieux le texte européen, elle recommande aux Etats membres d’introduire « des mécanismes appropriés de suivi et d’application ».
Cette directive ne fixe que des prescriptions minimales dans le domaine du temps de travail. Les Etats, en tant que membres de l’UE, sont tenus d’intégrer ces normes. Pour autant, « le caractère minimal des dispositions de la directive signifie également que les États membres ont la possibilité d’appliquer ou d’introduire des dispositions nationales plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ». A l’inverse, ces mêmes Etats ne sont pas autorisés à adopter des mesures qui iraient vers une « régression du niveau général de protection des travailleurs ».
Certaines dispositions de la directive sont jugées par la CJUE suffisamment précises et inconditionnelles pour produire des effets directs. C’est le cas de la durée maximale de travail hebdomadaire (48h) ou encore « (…) la période de référence pour la mise en œuvre de la durée maximale hebdomadaire de leur travail n’excède pas douze mois ». Il appartient aux juridictions nationales de faire respecter ces normes. En effet, « la directive ne saurait, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être appliquée dans un litige qui oppose exclusivement des particuliers («effet direct horizontal») ». Le non-respect de ces normes peut engager la responsabilité de l’Etat ; ce dernier peut « se voir contraint d’accorder aux particuliers un droit à réparation sous certaines conditions, qui doivent être examinées par les juridictions nationales ».
Le travail de nuit connait des limites :
- Quant à sa durée (maximum 8h par périodes de 24h afin de prendre en compte les risques particuliers) ;
- Quant à sa période de référence (une période de référence maximale de 14 jours).
Parce que la directive ne définit pas les notions de «risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes», il appartient aux Etats membre de les définir par le biais de la législation et/ou de pratiques nationales ou encore par le biais des conventions collectives ou accords conclus entre partenaires sociaux.
Les travailleurs de nuit doivent pouvoir bénéficier d’évaluations concernant leur santé. Avant leur affectation, l’employeur doit s’assurer que le travail de nuit est compatible avec la santé du travailleur. Cette évaluation doit être instaurée à intervalles réguliers pour s’assurer que le travailleur est toujours apte pour travailler la nuit. Ces évaluations doivent être entourées de garanties telle que la gratuité, le respect du secret médical. Il doit être prévu la possibilité pour le travailleur d’arrêter le travail de nuit au profit du travail de jour chaque fois que le transfert devient possible. En cas de recours régulier au travail de nuit, l’employeur devrait « en informer les autorités par des déclarations systématiques, mais que la directive ne l’impose pas ».
A l’instar des travailleurs de nuit, « les travailleurs postés bénéficient de mesures appropriées, adaptées à la nature de leur travail ». En effet, « La Cour a jugé (que) les travailleurs de nuit doivent bénéficier de mesures de protection en matière de durée du travail, de salaire, d’indemnités ou d’avantages similaires, permettant de compenser la pénibilité particulière qu’implique le travail de nuit qu’ils effectuent ».
Quant aux rythmes de travail, cela signifie que les « États membres (veillent) à ce que les employeurs prennent en considération le «principe général de l’adaptation du travail à l’homme» lorsqu’ils mettent en place un nouveau rythme de travail ou en modifient un. Dans le rythme de travail, cela inclut les temps de pauses (20-30 minutes toutes les 6h).