LEGALITE ADMINISTRATIVE
Police administrative
Les inondations survenues le 4 octobre 2015 dans le sud des Alpes-Maritimes avaient causé la mort de 20 personnes ainsi que d’important dégâts matériels. Le débordement du fleuve côtier la Brague fut une des causes de ce lourd bilan.
En l’espèce, il ne s’agit pas de juger d’éventuelles fautes administratives qui auraient pu causer le sinistre mais de juger les actions que l’administration a entrepris pour sécuriser une zone désormais considérée comme très vulnérable au risque inondation. En effet, suite à la catastrophe, le PPRI a été revu en prenant en compte le bilan de la crue de 2015. Par ailleurs, quatre campings de la plaine de la Brague avait été administrativement fermés – l’une des victimes ayant trouvé la mort lors de l’inondation d’un de ces campings.
Gestionnaire d’un camping fermé définitivement par un arrêté préfectoral en date du 26 avril 2016, la société anonyme Pierre Houé a demandé au Tribunal administratif (TA) de Nice d’enjoindre au Préfet des Alpes-Maritimes d’engager une procédure d’expropriation de son camping désormais inexploitable. Le 18 février 2020, le TA de Nice a rejeté cette requête puis la société requérante a fait appel. La question qui se pose à la cour administrative d’appel (CAA) est de savoir si l’autorité administrative – ici la préfecture – est obligée d’exproprier un terrain qu’elle a rendu inexploitable économiquement en raison de son insécurité pour le public.
La réponse que donne la CAA de Marseille est la suivante : « même en présence d'un des risques prévisibles énumérés aux articles L. 561-1 et L. 561-3 du code de l'environnement et menaçant gravement des vies humaines, l'autorité administrative n'est pas tenue de mettre en œuvre les procédures d'expropriation ou d'acquisition amiable prévues par ces articles, notamment lorsqu'une mesure de police administrative est suffisante pour permettre de protéger la population ou éviter son exposition au risque ».
En d’autres termes, la préfecture n’est en rien obligé de procéder à une expropriation et la société appelante fut donc débouté de ses prétentions par le juge administratif d’appel.
(CAA de MARSEILLE, 4ème chambre, 04/10/2022, 20MA01171, Inédit au recueil Lebon)
Par un arrêté n°79 du 11 février 2019, le Préfet des Cotes d’Or a refusé d’accorder l’autorisation d’exploitation à la société Iris Intervent – laquelle voulait construire et exploiter un parc éolien. Contestée, cette décision a été condamné par la même cour (arrêt n° 19LY01021 du 28 octobre 2021) qui a enjoint au préfet de délivrer un permis d’exploitation.
La préfecture s’est soumise à l’injonction puisque, le 28 décembre 2021, elle a accordé, par arrêté, l’autorisation d’exploitation. Cependant, elle y a placé tant de limites qu’elle a rendu l’exploitation impossible. La question se pose : cette autorisation limitative a-t-elle violé le jugement du 28 octobre 2021 ?
La cour administrative d’appel (CAA) répond à cette interrogation en posant le principe selon lequel « l'autorité de chose jugée s'attachant au dispositif d'un arrêt d'annulation devenu définitif ainsi qu'aux motifs qui en sont le support nécessaire, fait obstacle à ce que, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait, l'administration assortisse l'autorisation finalement accordée de prescriptions en contradiction avec les motifs de cet arrêt ».
Partant de ce principe, lorsque la préfecture a posé des conditions d’exploitation manifestement excessives qui mettent en péril la viabilité économique du projet, la CAA de Lyon les a fait annuler. Dépourvus de base légale, non conforme au droit et injustifiés, une partie des dispositifs de l’arrêté d’autorisation d’exploitation du 28 décembre 2021 a été annulée.
Néanmoins, certaines mesures exigées par la préfecture ont été validées par le juge. Ainsi, l’arrêté d’autorisation d’exploitation du 28 décembre 2021 prévoyait que la société Iris Intervent organise, tous les quatre ans, une formation aux secours en collaboration avec le SDIS 21. Rien ne faisant juridiquement obstacle à une telle exigence, le juge a estimé que « compte tenu de la spécificité des installations éoliennes », la formation aux secours tous les 4 ans n’était ni excessive ni irréalisable, déboutant ainsi Iris Intervent de sa prétention à annuler cette obligation de formation.
(CAA de LYON, 7ème chambre, 06/10/2022, 22LY00335, Inédit au recueil Lebon)
Le débroussaillage est une nécessité pour prévenir les feux de forêts. Néanmoins, ces opérations peuvent générer des nuisances plus ou moins graves pour les riverains. Ce fut le cas en l’espèce : en demandant à un éleveur ovin d’utiliser des 800 bêtes pour débroussailler la colline Saint-Jacques, la mairie de Cavaillon (84) a été accusée par des riverains d’avoir dégradé leur propriété. La divagation des ovins sur leur propriété a causé aux requérants des dommages à leur baie vitrée ainsi qu’à leurs restanques. En plus du préjudice matériel, ils ont été empêchés, par la présence des bêtes, de jouir pleinement de leur propriété. Un dommage qu’ils chiffrent à 83 761,12 euros – somme que la commune et son assureur leur devraient.
Deux question se posent dans cette affaire : premièrement, l’opération de débroussaillage était-elle une mission de service public susceptible d’engager la responsabilité de la commune devant la juridiction administrative ? Deuxièmement, la divagation des ovins sur la propriété des requérants était-elle constitutive d’une carence du maire dans l’utilisation de ses pouvoirs de polices ?
Réponse à la première question. Dans une récente décision n°C4225 du 8 novembre 2021, le Tribunal des conflits avait réaffirmé que le juge judiciaire était compétent pour connaitre les litiges portant sur la gestion du domaine privé de la commune. S’inscrivant dans cette logique, l’arrêt de la CAA de Toulouse estime que « lorsqu'une personne publique gère son domaine forestier à seule fin d'en assurer l'entretien, elle accomplit une activité de gestion de son domaine privé, qui n'est pas, par elle-même, constitutive d'une mission de service public ». Relevant au surplus que jamais, dans les décisions de la commune la forêt de la colline Saint-Jacques n’a eu de vocation à accueillir du public, le débroussaillage de ce lieu ne constituait qu’un acte de gestion du domaine privé de la commune. SI les requérants espèrent être dédommagés pour leur préjudice, ils ne devront pas solliciter un juge administratif mais un juge judiciaire.
Réponse à la seconde question. Les pouvoirs de police du maire, rappelons-le, constituent une obligation de moyens, tout doit être mis en œuvre pour faire respecter l’ordre et la salubrité publique. En l’espèce, il apparait que les requérants se sont plaint auprès de la mairie de la présence nuisible des ovins le 22 juillet et le 5 aout 2014 ; hors, dès le 13 aout, la commune a demandé à l’éleveur de récupérer ses bêtes et à l’ONF de l’appuyer dans cette tâche. Plus encore, un arrêté du maire de Cavaillon du 24 mars 2015 a placé en dépôt un bélier capturé par les pompiers. A plusieurs reprises, au cour des années 2015-2016, la mairie de Cavaillon a pris des mesures pour captures les dernières bêtes revenues à l’état sauvage. La cour conclut donc que « eu égard à la topographie escarpée de la colline Saint-Jacques, à la diversité des moyens mis en œuvre par la commune et à la pluralité des acteurs et services mobilisés par ses soins pour capturer les derniers ovins laissés en état d'errance, le maire de Cavaillon doit être regardé comme ayant pris des mesures de police nécessaires, suffisantes et proportionnées pour mettre fin à la présence d'ovins en état de divagation sur ce site ».
(CAA de TOULOUSE, 3ème chambre, 04/10/2022, 20TL02994, Inédit au recueil Lebon)
STATUT
Affectation et mutation
La cour vient ici apprécier la légalité d’un arrêt par lequel le président d’un SDIS a demandé qu'il soit mis fin au détachement du requérant. En première instance, cet arrêt a été annulé suite à un recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Grenoble – décision contre laquelle le SDIS a fait appel.
Quels sont les éléments qui avaient encouragé le juge de première instance à annuler cet arrêté du 25 juin 2018 ? S’appuyant sur les articles L 211-2 et L 211-5 du Code des relations entre le public et l'administration, le juge rappelle que l’autorité doit motiver une décision défavorable à un administré.
Certes, l’arrêté du 25 juin, défavorable au requérant, était motivé. Cependant, cette motivation, relève le juge était imprécise et insuffisante. Les termes employés étaient génériques et équivoques. Au cœur du problème : l’incompétence supposé du requérant. Capitaine de sapeur-pompier, il aurait démontré son inaptitude au commandement, notamment par ses méthodes managériales contestables (et contestées). Le fait que son management ait déplu et qu’il ait eu des conflits avec ses subordonnés (parfois jusqu’à l’altercation), ne constitue pas, aux yeux du juge, la preuve suffisante d’une incompétence propre à justifier la fin du détachement du capitaine.
Ce jugement vient rappeler l’importance de la motivation des décisions administratives et l’impérieuse nécessité de justifier la décision défavorable avec des éléments tangibles et probants.
(CAA de LYON, 3ème chambre, 28/09/2022, 20LY02577, Inédit au recueil Lebon)