En aout 2022, les sénateurs avaient publié un rapport d’information portant sur les moyens de prévenir l’intensification prévisible des feux de forêts. Partant du constant que les moyens efficaces depuis les années 1990 étaient aujourd’hui obsolètes du fait de l’extension géographique du risque feux de forêts – lequel ne se limite plus au Midi de la France – et de l’extension temporelle du même phénomène – étant donné que la « saison » des faits n’est plus limité au seul été. Le réchauffement climatique conjugué à un mauvais état sanitaire des forêts, à la monoculture, à la sylviculture intensive et à la « libre évolution » des forêts explique cette aggravation du péril.
Le risque ? Une « rupture capacitaire des moyens de lutte » catastrophique et une augmentation exponentielle des couts de la lutte. Afin d’éviter un désastre ruineux et des dépenses onéreuses, la problématique sur laquelle souhaite se focaliser le législateur dans ce nouveau projet de loi est désormais la prévention des feux de forêts. Le fait est à relever, car l’approche législative considère désormais avec autant d’importance la prévention en amont que la gestion de crise. Dans cette optique, huit axes avaient déjà été envisagés dans le rapport pour modifier la législation : élaborer une stratégie nationale et territoriale prenant en compte l’ampleur nouvelle du risque feux de forêt ; aménager le territoire en fonction de ce risque ; mieux gérer la sylviculture ; aménager d’avantage la forêt en fonction du risque incendie ; mobiliser le monde agricole ; plus largement, sensibiliser l’ensemble des citoyens à cet enjeu ; accroitre les moyens de lutte ; enfin, reboiser au mieux après un feu de forêt.
Dans l’ensemble, la proposition de loi déposée au Sénat cette semaine est cohérente avec les travaux des rapporteurs. L’objet de la présente étude n’est pas de commenter fastidieusement un à un chacun des 38 articles composant ce projet de loi mais de s’arrêter sur les points les plus intéressants pour l’avenir de la sécurité civile.
L’idée d’une « stratégie nationale » et interministérielle impliquant tous les acteurs concernés est validée dès le premier article du projet, démontrant la volonté de concerter avant d’agir. Surtout, les premiers articles du projet insistent sur la volonté de faire de la prévention du risque incendie un enjeu principal de la politique forestière et territoriale ; politique qui ne doit pas se limiter aux départements historiquement touchés par ce phénomène mais concerner, potentiellement, toute la France – l’article 2 prévoit en effet la fixation de la liste des territoires réputés particulièrement exposés aux risques d’incendies par voie réglementaire, plutôt que par voie législative tandis que l’article 5 vise à intégrer systématiquement le risque incendie dans les schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques (SDACR), sur tout le territoire national, « au titre de l’anticipation et de la prévention des risques ». Extension de la prévention qui ne concerne d’ailleurs pas seulement les forêts au sens strict mais, aussi, les « surfaces agricoles et de végétation ». Dès lors, au regard de cette volonté de faire de la prévention du risque feu de forêt un objectif du droit français, il n’est pas surprenant de constater que cette loi ambitionne ne modifier aussi bien le Code forestier que le Code général des collectivités territoriales, le Code de la sécurité intérieure, le Code général des impôts ; le Code des assurances, le Code de l’environnement, le Code de l’urbanisme, le Code de la sécurité sociale.
Produit par la chambre haute – représentante des collectivités territoriales – il n’est guère étonnant que cette loi fasse la part belle aux autorités locales déconcentrées ou décentralisées. Par exemple, l’article 7 (ajoutant un article L 122-6 au Code de la sécurité intérieure) dispose qu’en « fonction des circonstances locales, il peut être établi, sous l’autorité de chaque préfet de zone de défense et de sécurité, une délégation à la protection de la forêt, chargée de l’animation et de la coordination des services de l’État en matière de défense des forêts contre les incendies » tandis que les articles 15 (donnant aux commissions régionales de la forêt et du bois le pouvoir de modifier les programmes régionaux de la forêt et du bois (PRFB) pour le faire coïncider avec des objectifs liés au risque incendie) et 16 (modifiant l’article L 312-1 du code forestier) donne de nouveaux pouvoirs aux autorités régionales. Autre point à souligner, l’article 13 prévoit de rendre systématique la transmission des cartes d’aléa du préfet aux collectivités territoriales exposées au risque incendie afin que celui-ci puisse être précisément cartographié à l’échelle de la commune. Enfin, puisque comme le rappelle la « mission flash » de l’Assemblée nationale sur le sujet, au moins 1,5 millions de personnes et leurs biens sont menacés par le risque feu de forêt, il convient d’adapter les règles d’urbanisme à ce péril en donnant aux autorités en charge de la politique urbaine les moyens de rendre cohérent cette politique avec la prévention du risque – c’est toute l’ambition de l’article 14 du projet qui modifie le livre 1er du Code de l’urbanisme en y insérant de nouveaux articles L 132-4-3 et L 151-25-1 – et en intégrant le périmètre des obligations légales de débroussaillage dans les documents d’urbanisme pour qu’ils soient mieux connus par les pétitionnaires (article 8 du projet).
Aucune ambition, si noble fut-elle, n’a de chance d’aboutir sans moyens adéquates. C’est pourquoi les rédacteurs du projet ont prévu de nouvelles sources de financements et d’économie pour donner des moyens à cette politique de lutte et de prévention. On ne sera donc pas surpris de constater que l’article le plus dense – le vingtième – est une réforme du Code général des impôts visant à favoriser une gestion responsable des forêts grâce au crédit d’impôt. L’article 10 quant à lui instaure un crédit d’impôt pour la réalisation des obligations légales de débroussaillage (à cette « carotte » répond un bâton : l’article 11 prévoit de rendre la « franchise obligatoire dans les contrats d’assurance habitation en cas de non-respect des OLD et de doubler son montant maximal, de 5 000 à 10 000 euros »). De la même manière, des réductions impôts sont envisagés pour l’essence utilisé par les véhicules de lutte anti-incendie : au même titre que les fauteuils roulants, les véhicules anti-incendie seront aussi exonérés de la taxe sur la masse en ordre de marche des véhicules de tourisme et de la taxe sur les émissions de dioxyde de carbone des véhicules de tourisme. Voilà pour la question matérielle, poursuivons avec la question des moyens humains. En poursuivant la logique déjà instaurée par la loi « Matras », le projet de loi, en son article 34, souhaite favoriser la coopération des entreprises avec les SDIS. Cependant, les sénateurs souhaitent revenir à ce qu’ils avaient formulé durant les débats sur la loi de novembre 2021 et mettre en place un dispositif d’exonération de cotisation pour les employeurs de SPV. L’article 38 et dernier de la loi prévoit enfin que les éventuelles baisses de recettes pour l’Etat et les organismes de sécurité sociale résultant de la nouvelle loi soit compensées par une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs.
L’objectif de sensibilisation du public reste modestement confiné à la répression pénale et à des campagnes de communications ciblées. Plus précisément, l’article 31 consacre au niveau législatif l’interdiction de fumer dans un bois ou une forêt classé à risque d’incendie ou particulièrement exposé à ce risque pendant la période à risque définie par arrêté du préfet de département tandis que l’article 30 souhaite impliquer la filière de responsabilité élargie du producteur (REP) dans le financement d’actions de communication afin de prévenir l’abandon de mégot de cigarette, très souvent à l’origine des départs de feu.